Justice
Même si le système criminel et carcéral en est un qu’on essaie tous d’éviter, nous croisons régulièrement, sans le savoir, de jeunes contrevenants, des ex-détenus, et des victimes d’actes criminels. Au lieu de fuir cet univers parallèle, Karine Dubois et son équipe y ont plongé sans détour à travers la minisérie documentaire Justice. Porte ouverte sur un monde de regrets et d’espoirs.
Centre de réadaptation Cité-des-Prairies de Montréal (Crédit photo: Picbois Productions)
Les débuts
Pour la productrice Karine Dubois, la véracité et la qualité des informations ont toujours été prioritaires : « Le fil conducteur de mon parcours, c’est le contenu. » Après des études en journalisme, Karine Dubois a, en effet, beaucoup travaillé en recherche pour du documentaire, et à titre de consultante web sur divers projets où les contenus sont mis de l’avant. Avant de fonder son entreprise Picbois Productions, elle a produit le film Un trou dans le temps, en collaboration avec les Productions Virage. « J’ai appris le métier de productrice en faisant ce projet. Je me suis longtemps demandée si j’allais continuer à travailler pour les maisons de productions des autres. Je travaillais tellement fort que je trouvais ça difficile d’apposer le logo des autres sur mon travail! » Le reste fait partie de l’histoire.
Néanmoins, Un trou dans le temps, qui aborde la réalité de détenus qui purgent de longues sentences, aura été un précurseur à la série Justice : « Ce film nous a mis en contact avec plusieurs réalités connexes qu’on voulait aborder. C’est ce qui a donné l’idée à la réalisatrice Catherine Proulx de présenter les différents aspects ensemble, comme un tout. Le film a été réalisé en 2007, et à cette époque, c’était dans l’air du temps de présenter la justice en opposition, comme si donner des droits aux victimes exigeait absolument d’en enlever aux détenus. » Pourtant, ce que Karine Dubois et Catherine Proulx avaient entendu, sur le terrain, était contraire à cette vision : « On avait l’impression que les réalités se ressemblaient plutôt que s’opposaient. Un détenu qui est emprisonné à vie et une victime d’acte criminel pouvaient tous les deux nous parler de l’effritement de la relation avec les proches, du sentiment de solitude, de la souffrance. Alors, ça se rejoint beaucoup. Le triptyque, détenus, victimes et jeunes contrevenants, s’est donc imposé. On a vraiment évalué toutes les options possibles pour ce projet avant de trouver le bon format. Ça aura pris plusieurs années avant d’avoir une confirmation définitive, mais finalement, ce qui a fonctionné, c’est la formule de trois documentaires d’une heure, à Télé-Québec, avec un volet web complémentaire. »
La réalisatrice Catherine Proulx
Travailler sans modèle
En production télévisuelle, les équipes mettent habituellement en place un gabarit d’épisode, et reproduisent le modèle d’un épisode à l’autre afin de faciliter et d’accélérer le processus. Dans le cas de la minisérie Justice, chaque épisode avait son défi de réalisation particulier : « Dans le cas des jeunes contrevenants, on ne pouvait pas montrer les visages des adolescents, mais il fallait quand même arriver à transmettre des émotions. Pour les victimes, il fallait évoquer des événements qui avaient eu lieu dans le passé, mais on ne voulait pas faire de reconstitutions. Et pour les ex-détenus, le défi était de rendre compte de leur réinsertion graduelle, alors qu’on ne pouvait pas filmer en temps réel. » Un tel travail a constitué un réel défi de temps, avec jusqu’à 25 jours de montage par épisode d’une heure; beaucoup plus que les équipes fonctionnant sur des modèles établis : « C’est une minisérie, mais en réalité, c’est comme si nous avions produit trois documentaires sur des sujets différents! »
La productrice Karine Dubois (Crédit photo: Julie Artacho)
Une réalité percutante, avec doigté
« Sans ce projet, on ne serait jamais allé explorer ces univers-là » admet la productrice. « On a fait des rencontres fortes. C’est très confrontant. Par exemple, la première fois qu’on entre dans un centre jeunesse, c’est un choc. Devant un jeune contrevenant, tu es atterré, tu as peur, mais graduellement, tu comprends les dynamiques qui l’ont façonné. Surtout, tu comprends le travail exceptionnel qui est fait par les intervenants. Nous, on est en admiration devant les gens qui travaillent sur le terrain. On a voulu partager nos découvertes et faire vivre aux spectateurs ce qu’on a vécu. »
Encore là, la véracité du propos tient une place majeure dans la production : « C’est important que notre travail reflète vraiment ce que les gens vivent dans le milieu. Ceux qu’on a reçus en entrevue nous remercient d’avoir fait un film qui correspond bien à leur réalité et d’avoir su la mettre en images. C’est notre reconnaissance ultime. On veut montrer ce que le public ne voit pas d’habitude, en s’efforçant de ne pas prendre parti. » Pour s’assurer d’être le plus fidèle possible aux différentes réalités, Karine Dubois et son équipe ont fait leurs devoirs : « La phase de recherche, c’est énorme, mais c’est ce qui donne de bons résultats. On connaît notre sujet sur le bout des doigts avant d’aller filmer. On développe sur du long terme, on s’implique et on bâtit un lien de confiance entre nous et les intervenants. On ne veut pas piéger les gens ni être voyeur ou racoleur. » Et cette éthique de travail a été gage de succès. Alors que la productrice s’attendait à déclencher un débat suite à la diffusion, la série Justice a, au contraire, été reçue très favorablement : « En fait, je m’attendais à aller à la guerre et à devoir défendre notre point de vue, mais les commentaires ont été positifs. Les téléspectateurs étaient reconnaissants qu’on leur ait fait voir les choses autrement. »
À travers les liens tissés, les organismes avec qui Picbois Productions avaient travaillé sont devenus des ambassadeurs : « On voulait que les gens du milieu puissent s’approprier le projet pour en parler. » Et ç’a fonctionné, puisqu’un an après la diffusion originale à la télévision, le projet Justice continue de faire son chemin : « Ce genre de projet là a une vie à long terme. C’est intemporel. Par exemple, pour l’épisode sur les ex-détenus, on a fait une tournée de diffusion dans dix villes avec un des organismes avec qui on travaille maintenant. Petit à petit, on continue d’aller chercher le grand public. »
Justice - Picbois Productions
Changer les perceptions
Sujet abordé plus souvent en série de fiction que de documentaires, on peut se demander pourquoi Karine Dubois et son équipe ont décidé d’aborder le thème des criminels et des victimes : « C’était important d’en parler, parce qu’on s’est rendu compte que la justice, c’est un sujet sur lequel tout le monde a des opinions, mais c’est rarement basé sur des faits. » En effet, le sujet est souvent très émotif, empreint d’idées reçues et de préjugés. Le décalage peut parfois être grand entre ce que les intervenants du milieu vivent et ce que les médias véhiculent : « Les émissions de télévision sur la justice ont tendance présenter le 1 % des cas sensationnalistes. Nous, on voulait parler des 99 % qui correspondent à la grande majorité des cas. L’objectif, c’est que les gens nuancent leurs opinions sur la justice. On veut que les spectateurs réussissent à absorber des faits, à sortir de leurs idées préconçues et à comprendre pourquoi certaines choses fonctionnent comme telles. C’est ce qui nous motive. »
Bref, Karine Dubois a le vif désir de montrer les choses telles qu’elles le sont, et ce, dans toutes ses productions : « Un de nos futurs projets parle d’immigration. Ça présente des jeunes d’une classe d’intégration à Montréal. Ils sont vraiment allumés, touchants et ils parlent un français impeccable. Ça brise les préjugés. » Ainsi, à l’image du pic-bois qui creuse les arbres morts pour y trouver de la vie, Karine Dubois tente par tous les moyens de trouver la vérité dans le chaos des idées préconçues. Et maintenant plus que jamais, on en a vraiment besoin.
La minisérie Justice est disponible sur le site de Télé-Québec. Pour en savoir plus sur les thématiques abordées, vous pouvez suivre la série sur Facebook, sur Twitter et sur le site officiel.