Le modèle freemium : plus vite, plus fort, plus haut

Les plus récentes compilations et statistiques le confirment : les applications offertes enfreemium (de free, gratuit, et premium, payant), autant dans les boutiques iOS qu’Android, ont la cote. Alors qu’en 2011 elles généraient 50 % des revenus des 200 applications les plus téléchargées sur iOS, et pour près de 65 % des revenus des applications Android à succès, une récente étude de la firme d’analyse App Annie indique que la croissance de ces parts s’accélère.

Après avoir compilé les données de plus de 700 000 applications offertes, App Annie Intelligence a avancé que les revenus totaux générés par les applications freemium sous iOS ont plus que quadruplé au cours des 24 derniers mois alors qu’ils ont été multipliés par 3,5 chez Google Play. Ils atteignent maintenant près de 69 % de tous les revenus pour les applications offertes au AppStore et 75 % pour celles distribuées sous Android alors que les revenus des applications payantes sont stables dans ces deux boutiques.

En septembre dernier, une étude plus étendue de Gartner colligeant les statistiques de toutes les plateformes de vente et de distribution mobile (incluant les entreprises de services de communications, les plateformes propriétaires et autres) laissait entendre que les applications gratuites représenteront 89 % des téléchargements cette année. Près du tiers de ces applications proposeront des achats intégrés en 2016. De son côté donc, Gartner prévoit que les revenus générés par les applications freemium représenteront 41 % des revenus totaux en 2016.

De plus en plus de consommateurs se tournent vers les applications gratuites avec achats intégrés. Que ce soit pour terminer un jeu plus vite, avec un meilleur pointage, en achetant du carburant ou des pouvoirs sophistiqués, pour débloquer des outils de retouche photo ou pour accéder à des contenus supplémentaires. Pour les jeux téléchargés, les statistiques sont parlantes selon NPD Group : 40 % des joueurs qui ont téléchargé une application freemium ont fait au moins un achat à l’intérieur de l’application. Toutefois, le taux de conversion réelle par jeu reste encore bas, oscillant entre 1 et 5 %.

En parallèle, les statistiques pointent toutes aussi vers le fait que, parmi les applications payantes, le niveau de prix critique est sous la barre des 3 $ : 90 % des ventes d’applications payantes et de leurs revenus sont générés par des applications dont le prix se situe à l’intérieur de cette fourchette. Une application freemium, en additionnant les possibilités d’achats intégrés à un taux de conversion intéressant, peut parfois générer, tout au long de sa vie utile, une valeur totale supérieure. Le taux de conversion serait-il meilleur si les prix planchers pour les micro-achats étaient plus bas ? Les producteurs qui ont tenté l’expérience n’en sont pas si certains.

Tous les analystes soulèvent maintenant l’importance, pour toutes les boutiques d’applications, de soutenir ce modèle d’affaires le plus rapidement possible. Mais dans la même foulée, ils soulignent que, si un producteur veut modifier son modèle d’affaires existant en envisageant un passage vers le freemium, il doit procéder avec une extrême délicatesse.

La réussite du freemium dans le domaine du jeu repose d’abord et avant tout sur les qualités scénaristiques du produit, mais surtout sur le fait que le jeu doit pouvoir se jouer sans achat jusqu’à la fin. La plupart des producteurs qui ont tenté l’expérience insistent sur le fait que les joueurs qui ont complété le cycle du scénario au moins une fois sont leurs meilleurs clients. Engagés, ils sont prêts à recommencer l’expérience, plus forts, plus rapides, plus aguerris, et iront acheter, avec des devises virtuelles ou réelles, un parcours enrichi et personnalisé. Le modèle freemium serait donc le plus efficace pour retenir les fans. Ce principe serait-il transférable pour d’autres types d’applications ? Que ce soit dans le domaine du jeu, ou ailleurs comme chez Evernote ou chez DropBox, qui offrent des options de stockage supplémentaire à leurs abonnés premium, la tendance se confirme.

Le modèle freemium avec achats intégrés n’est pas une panacée et ne fonctionne bien pour l’instant que lorsque les utilisateurs maîtrisent rapidement l’application et qu’ils sont pleinement satisfaits de l’expérience sans achat supplémentaire. Il semble en effet que les consommateurs « bonifient » l’application de base dans le premier mois de l’utilisation. Avec un taux de conversion encore très bas, il semble évident que le nombre de téléchargements requis pour qu’une application génère des revenus intéressants de cette façon demeure élevé. Plusieurs entreprises en démarrage s’y sont cassé les dents, et renient ce modèle. Miser sur la monétisation d’une base très réduite d’utilisateurs est encore un pari risqué. L’analyse des succès en freemium semble vraiment pointer vers les applications qui offrent plus de puissance et de personnalisation en achat intégré plutôt que vers celles qui proposent des fonctions supplémentaires. Les consommateurs s’attendent à ce que les ajouts d’options se fassent gratuitement au fur et à mesure des mises à jour. Il s’agit en fait d’outiller l’utilisateur de façon à ce qu’il soit plus puissant et qu’il se serve de l’application plus longtemps, et plus souvent.

Que serait le freemium idéal ? Un modèle simple, en trois étapes : 1) acquisition d’une grande base d’utilisateurs avec une application complète et très bien mise en marché; 2) rétention des grands usagers par la robustesse et par l’ajout de fonctions gratuites, et 3) monétisation de leur désir d’y passer du temps et d’y gagner en puissance.


Suzanne Lortie
Détentrice d’un diplôme en production de l’École nationale de théâtre du Canada et d’un MBA de HEC Montréal, Suzanne Lortie est professeure à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) depuis juillet 2012. Directrice de production et productrice déléguée en télévision depuis 1992 (grandes séries variétés et culture primées aux galas des prix Gémeaux et par l’ADISQ, documentaires), elle est consultante en stratégies nouveaux médias.
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