Série Le prochain milliard : l’Inde numérique
Le prochain milliard est une série en trois volets qui examine l’incidence de la croissance phénoménale du monde connecté et les possibilités que crée ce monde. Lisez le 1er volet de la série.
Il n’y a que deux pays sur la planète qui comptent plus de un milliard d’habitants : la Chine et l’Inde. D’une perspective d’adoption du numérique, le taux de croissance et le potentiel en Inde ont de quoi couper le souffle. Le taux d’adoption de la téléphonie intelligente a augmenté de 186 % depuis 2013. Tandis que le pays compte un total de 900 millions de téléphones mobiles, à peine 10 % de ceux-ci sont dotés d’une connexion Internet. Il reste donc un marché potentiel de jusqu’à 810 millions de téléphones intelligents permettant d’accéder à des services et du contenu. Lorsqu’on combine ce potentiel au fait que 75 % de la population indienne est âgée de moins de 35 ans et que l’ONU estime qu’environ un million de personnes font leur entrée sur le marché du travail chaque mois et quittent la ruralité pour s’installer en milieu urbain, le nombre de nouveaux consommateurs potentiels devient considérable. Mais quels types d’occasions cette situation crée-t-elle pour les producteurs canadiens de médias numériques?
À ce jour, la plupart des histoires à succès numériques entre le Canada et l’Inde concernent davantage le développement de matériel informatique et de technologies. Prenez l’exemple de Jigsee, une entreprise canadienne fondée par Ray Newal en 2009 et vendue à Vuclip en 2011. Jigsee était une intéressante technologie qui permettait aux propriétaires d’un téléphone mobile conventionnel d’accéder à du contenu vidéo. Plus récemment, Datawind a développé une tablette vendue moins de 50 dollars canadiens qui est destinée principalement au marché indien. Ce sont certes de grandes histoires à succès canadiennes; toutefois, si vous êtes comme la plupart des producteurs de médias numériques, vous commencez par développer du contenu avant de développer la technologie.
Bollywood numérique
Il est impossible de parler de l’industrie indienne du contenu sans mentionner Bollywood. Il s’agit de l’usine cinématographique la plus prolifique sur la planète, produisant 1 000 films par année – soit près du double du nombre produit annuellement par Hollywood. Sans doute, l’adoption rapide des technologies numériques aidera la population indienne à se brancher à ce contenu. Si vous jetez un coup d’œil à Internet en Inde, vous constaterez que YouTube, la plateforme Web de vidéos la plus populaire au pays, classe les grands studios de cinéma et de musique de Bollywood parmi ses principaux partenaires de contenu. Dans le haut de la liste se trouve Tseries, un label de musique de Bollywood, avec 6 millions d’abonnés et des vidéoclips qui sont vus par entre 500 000 et 50 millions de personnes. Cependant, comme c’est le cas en Amérique du Nord, des créateurs plus indépendants sur YouTube ainsi que des réseaux multichaînes gagnent du terrain. Selon Quartz, de nouvelles chaînes YouTube comme All India Bakchod et The Viral Fever concluent des ententes avec des célébrités de Bollywood pour accroître leur présence. De plus, des réseaux multichaînes comme Nirvana, Yoboho, Culture Machine et Ping Network font leur entrée comme boutiques de contenu en ligne.
Vu la spécificité culturelle du contenu de Bollywood et la capacité de production actuelle du marché, comme producteur canadien de médias numériques cherchant à travailler avec le marché indien du contenu, j’hésiterais à miser sur une stratégie numérique centrée sur du contenu divertissant en ligne. Je miserais plutôt sur le développement de contenu pour les marchés émergents de la tablette et du téléphone intelligent en Inde. À l’heure actuelle, selon le site de veille mobile App Annie, Facebook est propriétaire des quatre applications gratuites les plus populaires non seulement en Inde, mais aussi sur la planète entière : WhatsApp, Messenger, Facebook et Instagram . Parmi les dix applications gratuites les plus populaires en Inde, on trouve quelques utilitaires, deux applications de commerce électronique et des applications liées au jeu. À ce jour, les applications payantes qui rapportent le plus en Inde sont toutes liées au jeu. Mentionnons notamment Clash of Clans, Candy Crush Saga, Teen Patti et Boom Beach. Toutes ces applis sauf une ont été créées par des sociétés étrangères qui sont devenues des géants multimilliardaires au cours des dernières années.
De toute évidence, il y a beaucoup d’argent à faire dans cette industrie. De plus, alors que les fabricants de téléphones se livrent actuellement une guerre sans merci en Inde, le système d’exploitation de choix est Android – qui mène par une large avance. Alors que les utilisateurs du iPhone dépensent plus sur le téléchargement d’applications et de contenu que les utilisateurs de téléphones exploitant Android, la boutique Google Play atteindra éventuellement une échelle inégalée.
Possibilité pour les producteurs de médias canadiens
Comme producteur canadien de médias numériques intéressé à tirer profit de la croissance du marché indien, je suggérerais de mettre le cap sur du contenu et des applis pour enfants. Étant donné que 75 % de la population indienne est âgée de moins de 35 ans, plusieurs de ces 900 millions de personnes deviendront des parents et élèveront leurs enfants avec de nouvelles tablettes et de nouveaux appareils mobiles en main. Tout comme en Amérique du Nord, ces parents seront attirés par du contenu et des applications en diffusion continue pour enfants. En février 2014, le Canada a conclu un accord de coproduction avec l’Inde et, selon Patrimoine canadien, « les projets coproduits se verront octroyer le “statut national” au Canada et en Inde, ce qui rendra les producteurs admissibles aux avantages nationaux dans leurs pays respectifs, qu’il s’agisse de programmes de financement, d’incitatifs fiscaux ou d’accès aux écrans. » Bien que cet accord ne s’applique pas au contenu numérique, il couvre le contenu linéaire pouvant être diffusé en continu et accédé au moyen d’un appareil mobile. HungamaTV, Cartoon Networket Toons ne sont que trois de nombreuses chaînes pour enfants diffusées en Inde. Indiatelevision couvre l’activité commerciale en cours dans ce marché. De plus, l’Annecy International Animated Film Festival, MIP Junior, Kidscreen et le Banff World Media Festivalconstituent d’excellents marchés pour établir des liens avec des chaînes et des producteurs d’émissions pour enfants et d’émissions animées de portée internationale.
Si tentant qu’il soit de penser qu’il existe une solution magique pour réussir dans l’espace numérique, la réalité est malheureusement que les choses sont toujours plus complexes qu’elles semblent. Cette complexité est multipliée lorsqu’il est question de négocier avec des marchés étrangers. Cependant, comme Canadiens, nous avons la chance de disposer de différentes ressources qui nous aident à naviguer dans cet espace complexe. En explorant l’Inde numérique, vous voudrez peut-être tirer avantage du récent incubateur mené par le Canada en Inde et lancé par les universités Ryerson et Simon Fraser, ou encore des programmes de TIC offerts en Inde par le Service des délégués commerciaux du Canada.