Le contenu canadien est sur la table – voici pourquoi c’est important
Par: Valerie Creighton
* Ce billet d'opinion a été originalement publié par Qui fait quoi et par CTVM
L’année 2022 a été marquée par un vif débat autour de la définition du contenu canadien; comment il nous façonne, nous représente et définit notre identité. À l’aube de 2023, la conversation arrive à un seuil critique autour d’une question cruciale : est-ce que les histoires qui reflètent ce que nous sommes, ce que nous avons été et ce à quoi nous aspirons en tant que peuple ont de la valeur ou pas?
Lors de son prochain examen de la réglementation entourant le contenu canadien, le CRTC passera en revue plusieurs points de vue divergents. Certains avancent que, sans histoires d’ici, nous n’existons pas. D’autres prétendent en revanche que nous faisons avant tout partie du marché nord-américain et que ça n’a pas d’importance.
Le milieu de la radiodiffusion se transforme partout, et le Canada n’y fait pas exception. La popularité des plateformes de diffusion en continu étrangères augmente tandis que la diffusion linéaire traditionnelle est de plus en plus sous pression au pays.
Certes, grâce aux plateformes et aux grands studios des États-Unis, nos publics bénéficient d’une offre de programmation abondante, qui nous vient de partout dans le monde.
De nombreux tournages internationaux en sol canadien renforcent aussi notre économie et créent de bons emplois. Les compagnies étrangères ont accès à nos meilleurs talents créatifs et à des équipes chevronnées tout en recevant du soutien financier grâce à nos programmes de crédits d’impôt.
Le défi maintenant : mettre à jour nos lois désuètes sur la radiodiffusion qui permettent aux entités étrangères comme Netflix, Apple TV+, Prime Video et Disney+ d’opérer à l’extérieur de notre système. Au plan des affaires, ces entreprises bénéficient de leur présence ici en y récoltant d’importants revenus, sans toutefois avoir l’obligation d’investir dans nos histoires – tout le contraire des diffuseurs canadiens qui se doivent de le faire selon la loi.
D’après des données de 2021, la production de services pour des plateaux étrangers (comme le tournage de séries ou de films américains à Montréal ou Vancouver) a bondi de 212 % en 10 ans. Pendant ce temps, la production nationale a chuté de 9 %.
Pourquoi c’est préoccupant? Même si plus de productions sont tournées ici, moins de nos histoires sont racontées.
En tant que chef de file en création de contenu, nous pouvons élargir la discussion sur l’image que nos histoires projettent de notre pays, ici comme ailleurs dans le monde. Elles sont le reflet de ce que nous sommes en tant que nation et en tant qu’individus. Elles témoignent de nos valeurs et de la place que nous occupons.
Et surtout, elles ont du succès!
Pour toi Flora et Sort Of ont devancé toutes les autres productions étrangères en remportant des prix aux prestigieux C21 International Drama Awards à Londres et aux Diversify TV Awards à Cannes.
Audrey est revenue a séduit le jury du festival Canneseries en remportant le Grand Prix Dior pour son originalité et son caractère innovateur, ainsi que le Prix Spécial d’Interprétation pour la qualité de sa distribution. Des diffuseurs majeurs comme Canal+ en France et RAI en Italie ont ajouté la production québécoise à leur programmation.
Lancée à la Berlinale, Le temps des framboises, première série dramatique réalisée par Philippe Falardeau, a été sacrée meilleure fiction à Genève et à Séoul en 2022.
La comédie Kim’s Convenience, qui raconte le quotidien d’une famille coréo-canadienne propriétaire d’un dépanneur torontois, a aussi séduit les Sud-Coréens. Repéré par les studios Marvel, l’acteur Simu Liu a par la suite décroché le rôle principal du film Shang-Chi et la légende des dix anneaux.
Produite et tournée à Montréal, avec des interprètes d'ici comme Laurence Lebœuf et Ayisha Issa, la série anglophone Transplant est l’une des fictions les plus regardées sur NBC aux États-Unis.
Ces contenus de chez nous — détenus, contrôlés et financés par des Canadiens et des Canadiennes — se sont beaucoup démarqués parce que notre système circulaire est la clé. L'argent reste au pays et est réinvesti dans davantage de nos histoires.
La modernisation de la Loi sur la radiodiffusion est présentement en cours, pour s’assurer que les règles du jeu soient les mêmes pour tous et pour obliger les plateformes de diffusion en continu à investir dans la production de contenus d’ici.
C’est un dossier à la fois complexe et simple. Nous souhaitons une collaboration efficace avec les entreprises étrangères au Canada, tant au niveau de la production de services que de l’investissement dans nos récits.
Pour cela, il est crucial de bien définir ce qui constitue précisément du contenu canadien. Est-ce que le simple fait de tourner au pays est suffisant? Les plateformes d’écoute en ligne et les compagnies étrangères le pensent. Or les Canadiens et Canadiennes veulent un système où la propriété intellectuelle demeure, du moins en partie, canadienne.
À travers le processus du CRTC, cette conversation plus que nécessaire (et possiblement enflammée) permettra de clarifier la question. Pour le Canada, ça compte.
C’est le moment de travailler ensemble, pour le bénéfice de nos forces créatives, de notre industrie et des publics du monde entier.
Valerie Creighton est Présidente et chef de la direction du Fonds des Médias du Canada, le plus important organisme de financement au pays pour le contenu canadien destiné aux plateformes audiovisuelles