Perspectives - Stratégies nationales, portée mondiale (Automne 2025)

Des politiques coréennes à la « K-Brand » : Créer une mine d’or de contenu

Par Jon Montes, Responsable de la recherche, Stratégie et intelligence d’affaires, et Irene Berkowitz, Consultante principale en recherche, Stratégie et intelligence d’affaires

La Corée du Sud a conquis la scène mondiale et engrangé des milliards de dollars en surfant sur une vague coréenne qui touche la musique, le cinéma, la télévision, l’animation et les jeux vidéo, sans oublier la popularité de sa mode, ses technologies, ses automobiles, ses produits cosmétiques et sa cuisine. Et ce n’est qu’un début.

À l’été 2025, le nouveau ministre de la Culture, du Sport et du Tourisme de la Corée du Sud, Chae Hwi-young a fait la une des journaux en promettant de pratiquement doubler la production de l’industrie culturelle de 154 T₩ à 300 T₩ (approximativement 300 G$). Le ministre estime qu’en raison de la popularité du contenu coréen, le secteur est une « industrie nationale clé » 1 ayant le potentiel de stimuler le PIB. 

Le succès des exportations culturelles de la Corée du Sud et la prestigieuse marque nationale sont le résultat d’un éloignement des stratégies protectionnistes dans les année 90. Une série de décisions politiques subséquentes ont encouragé la compétition et créé une demande sans précédent pour le contenu coréen, jetant les bases d’une industrie nationale ayant une envergure internationale.

Contenu : une industrie nationale

1993 a marqué un tournant. Après la sortie en salle de la mégaproduction américaine Jurassic Park, un groupe de travail gouvernemental a utilisé le film pour démontrer les liens entre la culture et les retombées économiques. Le président de l’époque, Kim Young-sam a fait remarquer que les profits du film représentaient l’équivalent de la vente de 1,5 million de voitures Hyundai, l’un des constructeurs automobiles sud-coréens les plus populaires. 2

La remarque du président soulignait sur le plan conceptuel la valeur des produits cinématographiques et télévisuels en tant que moteurs économiques. Concrètement, il a mis en œuvre une stratégie de création de studios de production et leur a fourni les instruments financiers clés nécessaires pour assurer la stabilité et la croissance des entreprises. Le gouvernement a classé la production médiatique comme faisant partie du secteur manufacturier du pays, à l’image des industries automobile et technologique. Ainsi, les studios avaient accès à des outils pratiques, par exemple la capacité d’emprunter aux banques et de recevoir des subventions, ce qui leur a permis de devenir des entités commerciales solides. 3

La stratégie a porté ses fruits, engendrant notamment la croissance rapide d’une structure à la Hollywood reposant principalement sur le financement privé, suivi d’exportations réussies en Chine et à travers l’Asie. 4 Après 1995, les exportations de contenu coréen ont été multipliées par quarante en moins de deux décennies, 5 un succès commercial qui a accéléré la vague coréenne. 

Aujourd’hui, la Corée du Sud utilise l’expression « industrie du contenu » plutôt que « industrie culturelle », mettant l’accent sur les « productions commercialisables du secteur » davantage que sur les œuvres artistiques. 6 Certaines personnes craignaient initialement que la création de contenu pour l’exportation diminue la contribution culturelle, mais le contenu coréen « est maintenant considéré comme une manifestation de la culture nationale et un moyen de préserver et renforcer l’identité culturelle de la République de Corée. »” 7

Or, le chemin vers le succès mondial n’a pas été entièrement linéaire.

Créer une demande par l’entremise de la concurrence

Orchestrer le succès médiatique de la Corée du Sud a pris des décennies. En comparaison avec les voisins que sont le Japon et la Chine, la population coréenne est relativement petite (51 millions d’habitants en date d’aujourd’hui), ce qui fait qu’il est difficile pour les sociétés de production de faire des profits avec seulement les ventes intérieures. Le contenu doit donc trouver preneur autant au pays qu’à l’étranger.

La déréglementation de la télédiffusion a possiblement été la politique la plus importante pour lancer la vague coréenne. Dans les années 90, le contenu importé du Japon était perçu comme une menace pour le marché intérieur et était donc fortement restreint. À la suite du changement de stratégie post-Jurassic Park, le gouvernement a pris la décision audacieuse de retirer cette restriction, suggérant que « la politique axée sur la protection […] est susceptible d’empêcher la Corée d’apprendre et de contribuer aux tendances culturelles internationales. » 8 Soudainement, les sociétées de production coréennes devaient attirer les spectateurs habitués au contenu étranger, ce qui fait que la créativité s’est épanouie. Les exportations coréennes ont augmenté à travers l’Asie et ont éventuellement atteint le Japon, renversant la dynamique qui existait auparavant et pénétrant un marché jadis considéré inaccessible.

Un revirement politique similaire a eu lieu dans le secteur cinématographique. 9 Pour protéger les films coréens, un quota d’écrans avait été mis en place. À son apogée, ce dernier forçait les cinémas à présenter les films pendant 146 jours. En 2006, les négociations commerciales avec les États-Unis ont mis de la pression sur la Corée du Sud, qui a réduit de moitié ce quota (à 73 jours). Des manifestations très médiatisées ont été déclenchées et certains observateurs ont prédit que le cinéma coréen serait dilué. 10 Le pays a répondu aux critiques en annonçant du financement supplémentaire pour le secteur, 11 et les craintes ne se sont finalement pas concrétisées. En 2023, les films coréens représentaient 48,5 % des recettes du box-office intérieur, au cinquième rang mondial derrière l’Inde, les États-Unis, le Japon et la Chine; aucun pays européen ne faisait mieux. 12 13 Ce chiffre a bondi à 58 % en 2024, avec des recettes totales de plus de 690 G₩ (environ 678 M$). 14

Source: Statista

Les incitatifs financiers ont également joué un rôle clé dans le développement de la K-Brand à travers les industries des écrans. En 1999, la Loi fondamentale pour la promotion des industries culturelles a mis en place des fonds et des crédits d’impôt afin d’augmenter l’investissement dans le contenu culturel de qualité, les coproductions, le marketing et les exportations. 15 En 2018, la Loi sur la promotion de l’industrie du jeu vidéo a alloué des fonds et des crédits d’impôt au secteur des jeux vidéo, incluant en recherche, en développement et en marketing des exportations.

En cette ère de la diffusion en continu, les diffuseurs coréens ont pris des mesures judicieuses pour concurrencer avec les plateformes multinationales et conquérir le public intérieur. Bien que Netflix demeure au sommet avec 8,2 millions d’abonnements en Corée du Sud, 16 le rival coréen Tving a connu une croissance régulière en tirant parti de ses solides racines dans le contenu national. 17 La fusion en cours entre Tving et Wavve, une autre application coréenne, créera une plateforme fusionnée avec plus de neuf millions d’abonnements, devenant un compétiteur sérieux pour Netflix. 18

Mobiliser les ressources pour répondre à une demande sans précédent

Forte de trois décennies de politiques avantageuses, la vague coréenne est devenue inarrêtable en ce qui a trait à la musique, au cinéma, aux séries télé et aux jeux vidéo. Baby Shark Dance, de Pinkfong, est la vidéo cumulant le plus de vues sur YouTube. Le record était précédemment détenu par une autre vidéo coréenne, Gangnam Style, de Psy, une vedette de la K-Pop. 19 Le succès au box-office Parasite de Bong Joon-ho est entré dans l’histoire en 2020 en remportant l’Oscar du meilleur film en plus de celui du meilleur film international. Squid Game est la série la plus regardée sur Netflix. 20 PUBG, une franchise de jeux vidéo/esports primée de l’éditeur coréen Krafton Inc, a des revenus supérieurs à 10 M$US. 21

PUBG Studios

Maximiser ce succès, comme le promet le ministre Chae Hwi-young, exigera d’augmenter la présence internationale et de multiplier les nouveaux partenariats. Les agences telles que l’Agence coréenne pour les contenus créatifs (KOCCA) se concentrent sur le maintien de l’intérêt mondial pour la culture coréenne et, par extension, l’investissement dans le contenu coréen à travers le monde. En 2019, KOCCA a ouvert son premier centre international en France. Il existe désormais 24 centres d’affaires à travers le monde (incluant à Toronto), avec d’autres ouvertures prévues. 22 Le Marché asiatique du contenu et du film (ACFM) a récemment élargi son champ d’action des simples ventes à « la promotion des coproductions internationales et des opportunités de cofinancement », une bonne nouvelle pour les producteurs. 23 En 2025, la Corée du Sud a été le tout premier pays d’honneur au Festival international des médias de Banff. De plus, une délégation de sociétés de production canadiennes a participé à l’ACFM. Ces échanges témoignent d’une harmonisation culturelle et d’une bonne volonté, même s’il faudra un certain temps pour obtenir des résultats, alors que les membres de l’industrie se familiarisent avec les différences structurelles entre les deux secteurs. 24

Enfin, une expansion accrue demandera de nouveaux outils. Le ministre Chae a récemment souligné que l’émergence de l’intelligence artificielle (IA) est un moment décisif pour la Corée du Sud. Il s’est engagé à intégrer l’IA dans l’ensemble du secteur culturel du pays et à « mettre en place une stratégie d’innovation pour la création, la production et la distribution de contenu IA. » 25 Conformément à la tradition sud-coréenne en matière d’adoption technologique, l’innovation numérique créera sans aucun doute de nouvelles opportunités pour le pays. 

Le ministre reconnaît néanmoins l’existence de certains obstacles très concrets pour atteindre son objectif.

L’un des défis consiste à garantir que l’industrie intérieure profite du succès financier de la K-Brand. KPop Demon Hunters (2025), un succès fulgurant qui était le film le plus regardé sur Netflix au moment d’écrire ces lignes, est basé sur un concept de la réalisatrice canado-coréenne Maggie Kang qui a été développé par Sony et distribué par Netflix. Selon Kang, le succès du film « démontre à quel point la culture coréenne a évolué et est devenue une force culturelle. » 26

Sony Pictures Animation

Le ministre a toutefois noté lors de son audition de confirmation qu’il y a une dissonance dans le fait que ce film a été produit et distribué par des multinationales plutôt que par l’industrie coréenne. Il a d’autre part indiqué qu’il est nécessaire d’augmenter la capacité des studios. Il a déclaré : « Nous devons sans tarder examiner comment nous pouvons créer indépendamment des films de qualité, les distribuer à grande échelle dans le monde entier, et bâtir un écosystème durable où les profits seront réinvestis dans la production d’œuvres encore meilleures. » 27

La fusion Tving-Wavve créera une puissante plateforme coréenne, mais entre-temps, cela a paralysé la création de nouveau contenu jusqu’à ce que la fusion soit approuvée, une situation qui s’inscrit dans le contexte général des difficultés de croissance de l’industrie mondiale de la diffusion en continu. 28 Combiné à la hausse des coûts de production, répondre à la demande sans précédent pour le contenu coréen et doubler les revenus seront des défis permanents, mais enviables pour le nouveau ministre. 

NOTES

  1. Park, Ga-young. “Tech and media expert Chae Hwi-young emphasizes the use of AI.” The Korea Herald, 29 juillet 2025, https://www.koreaherald.com/article/10542318.
  2. Jeon, Won Kyung. The ‘Korean Wave’ and television drama exports, 1995-2005. 2013. University of Glasgow, thèse de doctorat, pp. 77-78, https://theses.gla.ac.uk/4499/.
  3. Parc, Jimmyn. “A Retrospective of Korean Film Policies: Return of the Jedi.” European Centre for International Political Economy, juillet 2014, p. 17, https://ecipe.org/publications/retrospective-korean-film-policies-return-jedi/.
  4. Cho, Hanna. Entrevue personnelle. 6 octobre 2025.
  5. Jeon, p. 12.
  6. Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement. “K-Content Goes Global: How Government Support and Copyright Policy Fuelled the Republic of Korea’s Creative Economy.” Nations Unies, 21 mars 2024, p. 2, https://unctad.org/publication/k-content-goes-global.
  7. Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, p. 8.
  8. Jeon, p. 112.
  9. Parc, p. 17.
  10. Lee, Seoho. “South Korea’s Film Rules Need a Reboot.” Foreign Policy, 10 juillet 2022, https://foreignpolicy.com/2022/07/10/south-korea-film-movie-industry-screen-quota-protectionism-free-trade-covid/.
  11. Yi, Ch’ang-ho. “South Korean Screen Quota Halved.” KOFIC, 3 février 2006, http://www.koreanfilm.or.kr/eng/news/news.jsp?blbdComCd=601008&seq=344&mode=VIEW.
  12. “Statistics – Content.” Ministère de la Culture, des Sports et du Tourisme (Gouvernement de la République de Corée), https://www.mcst.go.kr/english/statistics/statistics.jsp?pType=02. Consulté le 14 août 2025.
  13. À titre de référence, les films canadiens représentaient 3,3 %, ou 29 millions de dollars, du box-office canadien total. Voir “Profile 2024.” Canadian Media Producers Association, p. 99, https://cmpa.ca/wp-content/uploads/2025/02/Profile-2024-ENG-Final.pdf.
  14. “Film Industry in South Korea.” Statista, p. 22, 2025, https://www.statista.com/study/60611/film-industry-in-south-korea/.
  1. Jeon, p. 110.
  2. Ramachandran, Naman. « ‘Squid Game’ Season 3 Powers Netflix Lead as Korea’s Premium VOD Market Hits $1.1 Billion, Report Finds. » Variety, 13 août 2025, https://variety.com/2025/tv/news/squid-game-netflix-korea-premium-vod-market-1236489101/.
  3. Ramachandran, Naman. “‘Squid Game’ Powers Netflix in Heated Korean Streaming Wars as Tving Closes Gap, New Data Reveals.” Variety, 17 février 2025, https://variety.com/2025/tv/news/squid-game-netflix-tving-korea-streaming-wars-1236310890/.
  4. Ramachandran, « ‘Squid Game’ Season 3 Powers Netflix Lead. »
  5. Ceci, Laura. “Most viewed YouTube videos of all time 2025.” Statista, 17 février 2025, https://www.statista.com/statistics/249396/top-youtube-videos-views/.
  6. Corbett, Erin. “Squid Game Season 3 Takes Over with Record-Breaking Global Debut at No. 1.” Tudum by Netflix, 1er juillet 2025, https://www.netflix.com/tudum/articles/top-10-june-23-2025.
  7. Curry, David. “PUBG Mobile Revenue and Usage Statistics (2025).” Business of Apps, 22 janvier 2025, https://www.businessofapps.com/data/pubg-mobile-statistics/.
  8. Yoon So-yeon. “Gov’t to open six new culture business centers in Europe by end of the year.” Korea JoongAng Daily, 30 octobre 2024, https://koreajoongangdaily.joins.com/news/2024-10-30/culture/lifeStyle/Govt-to-open-six-new-culture-business-centers-in-Europe-by-end-of-the-year/2166916.
  9. Park, Sooyong. “PGK launches International Co-production Hotline at KOFIC Co-hosted Producer Hub.” Korean Film News, 18 octobre 2024, https://www.koreanfilm.or.kr/eng/news/news.jsp?blbdComCd=601006&seq=6174&mode=VIEW.
  10. Cho, Hanna. Personal interview. 6 octobre 2025.
  11. Park, “Tech and media expert Chae Hwi-young emphasizes the use of AI.”
  12. Kim, Ji-Ye. “In ‘KPop Demon Hunters,’ Maggie Kang brings genre out of its comfort zone.” Korea JoongAnd Daily. 26 juin 2025, https://koreajoongangdaily.joins.com/news/2025-06-26/entertainment/movies/In-KPop-Demon-Hunters-Maggie-Kang-brings-genre-out-of-its-comfort-zone/2339481. Consulté le 2 septembre 2025.
  13. Park, “Tech and media expert Chae Hwi-young emphasizes the use of AI.”
  14. “TVing, Wavve mega-merger puts freeze on South Korean commissions.” C21 Media, 18 septembre 2025, https://www.c21media.net/news/tving-wavve-mega-merger-puts-freeze-on-south-korean-commissions/.