Jeu vidéo – Retour en force du jeu en personne

L’univers du jeu connaît depuis peu une résurgence des jeux multijoueurs locaux, c’est-à-dire ceux dans lesquels deux joueurs ou plus rivalisent ou coopèrent, en présence les uns des autres et généralement en utilisant la même console. Super Bomberman, sur Super Nintendo, est un classique du genre, tandis que Wii Sports représente un des exemples récents qui connaît le plus de succès.

Liée à la tendance adoptée par les joueurs actuels à passer de nombreuses heures à regarder d’autres jouer (sur YouTube entre autres), le retour en force du jeu en personne offre une perspective alternative intéressante sur le monde actuel du jeu vidéo et découle en partie de la popularité des jeux de compétition en ligne.

Les jeux en question

La résurgence du jeu en personne est menée de petits développeurs de jeux indépendants qui n’ont pas le soutien ou les budgets des grands éditeurs. Ils travaillent souvent de la maison et collaborent à distance avec des collègues installés ailleurs dans le monde.

L’absence d’investissements massifs à récupérer permet à ces équipes de prendre des risques en expérimentant avec le jeu et en reconsidérant certains genres et mécanismes oubliés. C’est précisément ce qu’elles font avec les jeux multijoueurs locaus, ayant permi le développement de produits innovants et artistiques, tels que Sportsfriends et Nidhogg.

Les développeurs canadiens manifestent aussi leur présence, avec des jeux comme Spaceteam et TowerFall (image ci-haut), conçus respectivement à Montréal et à Vancouver, qui sont à l’avant-garde de ce mouvement.

Qu’est-ce qui explique cette tendance?

À l’arrivée l’Internet haute vitesse à la fin des années 1990 et au début des années 2000 (qui a permis de libérer des millions de lignes téléphoniques dans le monde), le jeu en ligne est graduellement devenu réalisable. Les joueurs ont par le fait même pu chercher des adversaires au-delà de leur quartier et se mesurer à des centaines, voire à des milliers d’autres joueurs à la fois dans des jeux en ligne massivement multijoueurs, comme World of Warcraft.

À peu près au même moment entrait en jeu un autre facteur important qui allait contribuer à cette résurgence : la disparition des arcades. Celles-ci se sont maintenues pendant des décennies avant tout pour deux raisons : en plus d’offrir un endroit où s’adonner aux jeux les plus avancés sur le plan technologique, elles servaient de lieu de rencontre où jouer tout en socialisant, un peu de la même manière que les bars sportifs tendent à rassembler les amateurs de sports.

Avec l’avancée de la technologie informatique, toutefois, les composants sont devenus plus petits, moins chers et plus puissants; l’avantage technologique s’est alors déplacé des arcades aux consoles de salon et aux ordinateurs personnels. Quant au jeu multijoueurs en ligne, il offrait, avec ses mondes virtuels massifs, une nouvelle frontière avec laquelle les deux-trois amis calés dans le sofa ou agglutinés à une machine dans la salle de quilles n’étaient plus en mesure de rivaliser. Ce n’est pas nécessairement que le jeu en ligne était (ou demeure) supérieur au jeu multijoueurs local, mais sa différence apportait de la nouveauté. Conséquemment, les arcades ont en grande partie disparu, et le jeu multijoueurs local a été relégué au second rang, derrière les consoles et les ordinateurs.

Pourtant, le jeu vidéo a foncièrement une dimension sociale, et l’interaction en personne offre une expérience unique par rapport aux échanges par l’entremise du clavier ou du casque d’écoute. Autrement dit, on voyait se créer un vide dans l’univers du jeu, et ce vide s’est maintenu assez longtemps pour que les développeurs et les joueurs résolvent d’y remédier. Les développeurs indépendants se sont mis à recréer l’expérience jadis offerte par les arcades, cette expérience que les principaux développeurs ne procuraient plus.

À preuve, considérons les ventes liées à cette demande non satisfaite en jeux multijoueurs permettant de se retrouver ensemble, dans une même pièce : le petit dernier de la série Smash Brothers sur la console 3DS a déjà vendu 2,8 millions d’exemplaires dans le monde. Quant àTowerFall, ses ventes ont atteint 500 000 $ à ce jour, ce qui, pour un modeste jeu indépendant, a de quoi impressionner.

Pour comprendre la situation actuelle, il faut noter que Nintendo a veillé plus que toute autre entreprise depuis une dizaine d’années à ce que le jeu multijoueurs local ne soit pas entièrement éradiqué de la conscience populaire. D’ailleurs, ses jeux Wii Sports, Smash Brothers et Mario Party ont invariablement connu du succès, tant auprès des consommateurs que des critiques.

Considérations pour les développeurs

Les développeurs qui lorgnent du côté du jeu multijoueurs local peuvent se tourner vers les nouvelles applications technologiques pour créer des expériences novatrices. Parmi les exemples heureux d’une telle stratégie figurent Wii Sports (commande de mouvement), Spaceteam (Bluetooth) et Johann Sebastian Joust (certains enthousiastes ayant hacké la manette PlayStation Move).

Cette résurgence appelle également une stratégie intéressante non seulement pour les concepteurs de jeux, mais pour tous les créateurs de contenu. Intéressez-vous aux genres, aux styles et aux sous-cultures qui, à l’heure actuelle, sont négligés, mais qui pourraient être mûrs pour un retour. Après tout, les tendances en culture populaire sont cycliques.

Développer des jeux multijoueurs locaux comporte toutefois sa part de difficultés. Compte tenu de la nature même de ces jeux, il peut être difficile de faire évoluer l’expérience des joueurs et de favoriser la croissance organique du nombre d’utilisateurs. Si on veut jouer à TowerFall mais que tous nos amis sont occupés, on doit prendre notre mal en patience. Si on veut jouer à Hearthstone, par contre, on peut trouver en ligne des milliers d’adversaires à n’importe quel moment de la journée.

Les jeux multijoueurs locaux offrent souvent une dynamique unique qui dépasse le jeu lui-même et enrichit l’expérience globale. Cette dynamique aide à maintenir une dimension humaine à l’envie et à la nécessité de jouer, lesquelles sont intrinsèques à notre humanité.

Il n’existe aucune raison pour laquelle les jeux multijoueurs locaux ne pourraient coexister avec leur pendant en ligne. Réjouissons-nous donc de son retour – et veillons à ne plus faire une croix dessus.


Kevin Oke
Kevin Oke est cofondateur de LlamaZOO Interactive, une entreprise en démarrage primée à Victoria, en Colombie-Britannique, qui œuvre dans le domaine de la technologie éducative. Pendant dix ans, Kevin a travaillé comme employé et consultant en divertissement interactif numérique. Il a travaillé entre autres pour Fox, Electronic Arts, Sky Sports et Nickelodeon dans le cadre de plus d’une quarantaine de projets.
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