Webséries: de l’idée à la diffusion
«J’ai une idée!», s’écrient bien des créateurs. Bien! Mais comment concrétiser une histoire ou un concept de websérie jusqu’à sa diffusion? Productrice chez Urbania, Annie Bourdeau a profité du forum Avantage numérique, à Rouyn-Noranda, pour orienter les artistes sur le parcours complexe d’une websérie. Soyez prêts! «Une production, ça représente des centaines de textos, des milliers de courriels et des montagnes russes de bonnes et de mauvaises nouvelles», avise l’experte.
Le contenu: on parle de quoi et comment?
Tout commence par une idée qui, dans un second temps, devra prendre la forme d’un concept. «Une idée n’est pas un concept, prévient Annie Bourdeau. Une idée, on peut la tourner de 100 manières différentes. Le concept, lui, doit se résumer en quelques lignes.»
La série prendra-t-elle la forme d’une fiction? Une série documentaire? Un magazine? Une émission d’affaires publiques? Et en combien d’épisodes? L’attribution de ces étiquettes, bien que parfois «archaïques», est un passage obligé, notamment pour l’acquisition de financement, explique Annie Bourdeau. «Malheureusement, on nous catalogue encore avec ces formats-là, qui ont été complètement décloisonnés avec le numérique», déplore-t-elle.
Si le créateur ou la créatrice ne produit pas lui-même/elle-même le concept, il faut trouver une boîte de production qui souhaite porter le projet.
La recherche: trouver des perles rares
«Une fois qu’on a un concept, on part en prod!», écrit Annie Bourdeau dans sa présentation. Il s’en suivra donc la période de recherche, qui peut prendre une panoplie de facettes selon le type de web-série. Par exemple, pour les web-séries documentaires, il sera question de revues de presse, de recherches sur Facebook ou d’entrevues. D’ailleurs, la recherche est au cœur de la création. Annie Bourdeau mentionne que les recherchistes sont ni plus ni moins que les «détectives-enquêteurs au service de la structure narrative», et que le travail exige parfois une résilience hors du commun. «Ça peut être vraiment décourageant, concède la productrice. Notre recherchiste a déjà présenté une cinquantaine d’histoires pour qu’on en arrive à… huit!»
Tournage et montage hors ligne: ça a l’air de quoi?
L’épisode «test» servira à donner le ton à l’équipe ainsi qu’aux futurs bailleurs de fonds. «C’est un moment crucial, tranche Annie Bourdeau, du haut de ses 20 années d’expérience Et au montage, c’est là que ça passe ou ça casse. » Chez Urbania, pratiquement toutes les webséries sont tournées en studio, là où l’environnement est contrôlé de A à Z, et donc où les risques sont plus prévisibles que dans un environnement naturel. Mais si, par malheur, le tournage vire à la catastrophe, un as du montage pourrait vous sauver la vie en donnant rythme et émotions à l’œuvre. «C’est rare qu’on jette tout un tournage aux poubelles», affirme la productrice.
S’entourer et planifier: distribuer les tâches et prévoir un calendrier
Le financement, ça se mérite: n’aura pas des dollars qui n’est pas organisé! Avant même de soumettre des demandes qui exigeront des budgets détaillés, toutes les futures dépenses, allant des équipes de réalisation à la production, aux équipements, aux comédiens, au transport, aux lieux de tournage, aux costumes et à la postproduction, doivent être calculées. Par chance pour les nouveaux venus dans le métier, le Devis standard de production, tel que détaillé sur le site de Téléfilm Canada [en bas de page], donne une bonne idée des dépenses auxquelles il faut penser.
La clé du projet est aussi de trouver une plateforme de diffusion. «Habituellement, quand c’est accepté par un diffuseur, on va trouver le moyen de financer le projet», indique Annie Bourdeau. Mais attention! Pour s’assurer d’avoir accès aux fonds à l’étape ultérieure, il faut également s’assurer que l’équipe recrutée passe le test du système de points du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), qui vise à déterminer si une production est considérée comme canadienne.
Financement: trouver du cash!
Nous y voilà! «Sans idée, pas de projet; mais sans financement, pas de projet non plus», insiste Annie Bourdeau. Encore faut-il connaître ces sources de financement et leurs particularités. Les fonds dits «automatiques» (crédit d’impôt fédéral du BCPAC, crédits d’impôt provinciaux et programmes des enveloppes de rendement du Fonds des médias du Canada) sont octroyés d’emblée aux productions qui satisfont à tous les critères; vous êtes admissible, vous les obtenez! Les fonds dits «sélectifs», comme les fonds de production certifiés par le CRTC, sont quant à eux très prisés. Les sommes sont plus importantes; en revanche, les obtenir est beaucoup plus ardu. «Il faut défendre notre contenu, parler de découvrabilité, ajouter le CV de chaque personne, leur biographie... », explique la productrice.
Il n’en demeure pas moins qu’il faut toujours rester à l’affût de fonds qui pourraient financer des webséries, mais qui n’apparaissent pas nécessairement dans la liste des fonds certifiés du CRTC. C’est le cas notamment du Programme pour les séries numériques linéaires du FMC.
Annie Bourdeau dit consacrer entre deux et trois semaines à temps complet au processus pour soumettre une demande de financement. Un exercice qui, malheureusement, n’aboutit pas nécessairement à l’obtention d’un chèque. Chez Urbania, environ 20% seulement des projets développés sont approuvés. «Il ne faut pas se décourager!», insiste-t-elle.
Légal: redevances et droits à l’image
Une œuvre d’art est-elle visible dans un plan? Entend-on jouer une pièce musicale ambiante, ou veut-on en utiliser une au montage? Des gens ont-ils été filmés à leur insu? Un petit logo se serait-il subtilement glissé dans un plan? Toutes ces questions concernent le droit à l’image; aussi, la production doit s’assurer d’avoir obtenu (gratuitement ou non) les autorisations nécessaires à leur «utilisation».
Quant aux auteurs-trices, scénaristes, réalisateurs-trices et compositeurs-trices de musique, tous sont rémunérés dans un premier temps par la production. Ils/elles recevront ensuite des redevances, explique Annie Bourdeau. «Les diffuseurs paient les redevances aux auteurs qui, eux, doivent s’inscrire aux sociétés de perception de droits d’auteurs comme la SACD, la SCAM ou la SODRAC», dit-elle.
Et en région?
Annie Bourdeau encourage les créateurs et créatrices des régions à se débarrasser de leur syndrome de l’imposteur. «Il ne faut pas sous-estimer ses idées parce qu’on n’est pas dans de grands centres urbains, insiste-t-elle. Pour moi, une bonne histoire peut germer dans la tête d’une personne qui habite dans le Grand Nord, à Rouyn-Noranda ou à Hemmingford. J’ai aussi vu beaucoup de créateurs qui avaient leur propre boîte de production. Ça aussi, c’est un modèle viable. Il y a même des subventions qui peuvent être décrochées plus facilement en région qu’à Montréal.»