Plateaux de tournage verts : leçons des pionniers

Assisterons-nous à un été de « plateaux verts » ? Les diffuseurs canadiens unis pour l'écoresponsabilité ont donné le ton, lors de leur annonce du 11 juin dernier. Ce regroupement de 22 diffuseurs - incluant Bell Média, CBC/Radio-Canada, Corus Entertainment et bien d’autres - s’est alors engagé à « accélérer le virage écoresponsable » dans l’industrie audiovisuelle. Qu’est-ce que cela signifie, concrètement, sur le terrain ? Nous avons abordé la question avec deux maisons de production qui ont effectué leur premier tournage « vert » en 2022 : le studio de création montréalais Koze Productions (avec la websérie Vidanges, prix Vivats 2022 et « Grand Prix » Numix 2023) et la maison de production IoM Media, basée à Halifax (avec la 30e saison de l’émission d’humour satirique This Hour Has 22 Minutes).

De par sa thématique, on pourrait croire que la websérie Vidanges - qui se déroule dans une ville paralysée par un groupe écoterroriste – devait nécessairement être produite sur un plateau vert. Or, à l’époque où le projet a été imagé, c’était loin de s’imposer. « Quand nous avons débuté le projet il y a 4 ans, nous voulions poser des gestes écoresponsables, mais je ne pourrais pas dire que nous avions un plateau vert en tête, confie Vincent Chabot, producteur et président Koze Productions. Peu de temps avant le début du tournage, nous avons pris connaissance de l’accréditation On tourne vert (créée en 2021 par le Bureau du cinéma et de la télévision du Québec) et c’est à ce moment que l’intention s’est précisée. »

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Vidanges

Voyant qu’une référence existait désormais, Koze productions s’est alors donné le défi d’atteindre « le plus haut standard possible » d’écoresponsabilité et de documenter sa démarche dans un greenbook publié en avril dernier. Dès lors, un comité a été mis en place et une série d’initiatives porteuses ont été identifiées, tant sur le plan collectif (ex : instauration d’une station de tri sur le site de tournage) qu’individuelle (ex : demander aux acteurs de se rendre sur le site de tournage en vélo ou en transport en commun).

Dans le cas de IoM Media, la maison de production a reçu l’impulsion initiale du diffuseur CBC, qui demande à ses productions, depuis 2021, de mesurer et de compenser leurs émissions carbone. Toutefois, l’équipe de This Hour Has 22 Minutes est allée bien au-delà du minimum requis, précise Elsa Tokunaga, embauchée à titre de responsable du développement durable sur l’émission (sustainability manager). « Nous avons été en mesure d’implémenter plusieurs changements suivant la règle des 5 R : refuser, réduire, réutiliser, réaffecter ou recycler. »

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This Hour Has 22 Minutes

Parmi les mesures phases, l’équipe d’Halifax a pu réduire sa consommation de plastique, d’une part, en introduisant des ustensiles réutilisables à la cantine et, d’autre part, en installant des distributeurs d’eau et en encourageant l’utilisation de verres ou de tasses réutilisables sur le plateau. De plus, elle a réduit son empreinte liée au papier en effectuant des impressions recto verso et en achetant du papier à 100% recyclé plutôt que 50%.

Se priver de papier ? Pas si vite!

Au rayon du papier, Koze Productions avait elle aussi de grandes ambitions. Le studio montréalais pensait convaincre son équipe de se passer complètement de papier. « J’ai été inspiré par Barbara Shrier qui fait des tournages écoresponsables depuis longtemps déjà, et qui n’imprime pas de réductions de scène pour les acteurs », explique Vincent Chabot. Malheureusement, le producteur a rencontré beaucoup de résistance face à cette idée, ce qui l’a forcé à abaisser sa cible de réduction de 100% à 75%.

Une autre initiative a été de louer plutôt qu’acheter les costumes, les décors et les accessoires pour éviter la tentation de les jeter par la suite.

Une autre initiative, plus concluante cette fois, a été de louer plutôt qu’acheter les costumes, les décors et les accessoires pour éviter la tentation de les jeter par la suite. « Nous avons pris des ententes autant avec de grands costumiers ou des magasins de vêtements comme Simons ou Le village des Valeurs, pour obtenir des prêts de vêtements », illustre le producteur. « C’est un réflexe à développer, résume-t-il. Il faut se demander quelles sont les options de prêt ou de location. Cela demande beaucoup d’ingéniosité pour trouver des solutions qui ne sont pas nécessairement en place à l’heure actuelle. »

Écouter son équipe

Parfois, les solutions viennent des départements eux-mêmes. Elsa Tokunaga se rappelle avoir simplement demandé à la personne responsable de la cantine s’il existe une alternative aux nombreux emballages individuels en plastique provenant des collations de croustilles ou de mélanges de noix. Un mois plus tard, la responsable du craft a elle-même pris l’initiative de construire une station de distribution de collations en vrac, composée de longs tubes en plastique.

« Plusieurs changements ont été initiés par les équipes de production, confirme Elsa Tokunaga. Une équipe venait me voir avec une idée, et j’espérais pouvoir favoriser sa mise en place. C’était une conversation très excitante. »

Des changements « structuraux » à prévoir

Dans son étude de cas, l’équipe de This Hour Has 22 Minutes précise qu’elle a choisi de concentrer ses efforts sur ce qu’elle pouvait contrôler « en interne ». Questionnée à savoir quelles sortes de mesures « collectives » pourraient aider l’industrie audiovisuelle à prendre le virage écoresponsable, la productrice Tracey Jardine a pointé vers un accès à des véhicules et des génératrices électriques. « Lors d’une production à l’extérieur, le transport représente une part importante de l’empreinte carbone », explique-t-elle.

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« Le recyclage, incluant le papier et les canettes, c'est nous qui devions le ramener à la maison à la fin de la journée de tournage. » Vincent Chabot, producteur et président Koze Productions

Dans son livre vert, l’équipe de Vidanges a pour sa part ciblé des lacunes au niveau des infrastructures municipales. En cours de tournage, Vincent Chabot s’est rendu compte que la ville n’offrait pas d’accommodements pour recevoir un gros volume de matières à recycler ou à composter. « Même si nous faisons le tri à la source - à partir d’une station de tri artisanale – , nous n'avions pas de façon simple de disposer de ces matières; notre traiteur a accepté de prendre le compost. Le recyclage, incluant le papier et les canettes, c'est nous qui devions le ramener à la maison à la fin de la journée de tournage. »

Selon Vincent Chabot, les maisons de productions ont encore beaucoup « d’exploration et d’innovation » à faire pour qu’un plateau vert devienne la « norme » de l’industrie. « La méthodologie est en train de se développer », explique-t-il. Pionnières du mouvement, Koze Productions et IoM Media participent à développer cette méthodologie… un geste à la fois !


Philippe Jean Poirier
Philippe Jean Poirier est un journaliste indépendant couvrant l'actualité numérique. Il explore l'impact quotidien des technologies numériques à travers des textes publiés sur Isarta Infos, La Presse, Les Affaires et FMC Veille.
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