La valeur des fandoms dans la compréhension des auditoires

Le concept de fandom ― c’est-à-dire, une sous-culture propre à un ensemble de fans ― prend de plus en plus de place dans l’univers des études de marché. Alors que les fans représentent les membres les plus dévoués et enthousiastes d’une base de consommateurs, les fandoms s’intéressent à la connexion des fans à une communauté plus large ayant des caractéristiques et des règles propres à elle-même. Reconnaissant les avantages que la fidélité des fans représente pour les marques et les propriétés intellectuelles du divertissement, les entreprises s’intéressent de plus en plus au fonctionnement des fandoms et aux façons d’encourager la collaboration entre les fans et les sociétés de production pour assurer le succès de projets bien-aimés.

Qu’est-ce qu’un fandom?

En 2016, l’agence de marketing Troïka a publié un rapport approfondi sur les différents mécanismes des fandoms. Le rapport décrit les fandoms comme «une histoire d’amour» qui est animée par trois grandes motivations: la prise en charge de soi, le lien social et l’identité. En s’engageant dans quelque chose qu’ils aiment et avec lequel ils sont à l’aise, les fans peuvent utiliser les émotions que leur fait vivre leur fandom pour aider à composer avec des événements de la vraie vie. Les fandoms permettent également à leurs membres de tisser des liens avec des personnes qui partagent les mêmes idées qu’eux ainsi que de s’exprimer en intégrant ce qu’ils aiment à leur personnalité et à leur communauté.

Aussi, les fans sont créatifs, ce qui leur permet d’ajouter une immense valeur à leurs projets. Dans son livre intitulé Fans, Bloggers, and Gamers: Exploring Participatory Culture, le chercheur Henry Jenkins évoque le concept d’intelligence collective, qui décrit la façon dont les fans mettent en commun leurs connaissances et leurs ressources lorsqu’ils s’attaquent à leurs œuvres préférées. Pensez à une page Reddit pour The Bachelor, où les fans de la série cherchent des indices sur qui sera la prochaine prétendante à rentrer chez elle, ou à un club de tricot créant, avec de la laine et du fil, les personnages emblématiques de l’univers de Harry Potter. L’intelligence collective et la créativité des fans témoignent du désir de ces derniers de prendre des éléments de ce qu’ils aiment et de les reconstituer de manière significative. L’expression de l’amour peut souvent prendre la forme d’un mème comique, d’une vidéo émouvante ou d’un costume parfait, pour ne citer que quelques manifestations. Alors que de nombreuses entreprises se sont traditionnellement préoccupées de ce type de reconstruction par les fans, une partie centrale du dévouement des fans est la capacité à personnaliser le contenu pour soi-même afin de créer des liens profonds et significatifs avec les œuvres.

Où sont les fandoms?

La plupart des fandoms se trouvent en ligne. Bien qu’un premier balayage à l’aide de termes de recherche clés puisse révéler une grande activité de fans, des considérations plus complexes doivent être prises en compte afin de mieux comprendre des fandoms donnés.

Les messages de fans sur les différentes plateformes de médias sociaux prennent des caractéristiques différentes selon la plateforme dont il est question. Instagram, par exemple, est idéale pour les contenus basés sur des images, comme les mèmes, tandis que l’instantanéité et la brièveté de Twitter permettent de partager des réactions en direct. Il existe également des sites consacrés à des genres créatifs précis, comme AnimeMusicVideos.org (un hub pour les fans qui combinent des clips animés avec de la musique) ou Archiveofourown.org (où des auteurs de fanfiction publient des articles portant sur des sujets allant des livres aux célébrités), dont certains ont une longue histoire comme communautés physiques avant l’avènement d’Internet. Plus récemment, un article publié sur The Verge révélait que Zoom est un nouveau point de rencontre de fans qui se réunissent pour partager virtuellement leurs émissions et musiques préférées.

Qu’il s’agisse d’un fandom ayant un long héritage ou d’un groupe d’appels visio nouvellement formé, chaque fandom exige le respect et l’attention lors des recherches, tant en ce qui concerne les personnes qui le composent que l’information que les fandoms fournissent à leur sujet. Les meilleures études sont produites en ayant recours à diverses approches, à des enquêtes reposant sur des chiffres et à des entretiens ethnographiques reposant sur des détails. Les chercheurs adoptent souvent des méthodes immersives en interagissant avec les fans de manière à produire un aperçu intime et à assurer une interaction continue.

Il existe une branche émergente des études de marché en phase avec les fandoms et composée de chercheurs qui ont dépassé la nature quantitative du domaine pour y intégrer des approches qualitatives. Plusieurs chercheurs ont qualifié cette approche d’anthropologie des fans, car elle utilise des méthodes ethnographiques qui préservent la nuance de l’expérience humaine. Par exemple, Susan Kresnicka, la chercheuse derrière le rapport produit par Troïka, affirme ceci dans un article publié dans Variety: «nous devons comprendre la forme la plus profonde de la valeur que nous créons pour les gens si nous voulons un jour traduire pleinement cette valeur en cours d’actions, en dividendes et en salaires.»

De plus, Fanthropology, une agence dont le nom laisse entrevoir cette nouvelle appréciation de la culture des fans, propose une approche orientée vers le public qui consiste notamment à aider les partenaires des studios à développer des projets et à les commercialiser en tenant compte des fans. Ces chercheurs reconnaissent l’importance de l’engagement émotionnel qualitatif, qui contribue non seulement à la fidélité et à la satisfaction des consommateurs, mais aussi au succès et à la longévité des projets.

L’importance des fandoms pour des productions canadiennes

L’un des principaux atouts de la production médiatique canadienne réside non pas dans son ampleur, mais plutôt dans sa résonance culturelle.

Le paysage médiatique canadien privilégie la diversité, la complexité et la spécificité culturelle ― ce qui permet à des sujets et à des voix de niche de briller. Ces valeurs créent un environnement idéal pour des fandoms soudés ayant des liens culturels forts avec les titres qui leur tiennent à cœur.

Des projets canadiens ont déjà produit certains des fandoms les plus positifs et les plus engagés: les Earpers (les fans de Wynonna Earp), les Kimbits (les fans de Kim’s Convenience) et les Schittheads (les fans de Schitt’s Creek) en sont des exemples notables.

L’étude sur les fandoms peut démontrer la valeur des projets canadiens de manière à compléter ou même à s’éloigner des mesures traditionnelles, comme les critiques et les recettes de billetterie. Cette approche qualitative et culturelle nous permet d’en apprendre davantage non seulement sur le succès de certains titres, mais aussi sur la richesse culturelle qui, en fin de compte, fait la valeur des projets médiatiques.


Jessica Yang
Jing Xian (Jessica) Yang est candidate au doctorat à la University of Southern California. Elle y étudie le point d’intersection entre les nouveaux médias et la recherche sur les communautés de fans (les fandoms). Elle a complété son premier cycle universitaire à l’Université de la Colombie-Britannique avec une double majeure en psychologie et en études cinématographiques. Elle vise à harmoniser les méthodes quantitatives, les études culturelles et les analyses textuelles en vue de mieux saisir les nuances et complexités des tendances et communautés en ligne.
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