Section 2: Des publics connectés
Où et comment les publics regardent-ils leurs contenus?
Par Nicole Matiation
Responsable du secteur de la production audiovisuelle, Nordicity
Il semblerait que les publics soient désormais aux commandes pour décider quoi regarder, où, quand et comment.
Selon des données de Statista, les Canadien·nes de 16 à 64 ans passent en moyenne 6 heures 18 minutes par jour sur Internet au moyen de leur tablette, de leur ordinateur et de leur téléphone — ce dernier accaparant près de la moitié de cette durée (graphique 2.1) 1. Le portrait général est semblable tant chez les anglophones que chez les francophones.
Les cohortes plus jeunes (16 à 34 ans) sont les plus actives en ligne 2, qu’elles interagissent sur les médias sociaux, communiquent avec leurs pairs, cherchent de l’information, jouent ou écoutent du contenu audiovisuel. 3
Bien que divers appareils permettent aux publics d’accéder à leur contenu, le téléviseur demeure omniprésent. En avril 2023, l’Observateur des technologies médias (OTM) rapportait que 91 % des ménages canadiens possédaient un téléviseur.
Ce chiffre a peu varié au cours de la dernière décennie. Ce qui a changé c’est la connectivité des téléviseurs.
En combinant les téléviseurs et les appareils de diffusion, la proportion de ménages anglophones ayant une télévision connectée (d’une manière ou d’une autre) est passée de 73,3 % en 2020 à 89,7 % en 2023, une hausse de 16 points. L’augmentation est d’autant plus marquée dans les ménages francophones, pour qui l’utilisation d’un appareil connecté est passée de 55,3 % en 2020 à 73,5 % en 2023 (graphique 2.2) 4.
Les deux groupes linguistiques présentent aussi d’autres différences. Ainsi, les francophones rapportent moins de temps passé en ligne. Le temps d’utilisation quotidien du téléphone par les 16 à 24 ans est légèrement plus élevé chez les anglophones (4 heures 14 minutes) que chez les francophones (3 heures 33 minutes).
Une bonne compréhension des habitudes de consommation de contenu de chaque segment du public peut contribuer au succès de la promotion de la programmation.
La télé linéaire tient bon
Fait essentiel pour les diffuseurs traditionnels et les plateformes de diffusion en continu : les publics canadiens, anglophones comme francophones, passent en moyenne 3 heures 25 minutes par jour à regarder la télévision linéaire ou sur demande, indique un sondage de Global Web Index (GWI) (graphique 2.3) 5.
Un tel constat pourrait contribuer à maintenir les investissements publicitaires en télévision linéaire, bien que les annonceurs augmentent leurs dépenses dans la publicité numérique.
Cette durée est de 3 heures 16 minutes pour les plus jeunes, et de plus de trois heures et demie chez les 55 à 64 ans.
Les publics plus âgés sont ceux qui se retrouvent le plus devant la télévision linéaire avec une moyenne quotidienne d’au moins deux heures, et ce à partir de 25 ans chez les francophones et de 35 ans chez les anglophones.
Point remarquable: même les plus jeunes cohortes regardent encore environ 90 minutes de télévision linéaire par jour. Il semble que les plateformes de diffusion en continu et les entreprises technologiques intéressées à « conquérir le salon » aient un coup transgénérationnel à jouer.
À la conquête du salon
Toujours d’après GWI, en 2023, pour tous les groupes de plus de 25 ans et dans les deux marchés linguistiques du pays, le type de contenu numérique payant le plus répandu au cours du mois précédent était l’abonnement à un service de diffusion (graphique 2.4).
Lorsque la question des plateformes de diffusion en continu utilisées au cours du dernier mois est abordée, YouTube est mentionnée par 71,7 % des anglophones de 16 à 24 ans, en tête suivie de près par Netflix avec 70 % (graphique 2.5). Les deux plateformes étaient largement en avance sur les autres services, bien en dessous de 50 %.
Pour toutes les autres catégories d’âge dans les deux marchés linguistiques, YouTube se classe en deuxième position.
La cohorte anglophone de 35 à 44 ans présente d’autres différences intéressantes. On note de plus faibles écarts entre les quatre services les plus populaires, et il s’agit du seul groupe d’âge à nommer les trois services de YouTube (YouTube, YouTube Premium et YouTube Kids).
La plateforme gratuite avec publicité Pluto TV apparait dans le palmarès des 10 premières chez les anglophones de 45 à 64 ans (NdT: ces plateformes sont souvent connues sous l’acronyme en langue anglaise FAST pour « free ad-supported television »).
Bien que les publics aient accès à des contenus canadiens sur Netflix et YouTube, les données révèlent qu’ils choisissent aussi les services canadiens.
Crave fait partie des 10 services les plus populaires dans toutes les catégories d’âge. CBC Gem se place juste derrière en onzième position chez les anglophones de 25 à 34 ans, et tient une place importante parmi les plateformes favorites des 35 à 64 ans.
Tou.tv et Crave figurent aussi dans toutes les catégories d’âge du marché francophone. Fait intéressant, les francophones de 55 à 64 ans ont aussi inclus CBC Gem dans leur palmarès. Le nombre plus élevé de services canadiens dans le marché francophone pourrait être lié tant à un désir de contenu en français qu’à la volonté de regarder du contenu original produit au pays.
En tant que service dominant dans presque toutes les tranches d’âge au Canada, Netflix comptait 19,3 millions d’abonnements au Canada en 2023 selon Statista 6. Et bien qu’utilisant des mesures différentes, YouTube jouit aussi d’un grand niveau d’engagement.
Ainsi, selon Comscore, YouTube atteint 98 % de toute la population canadienne, ce qui en fait la première plateforme vidéo avec publicités au pays. La télévision connectée est devenue pour YouTube l’interface de liaison avec le public ayant connu la plus rapide progression au Canada au cours des cinq dernières années, avec plus de 17 millions de personnes qui accédaient à la plateforme depuis leur téléviseur en 2023. De plus, 60 % du temps de visionnement de YouTube sur une télévision connectée est maintenant consacré au contenu de 21 minutes ou plus 7.
Ces données laissent entendre que les publics sont intéressés à utiliser YouTube pour regarder du contenu sur un plus grand écran, possiblement dans un espace commun, ce qui traditionnellement était l’apanage des diffuseurs traditionnels et des plateformes de diffusion en continu.
L’engagement avec le deuxième écran
L’utilisation d’un deuxième écran tout en regardant la télé est un aspect à étudier de près pour les personnes impliquées dans la production et la distribution qui cherchent à l’intégrer dans leurs campagnes de marketing. Le graphique 2.6 indique la façon dont les Canadien·nes ont utilisé leur deuxième écran tout en regardant autre chose en 2023, selon des données de GWI.
Anglophones et francophones de tous âges ont affirmé que le second écran leur sert la plupart du temps à discuter avec leur réseau, en particulier les 16 à 44 ans (50 % à 62 %). Les plus de 45 ans sont cependant plus susceptibles d’utiliser le deuxième écran pour lire leurs courriels (plus de 50 %).
Les médias sociaux constituent le deuxième usage le plus répandu du second écran, par environ la moitié des 16 à 44 ans, 45 % des 45 à 54 ans, et 34 % des 55 à 64 ans.
L’utilisation d’un deuxième écran « pour interagir avec du contenu en ligne » ou « pour partager mon opinion sur une émission » passe bien en dessous de 15 % dans tous les groupes d’âge.
Tout cela nous indique que l’utilisation des médias sociaux pour soutenir le bouche-à-oreille promotionnel du contenu sur les médias sociaux et via l’envoi de messages directs à la famille et aux proches semble être un bon moyen d’atteindre le public.
L’attention de l’auditoire: un nouvel indicateur clé
Bien que toujours plus de données soient recueillies, il n’existe pas encore de standard de mesures parmi les plateformes de distribution d’échelle et de portée semblables.
Alors que les plateformes de diffusion en continu se concentrent désormais sur la rentabilité, les informations qu’elles partagent portent essentiellement sur leur capacité à retenir l’attention du public. Les agences de publicité s’intéressent non seulement à la taille du public (nombre d’abonnements), mais aussi au niveau d’activité ou d’engagement (nombre d’heures de visionnement).
En 2023, Netflix a publié son premier rapport semestriel sur l’engagement mondial, fondé sur ses propres mesures d’heures visionnées et son top 10 déjà établi de titres par pays et par semaine. Le document porte sur plus de 18 000 titres qui occupent 99 % de tout le visionnement sur Netflix (seuls les titres regardés durant plus de 55 000 heures sont inclus) et représentent 100 milliards d’heures.
Plus tôt cette année, YouTube annonçait avoir franchi les 8 millions d’abonnements à son service YouTube TV dans le monde. Du même coup, la plateforme révélait que le contenu YouTube regardé sur un écran de télévision s’élevait en moyenne à un milliard d’heures par jour.
Les chiffres publiés par Netflix et YouTube visent à impressionner les investisseurs, mais les informations qui pourraient aider les maisons de production (et les services de radiodiffusion et de diffusion en ligne concurrents) à mieux comprendre le public sont rares. Dans un marché régi par une relation directe à l’auditoire qui s’avère très compétitif, les géants de la tech et les plateformes de diffusion en continu étudient avec soin le comportement des publics à l’aide de plusieurs mesures, dont les données d’abonnements et l’interaction avec les publicités et les émissions.
Ainsi, bien que les publics choisissent encore ce qu’ils regardent et où et quand ils le font, ces choix sont convertis en autant de données utilisées pour prédire et influencer leur activité future. La télévision connectée, associée aux changements réglementaires attendus, pourrait offrir aux diffuseurs canadiens une occasion de développer activement un modèle direct offrant plus d’opportunités ciblées pour programmer des contenus à l’attention de publics toujours plus diversifiés. Les sociétés de production, également en quête de données d’auditoire, devront vraisemblablement continuer de se contenter des informations publiquement accessibles, mais elles pourraient tirer leur épingle du jeu en observant les tendances de consommation de contenu selon le groupe d’âge, la langue, le groupe communautaire et le pays. Certes, le contenu reste roi, mais les données sont bel et bien la nouvelle monnaie d’échange.
NOTES
- Daily time spent using the internet in Canada as of third quarter 2023, by device” (Statista). https://www.statista.com/statistics/1378405/internet-time-spent-daily-canada-by-device/.
- PCs/laptops, mobile, streaming, and social media combined, d’après la terminologie de GWI
- GWI
- GWI: Smart Tv and Streaming Stick/Device use 2020 to 2023
- Cette valeur a été calculée en prenant les moyennes d’heures passées à regarder la télévision linéaire et le streaming dans chaque groupe d’âge, comme le montre dans le graphique “Temps quotidien moyen consacré aux médias numériques par les personnes interrogées en 2023 (en minutes)”. Les données incluent les marchés anglophones et francophones.
- « Number of Netflix viewers in Canada from 2017 to 2025» (Statista)
- Données internes de YouTube, décembre 2022.
- Ces chiffres correspondent à la moyenne du nombre d’heures passées à regarder la télévision linéaire et en continu dans chaque groupe d’âge, comme le montre le graphique ci-contre. Veuillez noter que les données de ce graphique comprennent déjà les marchés anglophones et francophones.