Bandes-annonces: Comment raconter votre histoire en deux minutes ou moins

Les bandes-annonces sont-elles des versions miniatures de votre film? Sont-elles des outils de marketing? Des outils de collecte de fonds? Ou bien servent-elles à installer l’atmosphère du film, en n’offrant qu’un avant-goût du produit fini?

La réponse à tout ce qui précède est oui. C’est qu’il existe plus d’un type de bande-annonce. Certaines sont destinées à la collecte de fonds, d’autres à l’interaction avec le public sur des plateformes numériques et sociales — avant, pendant et après la production — et d’autres encore sont destinées à mettre en valeur le produit fini et, il faut l’espérer, à attirer les foules. À la récente conférence Hot Docs Industry, qui s’est tenue à Toronto, dont l'un des sujets était justement les bandes-annonces documentaires, un défi supplémentaire a été relevé: l’histoire avec laquelle vous commencez est peut-être différente de celle avec laquelle vous finirez.

Quelle(s) approche(s) pour les documentaristes?

Un groupe de producteurs, de réalisateurs et de monteurs se sont réunis à la conférence Hot Docs 2019 pour partager leurs connaissances sur le documentaire avec d’autres personnes intéressées par des conseils pour produire les meilleures bandes-annonces. Celles-ci sont souvent le principal outil de marketing en documentaire, et pas seulement sous leur forme finale. Alors que de nombreux documentaires commencent leur carrière comme projets indépendants et cherchent à susciter l’intérêt sur des plateformes de financement telles que Kickstarter et Patreon, les sneak peeks et les premiers montages représentent souvent des éléments importants de la trousse à outils du cinéaste.

«Mort, chagrin et femmes âgées»

Jonathan et Elan Bogarin, un frère et une sœur établis à New York faisant équipe, ont appris les cas d’utilisation multiple des bandes-annonces dès le début du processus de développement de leur documentaire 306 Hollywood, décrit comme une «fouille archéologique de la maison de leur grand-mère défunte».

Le frère et la sœur ont commencé leur projet en l’autofinançant avec les revenus de leur travail de jour — leur société produisant des produits médias numériques pour les musées et les organismes culturels. Jonathan Bogarin estime qu’il était loin d’être évident de savoir quelle approche adopter pour la première bande-annonce du film. «Notre grand-mère était loin d’être célèbre, elle est décédée, ma sœur et moi avons fouillé dans ses affaires. C’est une description terrible pour une bande-annonce.» Les Bogarin ont plutôt opté pour un traitement visuel qui exprime les thèmes sous-jacents du film. «La mort, le chagrin et les femmes âgées, dit Jonathan. Nous avons utilisé des formes d’art extérieures au monde du documentaire, comme la mythologie et la littérature, et cet angle nous a aidés à susciter l’intérêt de ceux qui autrement n’auraient pas été intéressés par notre histoire.» Une critique de film affirme qu’il s’agissait d’«une toute nouvelle façon d’aborder le documentaire» et que les cinéastes avaient regardé leur famille «à travers l’objectif d’un Wes Anderson, avec un ton si ludique et poétique visuellement qu’il est proche du surréalisme».

Quand on lui a demandé à quel moment ils ont commencé à travailler sur la bande-annonce, Jonathan Bogarin a répondu ceci: «Quand cela est devenu nécessaire», c’est-à-dire juste avant de présenter le projet à Hot Docs 2017.

«Nous avions une monteuse payée à la semaine, alors nous l’avons mise à temps plein sur la bande-annonce, et nous avons réussi à tout faire en un peu plus d’une semaine.» 306 Hollywood est devenu le film d’ouverture de Sundance 2018, a été présenté dans 35 festivals de cinéma et a été diffusé sur PBS. «Et nous n’avons eu aucune source de revenus extérieurs jusqu’à deux semaines avant la présentation à Sundance», révèle Bogarin.

Pensez «Retour à l’école»: une bande-annonce, c'est comme un essai

La monteuse torontoise Christine Armstrong, qui a une longue feuille de route dans les domaines de la télévision, du court et du long métrage aux États-Unis et au Canada, affirme aborder la tâche de créer une bande-annonce comme s’il s’agissait d’une rentrée scolaire. «C’est comme écrire un essai. Maîtrisez bien votre sujet. Et puis demandez-vous: Que veut dire ou transmettre le réalisateur?» Parfois, les monteurs ont la tâche de créer une bande-annonce «au cours d’une étape intermédiaire» afin de montrer l’évolution de la production aux bailleurs de fonds et aux radiodiffuseurs. Armstrong estime que c’est le moment où les cinéastes regardent les images qu’ils ont et pensent aux fils conducteurs et aux thèmes qui s’en dégagent. Elle s’est trouvée dans cette situation alors qu’elle travaillait à une bande-annonce de mi-parcours pour le film The Skin We’re In de Desmond Cole, un documentaire de la CBC décrit comme la «contribution canadienne au mouvement Black Lives Matter». Parce que l’histoire était encore en cours de développement, la solution d’Armstrong fut de construire ce qu’elle a défini comme une «narration plus ambiguë», laissant place à l’interprétation et aux images qui n’avaient pas encore été filmées.

La promesse de ne pas faire perdre son temps au public

Le producteur Mila Aung-Thwin d’EyeSteelFilm à Montréal, avait d’autres éléments à partager en ce qui concerne la conception de bandes-annonces à mi-parcours, dans lesquelles les cinéastes ont souvent le choix entre présenter des séquences représentatives ou bien créer une bande-annonce qui soit plus un teaser. Avec cette dernière option, le réalisateur a le choix entre montrer une scène en train de se dérouler ou, dans le cas second, présenter un montage des meilleures parties du film. Selon Aung-Thwin, «une scène montre que vous êtes un cinéaste».

Le producteur a aussi partagé certaines de ses expériences en tant que producteur du long métrage documentaire Up the Yangtze en 2007. Le film raconte l’histoire de la construction du plus grand barrage hydroélectrique du monde sur le fleuve Yangzi Juan en Chine, qui marque le passage d’une économie agricole à une économie industrielle dans une région essentiellement rurale. Bien que le film ait été diffusé par un grand distributeur canadien, Aung-Thwin remarque qu’il est devenu ce qu’il considère comme un «succès mystère», qui a rapporté deux millions de dollars au box-office nord-américain. «On ne s’y attendait pas. Mais le film a trouvé son public», ce qu’il attribue en partie aux différentes bandes-annonces diffusées sur les sites alors tout nouveaux YouTube et Vimeo.

Avec près de trois douzaines de productions documentaires à son actif, Aung-Thwin est conscient qu’une bande-annonce cumule de nombreuses fonctions. Mais lorsqu’on lui a demandé à quoi servait vraiment une bande-annonce, il a répondu : «C’est une promesse au public que je ne vais pas lui faire perdre son temps.»


Leora Kornfeld
Jusqu’à présent, Leora Kornfeld a été vendeuse dans un magasin de disques, animatrice à la radio de la CBC, rédactrice de cas à la Harvard Business School, blogueuse et cruciverbiste chevronnée. Elle est actuellement consultante en médias et en technologies et travaille avec des clients américains et canadiens.
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