Applications et jeux pour garder la forme cognitive : pas de quoi se prendre la tête!
Les applications qui affirment pouvoir « muscler le cerveau » offrent-elles seulement un slogan publicitaire ou constituent-elles au contraire des mesures préventives pour éviter le déclin cognitif ?
Voilà la saison des résolutions du Nouvel An, de la nostalgie des vieilles habitudes et de la préparation de plans chargés de bonnes intentions pour l’année à venir. Bon nombre d’entre nous souhaitent voir disparaître les kilos en trop qui se sont ajoutés à grand coup de dinde et de tourtière. Mais qu’en est-il de s’activer la tête, notamment grâce aux « entraîneurs personnels pour le cerveau » dont les publicités nous inondent, surtout en ligne ?
L’idée de muscler son cerveau est effectivement très attirante, et la dichotomie « vous avez un problème – nous avons la solution » mise de l’avant dans la commercialisation de ces services tend à nous laisser croire que l’investissement dans des produits d’entraînement du cerveau tombe sous le sens. Vous jouez, vous aiguisez votre cerveau. Belle proposition, non ?
Le ralentissement et l’affaiblissement des fonctions mentales avec l’âge constituent une réelle préoccupation. En effet, 15 % des Canadiens et de Canadiennes âgés de 65 ans et plus sont atteints de la maladie d’Alzheimer et de maladies apparentées, et ce nombre pourrait doubler d’ici 2031. C’est pourquoi les Instituts de recherche en santé du Canada du gouvernement fédéral affirment que les « maladies neurodégénératives qui entraînent des troubles cognitifs font partie des problèmes de santé les plus redoutés par celles et ceux qui avancent en âge ».
Il ne fait aucun doute que la dégénérescence mentale est une question sérieuse — et la fréquence est à la hausse. Que pouvons-nous faire ? La réponse réside-t-elle dans les services en ligne et les applications qui affirment pouvoir aiguiser notre cerveau ? Il y a vraiment une application pour ça ?
DIFFÉRENTS MODÈLES D’AFFAIRES
Cherchez le mot « cerveau » dans la boutique iTunes et vous serez accueilli par une longue liste de prétendants, tous prêts à vous offrir des programmes de gymnastique pour votre matière grise. Cerveau jeux, coach de santé cérébrale, BrainSpa, BrainTivity, Brainiversity, BrainMetrix, BrainBox, BrainBlox... ce n’est qu’un petit échantillon des centaines d’applications ou produits Web qui souhaitent fouetter vos fonctions mentales pour les remettre en forme grâce à des puzzles, à des jeux et à des défis à réaction rapide.
Derrière ces jeux, on trouve trois modèles commerciaux généraux. Il y a les jeux à accès gratuits comportant des achats intégrés qui optimisent le jeu au fur et à mesure que l’utilisateur progresse. D’autres sont entièrement gratuits, leur modèle commercial se fondant sur l’espoir d’attirer un grand nombre d’utilisateurs et de recueillir suffisamment de données à des fins de marketing ou de partenariats.
D’autres sont payants, offerts à un prix unique commençant à aussi peu qu’un dollar. À l’autre extrémité de l’offre, on compte des produits comme Lumosity, dont les fonctionnalités de base sont gratuites, mais qui offre également l’abonnement payant, qui comprend des jeux et des paramètres de mesure supplémentaires, au coût de 14,95 $ par mois. Actuellement, Lumosity est le jeu d’entraînement du cerveau le plus populaire avec quelque 50 millions d’abonnés payants.
NEUROPLASTICITÉ
La neuroplasticité est le principe à la base de ces jeux. Ce mécanisme est décrit dans un articledu Scientific American portant sur le sujet comme « la capacité du cerveau de se modifier en réorganisant les connexions des neurones après une expérience ». En d’autres mots, si nous offrons à notre cerveau de nouvelles expériences, il nous remerciera en établissant de nouvelles connexions neuronales.
La neuroplasticité n’est pas seulement une velléité nouvel-âge. Il s’agit d’une véritable science par laquelle il a été possible d’observer et de mesurer des changements physiologiques, comme la croissance synaptique et dendritique. Il a d’ailleurs été démontré que ce mécanisme a permis le rétablissement de certaines maladies et de traumatismes psychologiques.
Toutefois, selon le Scientific American, aucun logiciel d’entraînement cérébral n’a prouvé son utilité dans la prévention de la maladie d’Alzheimer ni dans le rajeunissement des cellules du cerveau sur le plan biologique.
L’émission Marketplace de CBC a récemment présenté un reportage d’enquête sur les jeux pour le cerveau et a collaboré avec le Dr Adrian Owen, de la Chaire de recherche en neuroscience et imagerie cognitives du Brain and Mind Institute de l’Université Western, située à London, en Ontario. Le Dr Owen et son équipe ont mené une étude pour mettre à l’épreuve les prétentions de Lumosity, le chef de file dans le domaine. Ils ont ont mesuré les capacités de planification, l’attention, les fonctions exécutives et le raisonnement avant et après l’utilisation du produit. Selon Owen, il n’y aurait aucune différence statistiquement significative, ni même l’ombre d’un effet. Le chercheur souligne d’ailleurs qu’il n’existe aucune preuve scientifique indépendante pour soutenir les allégations de Lumosity.
Que parvenons-nous donc à accomplir, s’il y a lieu, en jouant à ces jeux ? Le milieu médicals’accorde pour dire l’utilisation d’un jeu peut permettre d’améliorer les capacités mentales du joueur, mais que, après un certain temps, le cerveau reconnaît les tâches présentées comme routinières, plutôt que comme des activités qui permettent d’accroître la capacité cérébrale.
En outre, les environnements stimulants, une saine alimentation, l’activité physique régulière, le sommeil réparateur, la prise en charge du stress et les contacts sociaux sont, jusqu’à ce que nous élucidions les mystères du déclin cognitif, probablement aussi efficaces que tous les traitements offerts sur le marché.
Le 1er janvier 2016, Lumosity a conclu un accord avec la Federal Trade Commission aux États-Unis, et accepte de payer la somme de 2 millions de dollars pour des pratiques publicitaires jugées trompeuses.