Les bulles de filtres au service de la découvrabilité

Souvent perçues comme freinant la découvrabilité, les bulles de filtres peuvent aussi devenir les alliées des créateurs et producteurs de contenus. Evan Jones (Stitch Media) explique comment utiliser Facebook pour optimiser vos projets et vos campagnes promotionnelles.

Dans notre précédent billet sur les stratégies pour bâtir un auditoire, les experts consultés s’accordent pour dire qu’il faut mettre l’auditoire au cœur de votre projet dès son développement. Pour ce faire, vous pouvez avoir recours au web pour tester, à peu de frais, vos concepts et vos idées auprès de publics très ciblés.

« C’est ainsi que le reste de l’internet s’est raffiné, explique Evan Jones, directeur créatif et producteur chez Stitch Media. Facebook, Amazon, Netflix et Google s’affairent constamment à créer des variations de leurs interfaces et des contenus qu’elles desservent, afin de déterminer ce qui performe le mieux. »

Diffusion restreinte ou diffusion de masse

S’il est aujourd’hui facile de tester votre contenu, que ce soit votre bande-annonce ou la page d’accueil de votre site web, c’est grâce à la diffusion restreinte (narrowcasting) qui, sur le web, remplace la traditionnelle diffusion de masse (broadcasting).

Chaque fois qu’un spectateur visionne du contenu en ligne, une connexion unique est établie entre la source (le serveur hébergeant votre contenu) et le spectateur en question. Cette connexion unique permet de choisir ce que verra le spectateur et même de modifier en temps réel le contenu présenté. C’est le principe derrière les tests A/B communément utilisés en marketing pour comparer la version originale d’un contenu à une version modifiée.

Il existe de nombreux outils spécialisés en tests A/B. Toutefois, il est aussi possible de mener des tests similaires directement à l’intérieur d’un réseau social comme Facebook, en utilisant son système d’enchères publicitaires pour mesurer la popularité d’un contenu.

Les algorithmes de recherche comme outil pour tester des concepts

Lors de la diffusion d’une annonce, Facebook calcule l’intérêt du public ciblé pour le produit, le service ou le contenu promu. Plus ce que vous souhaitez promouvoir est susceptible d’intéresser les personnes ciblées, plus le réseau social facilite « la diffusion de votre publicité auprès de ces personnes ».

 

Autrement dit, Facebook module le prix de l’affichage d’une annonce en fonction du « risque » qu’elle représente. Le prix demandé est très faible lorsqu’une annonce s’arrime avec les goûts du public ciblé, mais celui-ci augmente considérablement lorsque l’annonce cible un public qui ne s’intéresse pas déjà au contenu promu.

Pour évaluer ce risque, Facebook se base sur le comportement passé de chaque utilisateur, de même que ses préférences déjà affichées, comme les films ou les artistes qu’il a choisi de suivre sur la plateforme.

Ce système d’enchères est en place pour aider le réseau social à trouver un équilibre entre la création de valeur pour les annonceurs et la présentation de contenu pertinent pour ses utilisateurs. Comme l’explique Evan Jones, « un excellent contenu qui reflète les intérêts des utilisateurs est perçu de façon positive par Facebook. Le réseau social l’accueillerait de toute façon à bras ouverts ».

Les créateurs et producteurs de contenus peuvent utiliser ces mêmes algorithmes pour optimiser leur projet et leur stratégie de marketing afin de rejoindre leur auditoire.

Together Tales : ajuster le contenu en ciblant les bons auditoires

Concrètement, comment tout cela fonctionne-t-il? Evan Jones donne comme exemple le développement du projet Together Tales, une œuvre numérique jeunesse qui allie lecture et jeux à accomplir.

Dès le début, l’équipe a testé de nombreux aspects du projet comme le titre et le public cible. Pour tester le titre, Jones a pris une photo de ses enfants, a créé trois versions d’une publicité avec des titres différents et a diffusé ces variantes à petite échelle sur Facebook.

Le résultat fut clair : le titre Together Tales a bénéficié d’un engagement beaucoup plus élevé que les deux autres titres proposés, soit Imaginary Friends et Live Action Books.

L’équipe a aussi eu recours au système d’enchères de Facebook pour déterminer quel était l’auditoire le plus réceptif au projet. Pour ce faire, elle a sélectionné des publics très précis — le réseau social permet de cibler les utilisateurs selon leur âge, sexe et domaines d’intérêt — auprès desquels elle allait promouvoir le projet.

Avec ces données, les créateurs de Together Tales ont constaté que leur œuvre attirait avant tout les mères qui aiment le géocaching (un jeu de chasse au trésor exploitant la technologie GPS) et les pères qui aiment les jeux de rôle grandeur nature (LARPs en anglais).

Tel qu’indiqué précédemment, l’intérêt de chaque public visé peut être mesuré en se basant sur le coût par millier d’impressions (CPM) que demande Facebook pour diffuser une annonce. Plus le CPM est bas, plus l’intérêt du public visé pour une annonce est grand.

L’identification de ces auditoires permet de réduire vos coûts de marketing et d’avoir un portrait plus précis de vos premiers utilisateurs. « Il s’agit de l’auditoire idéal, qui peut être défini en fonction de l’âge, des affinités et de plusieurs autres critères permettant d’obtenir un profil plus précis, explique Evan Jones. Ainsi, en créant votre projet, vous aurez en tête ce profil d’auditoire idéal. »

Pour en savoir plus sur le développement de Together Tales, visionnez cette courte présentation d’Evan Jones lors de la conférence 2017 OMDC Digital Dialogue :

Doit-on craindre les bulles de filtres?

Si le système d’enchères publicitaires de Facebook s’avère un formidable outil de développement de projet, celui-ci contribue aussi à enfermer les utilisateurs dans des bulles de filtres, c’est-à-dire des environnements personnalisés où le contenu présenté à chaque internaute est filtré selon ses habitudes de navigation. Le modèle actuel décourage toute tentative de diffusion d’une annonce pouvant déplaire aux utilisateurs ciblés.

Evan Jones donne comme exemple le dilemme auquel étaient confrontés les créateurs de Road to Mercy, un documentaire sur l’aide médicale à mourir. Ceux-ci voulaient faire la promotion de ce sujet à la fois important et difficile auprès des jeunes Canadiens.

Toutefois, l’algorithme de Facebook a jugé que le sujet n’intéressait pas les milléniaux. Cette situation a fait monter en flèche le prix de diffusion de l’annonce. En effet, le réseau social demandait entre 4 et 5 $ par millier d’impressions.

Sortir de la bulle de filtre peut coûter très cher.

Les bulles de filtres servent aussi de tremplin

Cette situation désole Jones, mais il rappelle que les mécanismes en place peuvent aussi servir de tremplin pour sortir de ces bulles de filtres.

Par exemple, faire la promotion de ce même documentaire auprès d’adultes ayant des parents souffrant de maladies dégénératives coûte une fraction du prix. Cela permet d’élargir facilement l'auditoire du projet et, du même coup, d’accroître sa notoriété. Il devient alors plus facile d’aller chercher un auditoire plus large.

C’est d’ailleurs ainsi que fonctionne le service de développement d’auditoire Threads créé par Jones. « Le service peut identifier où se trouvent les premiers internautes favorables à votre produit, explique-t-il. Il est possible de rejoindre ces gens dès le départ, étant donné qu’ils s’intéressent d’ores et déjà à votre projet. Puis, au fur et à mesure que le projet gagne en popularité, on peut songer à cibler des gens à l’extérieur des bulles de filtres. »

Les géants du web ont d’ores et déjà commencé à s’attaquer aux problèmes qu’engendre la personnalisation algorithmique. Or, en attendant un réel changement de cap, les créateurs et les producteurs de contenus ont tout intérêt à utiliser les mécanismes en place à leur avantage. « Développer ces premiers auditoires permet d’obtenir des chiffres de ventes qui valident votre produit, ce qui ne fera qu’en accroître la popularité », conclut Jones.


Gaëlle Engelberts
Ancienne journaliste à la télévision de Radio-Canada, Gaëlle Engelberts est la coordinatrice éditoriale de FMC Veille. En parallèle avec son travail de recherche et d’édition au sein de l’équipe de veille stratégique du Fonds des médias du Canada, elle a récemment terminé une maîtrise en communication à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) portant sur les nouvelles formes narratives en journalisme et en documentaire, notamment les webdocumentaires interactifs et les jeux sérieux.
En savoir plus