«Coachs» pour enfants acteurs: des alliés pour les productions
Dans l’industrie des écrans, de nombreux accompagnateurs de jeu encadrent les enfants et les adolescents sur les plateaux de tournage. En quoi consiste leur travail? Et comment leur expertise aide-t-elle les productions à économiser temps et argent?
Depuis près de quatre décennies, Anik Matern est coach de jeu pour des productions télévisuelles anglophones au Canada. De Space Cases à This Life (l’adaptation anglophone de la série québécoise à succès Nouvelle adresse), cette pionnière bilingue aide les mineurs à construire leur personnage, à comprendre leurs textes et à suivre les indications des réalisateurs.
« Ce qui est le plus important pour moi, confie-t-elle, c’est que les comédiens s’approprient pleinement qui ils sont, car les enfants ont encore cette souveraineté, cette capacité d’être authentiques et spontanés dans leurs émotions et leurs actions. »
Elle reconnaît que son travail est plus que jamais important aujourd’hui en raison de l’accélération du rythme des tournages : « Avec tout le respect que je leur porte, les réalisateurs n’ont pas nécessairement le temps de tisser un lien de confiance solide avec les interprètes. Je m’assure donc d’en créer un à leur place pour que les jeunes jouent le mieux possible devant leur caméra. »
Comme de nombreux coachs, Anik Matern est parfois appelée en renfort pour aider un enfant à jouer une scène émotionnellement complexe. Même si elle n’est pas psychologue ni pédagogue, elle parvient toujours à explorer – avec respect et délicatesse – une part de la dimension intime de l’enfant.
« En fin de compte, toute l’équipe en bénéficie, parce qu’un jeune bien accompagné sera plus attentif à l’émotion recherchée et aura moins de prises à refaire », dit-elle, en se rappelant la fois où elle s’est ouverte sur le décès de son propre père pour permettre à une actrice endeuillée de jouer sa scène.
UN JEU D’ENFANT
Mais comment les coachs parviennent-ils à obtenir le résultat escompté chez les comédiens, sans jamais faire de l’ombre aux réalisateurs?
Pour le coach Flavien Demeure, il faut que le jeu reste un jeu. « Entre deux prises, je questionne souvent les jeunes sur leurs passions et motivations devant une partie de cartes UNO, par exemple. Puis, en fonction de leurs réponses, je les prépare à travailler une émotion », explique le trentenaire d’origine française, qui a toujours eu un rapport fort à l’enfance.
Sur le plateau du film Kanaval, il se souvient d’avoir volontairement triché durant une partie pour aider l’acteur Rayan Dieudonné à puiser en lui la frustration vécue par son personnage, un Haïtien de 9 ans forcé de quitter Haïti avec sa mère pour s’installer au Québec. « Je savais que Rayan était mauvais perdant, alors j’en ai profité », raconte-t-il, un sourire satisfait aux lèvres.
En complément de ces techniques personnalisées, les coachs jouent un rôle clé dans la gestion de l’énergie, de la motivation et de la fatigue des jeunes. Ils s’assurent, par exemple, que les scènes complexes soient, autant que possible, tournées en début de journée. Ils veillent aussi à ce que les comédiens aient suffisamment de pauses et de collations nutritives durant la journée.
OPÉRATION PROTECTION
Durant les tournages, les coachs sont aussi des « chiens de garde » pour les mineurs. Opérant selon un code de déontologie, ils veillent entre autres à ce que les orientations de mise en scène ne soient ni traumatisantes ni contraires à l’intérêt des comédiens.
« Nous sécurisons les jeunes, car l’industrie peut parfois être exigeante et intimidante », observe Flavien Demeure, qui s’assure d’être le « liant » entre les interprètes, les membres de la production et les réalisateurs. « Nous savons que les comédiens sont hypersensibles, ajoute Anik Martern. Nous ne voulons pas que leur passion du jeu s’éteigne à cause de mauvaises expériences. »
L’actrice Kiara Gaudin le confirme : sur le plateau de la comédie à sketches L’aréna, elle pouvait communiquer ses inconforts et ses craintes à sa coach de jeu, en cas de besoin. « Même si tout s’est bien déroulé, j’étais contente d’avoir une sorte de grande sœur à mes côtés. Parfois, j’étais plus nerveuse d’aller à l’école qu’en tournage où, là, je me sentais vraiment dans mon élément », dit-elle, du haut de ses 11 ans, en pensant à son rôle d’une hockeyeuse malhabile.
PARENTS ZEN, ENFANTS ZEN
Les accompagnateurs de jeu cherchent à établir une relation de confiance avec les parents (ou les adultes responsables) des jeunes. « Dès le premier jour, je clarifie mon implication et mes attentes envers les parents et je sonde leurs limites », souligne Flavien Demeure.
La mère de Kiara Gaudin admet que ces petits échanges font une grosse différence dans son quotidien. « J’apprécie quand les coachs me font un compte-rendu du travail de ma fille et qu’ils me mentionnent les points à améliorer dans son jeu. Ça me guide lorsque j’aide Kiara à répéter son texte à la maison », avoue-t-elle.
Pour assurer le bon déroulement d’un tournage, les coachs demandent toutefois au parent accompagnateur de ne pas jouer le texte avec leur enfant ni d’être un télésouffleur ambulant. « Étant moi-même comédienne professionnelle, je sais lire les sous-textes et connais bien les exigences du métier. Je suis la mieux placée pour aider le jeune, croit humblement Anik Matern, en citant le contre-exemple d’une mère contrôlante qui, voulant elle-même coacher sa fille avant une prise, a fini par la déstabiliser.
ENTRE L’OMBRE ET LA LUMIÈRE
Malgré les défis quotidiens, les accompagnateurs de jeu constatent que leur profession – qu’ils exercent souvent en parallèle à des contrats de comédien, d’assistant réalisateur ou de coordinateur aux candidats – est de plus en plus reconnue, valorisée et rémunérée à sa juste valeur.
« Nous sommes loin de l’époque où l’on ne comprenait pas l’utilité de notre métier qui, pourtant, était déjà bien populaire aux États-Unis, remarque Anik Matern. Aujourd’hui, les coachs canadiens savent qu’ils font une différence à bien des égards. »
Flavien Demeure mesure notamment l’impact de son travail à travers l’évolution des jeunes qu’il accompagne et la reconnaissance de ses pairs. « Il n’y a pas de tape dans le dos plus belle que ça », conclut-il en regardant le chemin qu’il a parcouru de la France au Canada pour faire sa place dans l’industrie des écrans.
