Quand l’environnement devient l’écran
Grâce à des moyens toujours plus avancés, les écrans sont sortis de leur écrin pour englober l’auditoire, lui permettant de se fondre dans les univers fictifs. Établi à Toronto, le studio immersif Secret Location a récemment fait évoluer ses productions au-delà des casques de RV et des écrans portables. Ce type de contenu émergent nous ouvre les portes de mondes enfouis dans les moteurs de jeux, et on y circule aussi aisément que si l’on entrait dans une pièce. Illuminarium, entreprise de divertissement qui offre des expériences englobantes, s’est récemment associée à Secret Location et a ouvert sa première salle en sol canadien, dans le Distillery District de Toronto. Laura Mingail, collaboratrice à la section Futur et Médias, s’est intéressée à l’approche narrative en constante évolution d’Illuminarium et de Secret Location.
«Je n’ai jamais voulu me contenter de faire des films ou de créer des jeux vidéo», explique Ryan Andal, président et cofondateur de Secret Location. Avec son équipe, il s’amuse à passer d’un médium à l’autre. Secret Location a remporté le tout premier prix Emmy pour une expérience de réalité virtuelle (RV) et a lancé un jeu de RV multijoueur permettant aux participants de courir sur des murs virtuels. L’entreprise est déterminée à exploiter les plus récentes technologies pour produire des contenus mémorables. C’est ainsi que ses artisans se sont aventurés à élaborer des histoires qui pourraient être projetées sur les murs et sur les planchers, pour que toute la pièce devienne l’écran, et ils ont même ajouté au passage des séquences interactives. Leur premier jeu, Waking Wonderland – qui suit les descendants de la Alice d’Alice au Pays des merveilles, trois générations après l’histoire originale – a commencé à être présenté par Illuminarium l’an dernier.
Les espaces comme celui d’Illuminarium offrent aux membres de l’équipe de création un éventail de possibilités considérablement plus vastes que les salles de cinéma traditionnelles pour donner vie à leurs univers. « Pour moi, ce sont de véritables toiles vierges », dit Ryan Andal.
Immersion complète, sans lunettes 3D ni casque de RV
La projection architecturale, et tout particulièrement quand elle repose sur des contenus et de la technologie de haute qualité, permet à l’auditoire d’être plongé dans l’action sans utiliser de casque de RV ni même de lunettes 3D. À Illuminarium, on ressent la profondeur et les dimensions des contenus projetés sur les murs, comme ces astéroïdes tirés de l’expérience SPACE (espace), laquelle présente des images saisissantes captées à l’aide du télescope spatial James Webb. Et l’illusion d’immersion est renforcée encore davantage grâce à la technologie LiDAR (détection et télémétrie par ondes lumineuses), qui permet de suivre les mouvements des participant·es, ce qui a une incidence sur diverses portions visuelles et auditives de la présentation.
Comme l’histoire enveloppe littéralement chaque pièce, le public a la chance d’explorer les univers un peu comme s’il vivait une aventure en réalité virtuelle. Les gens ne sont pas assis pour regarder l’action se dérouler devant eux; ils sont au centre de l’espace et peuvent regarder tout autour d’eux. Les artistes doivent donc penser au-delà du cadre habituel lorsqu’ils et elles élaborent de nouveaux univers, afin que les auditoires vivent des moments uniques.
Pour donner forme à l’expérience, Illuminarium mise sur de multiples serveurs (qui pèsent près de 14 000 tonnes!), mais le public, lui, n’a à s’encombrer d’aucun équipement. Tout comme pour les contenus de réalité hybride, dont on peut profiter chez soi, ces expériences peuvent être adaptées de façon numérique à l’empreinte physique de n’importe quel lieu. C’est donc dire que même des salles de cinéma ou des salles de spectacle traditionnelles pourraient possiblement présenter des contenus plus immersifs grâce à des technologies comme la projection architecturale.
Interagir dans l’histoire
«Waking Wonderland vous donne l’impression d’entrer dans le livre… tout en étant dans un jeu interactif, tandis que SPACE s’apparente à un film immersif », explique Ryan Andal. Les séquences interactives varieront considérablement selon l’histoire. Dans un lieu comme l’Illuminarium, l’équipe de création n’aura pas à se limiter à un nombre fixe de séquences interactives. Comme c’est le cas avec n’importe quel médium, tout commence par une bonne histoire. Ensuite, il faut déterminer l’incidence que certains types d’interactions pourraient avoir sur l’expérience. Pour Waking Wonderland, l’équipe de Secret Location a intégré dans ses présentations de vrais acteurs et actrices, des séquences d’interaction numériques déclenchées par les mouvements du public et même des éléments olfactifs. L'entreprise prévoit éventuellement ajouter des micros dans les salles, pour que le contenu s’adapte aux sons émis par les participants, et des planchers plus réactifs sur lesquels l’auditoire ressentira les vibrations et le mouvement.
Parmi les titres à venir, Lite-Brite, Wild (aventure safari) et même une comédie musicale immersive basée sur Le magicien d’Oz. Toutes ces expériences mettront de l’avant des éléments immersifs en symbiose avec l’histoire. Ajoutons que les technologies sur lesquelles mise Illuminarium ne la contraignent pas à se limiter aux surfaces planes, comme les murs et les planchers. Ryan Andal et son équipe réfléchissent à la possibilité d’élaborer des soirées-repas immersives comme Le Petit Chef (événement qui se tient dans 45 villes dans le monde), des défilés de mode et des spectacles de musique.
L’auditoire participatif
Grâce à ce type de contenu narratif immersif sans casque de RV, les auteurs ont la chance d’apprendre rapidement ce qui fait réagir le public. Ainsi, ils peuvent corriger le tir et ajouter des options en se basant sur les réactions, les gestes et les interactions de l’auditoire avec le contenu. Pour d’autres formes de présentations numériques, les données d’utilisation sont plus limitées; par exemple, on pourra tirer de l’information de l’endroit où l’utilisateur regarde ou encore on pourra déterminer s’il avait compris qu’il y avait une interaction possible à un moment précis de l’histoire.
Mais dans le cas qui nous intéresse, les artistes vivent l’expérience avec le public. Ainsi ils peuvent apporter des changements et tester les mises à jour sur le terrain plus rapidement, qu’il s’agisse du contenu projeté ou de tout autre ajout. Il est aussi possible de personnaliser certains passages en fonction de l’auditoire ou des heures de projection.
Programmation pour publics divers
Chez Illuminarium, la capacité d’accueil varie en fonction des sites, et l’expérience du public diffère également. Par exemple, compte tenu du contenu diffusé présentement, le site de Toronto peut recevoir jusqu’à 50 personnes. Mais pour d’autres présentations, le même site peut accueillir jusqu’à 200 personnes. La programmation est ajustée en fonction d’un public changeant de façon à optimiser la capacité d’accueil. En cela, le site est semblable à une salle de cinéma : du contenu familial est présenté le jour, puis, après une pause d’une heure pour permettre les ajustements nécessaires, on passe à du contenu adapté à un public plus mûr, le tout dans le même lieu. L’Illuminarium d’Atlanta a aussi expérimenté une programmation pour publics divers, offrant des cocktails lors des présentations nocturnes de SPACE. On y présente également des soirées Monday Night Football immersives, avec nourriture et boissons.
Bien sûr, quelques centaines de personnes ce n’est rien à côté de ce que permettent d’autres expériences immersives gratuites et sans casque de RV. Par exemple, Sphere, à Las Vegas, accueille 18 600 personnes captivées par du contenu présenté sur des écrans à DEL courbés. Les lieux de présentation influent assurément sur le contenu. Des salles intimes donneront assurément au public la chance d’avoir une plus grande incidence sur l’histoire, ce qui contribuera à améliorer le sentiment d’immersion.