Les prochaines secousses tectoniques dans l’industrie des médias et du divertissement
Les dernières années nous ont servi un flux incessant de nouvelles dans l’espace des médias et du divertissement concernant le lancement d’initiatives de contenu et de distribution – initiatives alimentées par l’appétit incessant du public pour la diffusion en continu. Les gros joueurs de l’espace numérique – pensons à Google, Amazon, Apple et Facebook – lancent tous du contenu d’envergure et usent de leur poids en matière de production et de distribution.
La numérisation de notre monde fait « voler en éclats » les frontières « artificielles » des 19e et 20e siècles. C’est un phénomène qui s’accélère depuis quelques décennies et qui transforme l’actuel système de distribution.
Les prévisions qui suivent sont des opinions personnelles reposant sur une analyse stratégique et des données factuelles. Elles ne résultent aucunement de conversations tenues directement avec les groupes médiatiques ou des télécoms intégrées mentionnés dans cet article.
- Les forfaits de câble continueront d’être simplifiés et cèderont leur place à une version à la carte qui bonifiera le modèle de l’actuel « âge d’or de la télé »
Une nouvelle secousse tectonique a frappé l’industrie des médias et du divertissement le 9 mars 2015 lorsque le service HBO Now a été annoncé quatre semaines avant le début de la nouvelle saison de Game of Thrones. Ce service d’abonnement sera initialement proposé avec Apple comme partenaire exclusif au prix de 14,99 $US par mois. C’est la première fois qu’une chaîne premium comme HBO est dissociée d’un forfait de câblodistribution et cette initiative a été rapidement suivie de l’aveu public de Leslie Moonves selon lequel Showtime empruntera la voie de la télévision par contournement sous peu.
Dans une tournure intéressante, le câblodistributeur new-yorkais Cablevision a annoncé le 16 mars qu’il deviendrait le premier joueur intégré à permettre à ses abonnés au service Internet de se procurer HBO Now. C’est presque une certitude que Showtime sera commercialisé avant la fin de l’année et Starz emboîtera le pas. Une fois que cela arrive, les principales chaînes de télévision premium seront accessibles au grand public sans qu’il soit nécessaire de s’abonner à un forfait de câblodistribution.
Le 17 mars, le Wall Street Journal rapportait qu’Apple planait sur un « forfait minceur » avec les principaux diffuseurs afin d’offrir entre 25 et 30 canaux au prix de 30 $US à 40 $US par mois. Si on ajoute à cette offre l’arrivée de Sling TV, un service de Dish Network qui diffuse en continu des canaux de télévision sur Internet, l’offre ne se limite plus aux forfaits de câblodistribution pour lesquels on exige des mensualités moyennes de 100 $US.
Ces « forfaits minceur » et options à la carte refaçonneront sans aucun doute l’industrie en permettant à cette dernière d’allouer des budgets élevés à des séries événementielles grâce justement aux économies d’échelle que permettent les forfaits. On pourrait dire sans risquer de se tromper que des forfaits moins chers et des options à la carte découleront de ces budgets et pourraient avoir une incidence sur ceux-ci au même titre que les budgets alloués aux productions cinématographiques indépendantes ont été impactés.
- C’est d’abord au Canada que les prix à la carte deviendront la norme
Le 19 mars, le CRTC a rendu une décision attendue dans laquelle il ordonnait à l’industrie de proposer un forfait minceur au prix de 25 $ par mois. Il s’agit d’une décision majeure qui aura des répercussions sur le paysage de l’industrie canadienne du divertissement à long terme. Il sera intéressant d’observer le dégroupage et la dissociation de canaux de télévision premium comme HBO Canada et TMN pendant que HBO Now est lancé aux États-Unis. Cette décision et la précédente qui assouplissait les règles canadiennes en matière de contenu pourraient avoir de profondes répercussions sur l’environnement de production au Canada.
- Une des grandes sociétés canadiennes intégrées de câble et de contenu fera l’objet d’une scission et la portion câble/télécom sera acquise par AT&T ou Verizon
Les liens historiques entre les sociétés de télécommunications américaines et canadiennes remontent à loin. Ce n’est qu’en 2004 qu’AT&T s’était départie de sa participation de 34 % dans ce qu’on a longtemps appelé Rogers AT&T Communications sans fil. Des rumeurs persistantes courent selon lesquelles un des principaux groupes intégrés de télécom/télé au Canada serait à la recherche d’une porte de sortie qu’il pourrait logiquement trouver chez nos voisins américains.
Il ne reste plus qu’AT&T et Verizon de la scission du conglomérat Bell ordonnée par la Cour suprême des États-Unis. Les deux sociétés cherchent à prendre de l’expansion outre-frontières. Il serait donc logique pour AT&T et Verizon d’être à la recherche d’occasions au Canada. La difficulté de ce scénario réside en l’intégration de fournisseurs d’accès aux télécom et à Internet dans des sociétés de contenu télévisuel compte tenu des nombreuses restrictions en matière de propriété étrangère.
Les plus récentes décisions rendues par le CRTC qui assouplissent les règles applicables au contenu canadien pour les diffuseurs autorisés annoncent peut-être une remise en question des restrictions à la propriété étrangère. La dissociation des activités de télécom/Internet des diffuseurs autorisés pourrait représenter une autre avenue ouvrant la voie à un ou plusieurs partenariats potentiels avec des sociétés américaines de télécom.
- Vincent Bolloré, de Vivendi, pourrait réaliser tout un coup de contenu en Amérique du Nord en achetant AMC/BBC de la famille Dolan
Vivendi, société sise à Paris, a considérablement modifié son portefeuille au cours des deux dernières années en vendant des actifs d’une valeur de plus de 20 milliards d’euros. L’ascension de Vincent Bolloré comme PDG et actionnaire de contrôle annonce une nouvelle ère pour le groupe de divertissement, et la société dispose d’une impressionnante caisse de guerre. La société télévisuelle Canal+ et Studio Canal, division chargée de la distribution, se portent très bien et gagnent du terrain sur la scène internationale. Les séries télévisées de Canal+ sont exportées à des diffuseurs partout dans le monde et diffusées par Netflix. La série Les Revenants/The Departed acclamée par la critique a été adaptée pour le marché américain et y est diffusée depuis le 9 mars.
L’internationalisation des activités télévisuelles de Vivendi pourrait s’accélérer suivant une pénétration du marché nord-américain sous la forme d’une acquisition majeure. Depuis 2011, AMC Networks (une société issue de Cablevision) est une cible évidente étant donné sa capitalisation boursière relativement faible de 5,4 milliards $US et l’attrait de sa coentreprise avec BBC au sein du réseau BBC America.
- Un acteur asiatique du contenu et de la distribution tentera à son tour d’acquérir une grande société nord-américaine, possiblement Lionsgate
Le 11 mars, Snapchat a annoncé qu’Alibaba, le premier groupe chinois d’Internet et maintenant de divertissement en importance, investissait 250 millions $US dans l’appli de messagerie photo. À la suite de cette annonce, l’évaluation de l’entreprise a gonflé à 15 milliards $US. Alibaba pourrait bonifier ce portefeuille d’actifs américains en expansion en acquérant Lionsgate. D’autres joueurs comme Dalian Wanda, déjà propriétaire d’AMC Theaters, pourraient entrer dans la galère et acquérir une société de production/distribution de contenu.
- Sony Corp se départira de sa division cinématographique et télévisuelle en 2015 dans le cadre d’une réorientation de la direction. Parmi les acquéreurs potentiels de cette division figurent Rupert Murdoch, Alibaba et Vincent Bolloré
Sony est en pleine réorientation de ces activités et il appert que ses studios de cinéma et de télévision ne représentent pas un actif principal. La publicité négative ayant découlé de la cyberattaque contre Sony Pictures Entertainment en 2014 pourrait très bien avoir accéléré le plan de désinvestissement pouvant être mis en branle dès cette année.
Parmi les acquéreurs potentiels qui viennent d’emblée à l’esprit, mentionnons Rupert Murdoch (qui cherche à étendre l’empreinte internationale de Fox), Jack Ma d’Alibaba (s’il décide de miser sur un joueur plus traditionnel pour équilibrer son investissement dans Snapchat) et Vincent Bolloré de Vivendi (qui pourrait renforcer sa division de divertissement en procédant à une acquisition aussi majeure que celle-ci).
Nous n’en sommes qu’au premier trimestre de l’année. Au rythme où vont les choses dans l’industrie des médias et du divertissement en plein bouleversement, gageons que le reste de l’année apportera son lot de surprises!