Ava Karvonen: guider la prochaine génération de producteurs en télé et cinéma
En collaboration avec Femmes du cinéma, de la télévision et des médias numériques (FCTMN), FMC Veille rencontre des femmes inspirantes dans le cadre d’une série d’articles axée sur l’entrepreneuriat au féminin dans les industries du cinéma et de la télévision. Pour ce cinquième article de la série, nous accueillons Ava Karvonen, storyteller et productrice multiplateforme qui croit en l’importance de donner une voix aux femmes.
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Les débuts d’Ava Karvonen dans les industries du cinéma et de la télévision relèvent d’une affaire de famille. Son père est devenu cinéaste à temps plein lorsqu’elle était préadolescente et ses premières productions ont été des films écologiques ainsi que des pièces de radio théâtre. Et, comme Karvonen le souligne, il sollicitait continuellement l’aide de ses cinq enfants.
Elle se rappelle que les vacances en famille dans les Rocheuses se transformaient souvent en plateaux de tournage impromptus. «Mon père, lorsque nous étions en camping ou dans les montagnes, traînait toujours son matériel cinématographique avec lui, dit-elle. Il nous disait, par exemple, “Hé, les enfants, faites sortir cet ours du buisson pour moi.” C’est ainsi que nous avons grandi.»
Karvonen et ses quatre frères et sœurs ont souvent été appelés par leur père à l’aider dans son travail cinématographique. En particulier, Karvonen a développé un intérêt pour l’industrie de la production de contenu sur l’écran. Entre les 7e et 9e années, Karvonen a servi de voix dans les pièces de radio théâtre de son père.
«Nous formions une grande famille, nous apportions tous notre contribution et il était toujours attendu de nous que nous donnions un coup de main», se rappelle-t-elle. Elle se rappelle avoir passé du temps en famille à regarder des productions de son père dans des amphithéâtres extérieurs.
Initialement, les étés passés dans les montagnes avaient incité Karvonen à vouloir devenir interprète de parc. Cependant, elle ne réussissait jamais à trop s’éloigner d’un plateau de tournage. Pendant ses études, il lui arrivait souvent d’aider son père avec du travail de montage, de son et de production.
À propos de l’«adaptabilité»
Comme les emplois d’interprète de parc se faisaient rares à la fin de ses études, Karvonen a continué dans l’industrie cinématographique et acceptait tout emploi dans les coulisses qui s’offrait à elle.
«J’ai toujours su m’adapter, dit-elle. J’ai travaillé comme assistante réalisatrice, j’ai été figurante et j’ai fini par aboutir dans les services de traiteur. Je suis une mère, je cuisine bien et j’aime m’occuper des gens. J’ai donc travaillé dans les services de traiteur pendant un certain temps.»
En effet, elle a œuvré dans les services de traiteur pendant plusieurs années tout en travaillant avec son père sur ses films. Plus tard, elle a accepté un poste comme agente de publicité pour le compte de Great North Productions, un des principaux réalisateurs canadiens de documentaires. Mais elle voulait plus. C’est dans les années 1980 – et après plusieurs années de travail sur des projets à saveur canadienne, que Karvonen a décidé que le moment était venu pour elle de voler de ses propres ailes et de démarrer sa propre entreprise.
De là est née Reel Girls Media.
Grâce à l’expérience qu’elle avait acquise au sein d’autres sociétés de production, Karvonen a pu mettre la main d’emblée sur du financement pour ses projets. Néanmoins, elle affirme que son principal obstacle financier au début était le fait qu’elle était une productrice située en Alberta.
«Le défi constant, c’est que ça vous coûte quelques milliers de dollars chaque fois que vous voulez aller rencontrer les gens à Toronto. J’ai rencontré des obstacles parce que les gens font référence à Toronto comme “le centre d’excellence” et que nous devrions contribuer au développement des cinéastes qui se trouvent dans ces centres d’excellence. Si vous êtes en région, on vous snobe un peu, dit-elle. À des fins de validation, on s’attend à ce que vous travailliez avec les producteurs à Toronto. Pourtant, nous créons de l’excellent contenu ici dans l’Ouest.»
Aussi, elle affirme qu’il n’a pas toujours été facile comme femme d’obtenir du financement et que la situation peut encore aujourd’hui s’avérer compliquée.
Karvonen suggère aux femmes cinéastes d’établir des liens avec des intervenants des industries du cinéma et de la télévision en faisant du bénévolat ou encore en assistant à des événements de l’industrie. Surtout, elle encourage les jeunes femmes cinéastes à persévérer. «Cette industrie doit offrir plus de possibilités à plus de femmes», soutient-elle. C’est grâce aux liens qu’elle avait établis dans le passé qu’elle a réussi à conclure un des premiers contrats pour Reel Girls Media: une série spéciale dans le cadre de l’émission The Nature of Things diffusée sur les ondes de la CBC.
Depuis, Reel Girls Media a travaillé sur tout un éventail de projets, du documentaire jusqu’aux productions factuelles. Karvonen a créé des documentaires et des émissions pour enfants en plus d’avoir réalisé des émissions de télévision comme Chaos and Courage pour APTN.
Plusieurs de ses projets reposent sur une narration axée sur les personnes. Un de ses projets, une série en dix parties sur les rites de passage intitulée The First Kiss and other Rites of Passage, utilise des expériences de vie partagées pour rapprocher les téléspectateurs des sujets.
Un autre de ses projets, Finding Bobbi, est un documentaire portant sur un acteur qui «a passé 50 ans dans le mauvais corps» et «retourne sur scène comme femme», selon l’affiche promotionnelle.
La productrice élisant domicile en Alberta décrit la plupart de ses projets comme relatant de forts parcours personnels. «Un projet doit vraiment trouver écho chez moi, avoue-t-elle. Les parcours personnels des gens me rejoignent, car ils nous aident à mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons.»
Elle ne travaille pas seule et compte sur une petite équipe. Aussi, son entreprise embauche ponctuellement des contractuels, au besoin, afin de maintenir ses frais généraux bas. «Mon modèle d’entreprise prône l’agilité. J’essaie de limiter mes frais généraux. J’ai un bureau et une équipe, mais je travaille aussi avec un groupe exceptionnel de contractuels», dit-elle.
Reel Girls Media existe depuis maintenant plus de 20 ans. Karvonen s’est vu remettre plus de 40 prix pour son travail et a tenu plus de 65 visionnages dans 12 pays.
Être une femme sur le plateau
La fondatrice de Reel Girls Media l’avoue: travailler comme femme dans l’industrie du cinéma et de la télévision n’a pas toujours été facile. Elle était parfois la seule femme sur le plateau de tournage.
Cependant, beaucoup a changé depuis que Karvonen a commencé dans l’industrie. Elle affirme que les femmes ont réalisé de grands progrès dans l’industrie. De plus en plus de femmes sont reconnues pour la qualité de leur travail derrière la caméra. Le Festival international du film de Toronto a annoncé que 36 pour cent des films présentés au festival cette année avaient été réalisés, coréalisés et créés par des femmes. Et, maintenant que de plus en plus de femmes remportent du succès dans l’industrie, Karnoven juge que le moment est venu pour elles de réclamer leur dû au même titre que leurs homologues masculins. Pour la documentariste, la parité salariale est une valeur fondamentale.
«Comme femme, j’ai aussi travaillé du côté syndical. J’ai vu des contrats et les hommes négocient des montants beaucoup plus avantageux que les femmes», dit-elle. Elle travaille fort pour veiller à ce que les femmes soient payées les mêmes taux que les hommes sur ses plateaux de tournage. «Je pense que nous avons ce préjugé lorsqu’il est question de rémunérer les gens […] et nous devons en être conscients. À travail égal, salaire égal, j’y crois profondément.»
Selon elle, dans l’ensemble, il suffit d’offrir aux femmes plus de possibilités en matière de rôles sur les plateaux.
Mentorat au service de la génération montante
Karvonen affirme que la partie de son travail dont elle est la plus fière est le travail qu’elle réalise avec des cinéastes de la génération montante. Elle croit fermement que redonner à la communauté tout en y investissant, est bénéfique pour la génération montante et pour soi-même. «Comme femme, je pense qu’il est important de bâtir des relations. Naturellement, des femmes voudront aider d’autres femmes. Il faut savoir prendre et donner. Ce n’est pas juste une question de travail», dit-elle.
Quand elle n’est pas sur un plateau de tournage, elle mentore des étudiants en sa qualité de professeure affiliée à des établissements d’enseignement postsecondaire en Alberta et à l’internationale depuis presque une décennie. Aussi, elle fait du bénévolat, le plus récemment comme présidente de Women in Film and Television Alberta (WIFTA), l’organisme sans but lucratif qui vient en aide à des femmes dans les industries des médias ainsi que du cinéma et de la télévision.
Par son entreprise, elle a embauché des femmes pour leur permettre d’acquérir une expérience essentielle et leur enseigner comment gérer une entreprise. C’est quelque chose dont elle aurait aimé pouvoir profiter comme jeune professionnelle. «Le mentorat et le partage des connaissances, c’est important. J’aurais aimé ça si quelqu’un m’avait parlé de planification de l’avenir il y a une vingtaine d’années», dit-elle.
La documentariste veut aider les femmes à connaître du succès dans l’industrie en partageant ses idées et son expertise sur les plateaux de tournage et hors de ceux-ci à des femmes et à d’autres cinéastes. «À mon avis, pour l’industrie, le mentorat figure parmi ce qu’il y a de plus important.»
Photos par Ian Kucerak