Des vedettes d’Instagram aux entreprises invisibles: nouvelles approches en création de contenu
«Tout le monde veut être un créateur», a déclaré Eitan Pilipski, vice-président responsable du développement de la plateforme de réalité augmentée en évolution perpétuelle de Snapchat. Monsieur Pilipski est l’un des dirigeants qui ont participé par centaines à la conférence Collision à Toronto en prenant la parole lors de cet événement annuel majeur. Cette année lors de la conférence, on a mis l’accent sur le contenu ciblé en invitant des praticiens et des dirigeants à parler de leur expérience en création de contenu sur diverses plateformes où la technologie et les attentes des utilisateurs changent constamment.
En faisant un bref décompte du contenu créé en ligne en 2019, on constate que, chaque jour, plus de 500 millions de tweets sont affichés, environ 100 millions de photos et de vidéos sont partagés sur Instagram, quelque 4 millions de textes sont mis en ligne sur des blogues et approximativement 500 heures de vidéo sont téléversées sur YouTube. Chaque minute...
Tout le monde peut s’adonner à la création, tandis que des centaines de millions d’internautes sur la planète alimentent déjà Internet. Du jamais vu dans l’histoire des médias. Toutefois, les nouveaux critères de mise en forme et d’expérience utilisateur forcent les créateurs de contenu et les développeurs de plateformes technologiques à se renouveler continuellement. Pour tirer son épingle du jeu, il faut s’accommoder du chaos apparent qui cache un marché des plus dynamiques.
Prenons l’exemple de Snapchat. Les trentenaires et les moins jeunes pourraient penser que c’est déjà chose du passé, mais cette plateforme reste très prisée des adolescents et des jeunes dans la vingtaine. Chaque jour, des centaines de millions de récits vidéo sont produits, puis visionnés des milliards de fois. L’entreprise et sa communauté ne cessent de se réinventer en créant des centaines de milliers de lentilles et de filtres permettant aux utilisateurs de modifier leurs publications temporaires en y ajoutant des lunettes, des ascenseurs, des cornichons, ou tout objet que l’on peut imaginer et numériser. Cinquante milliards de visionnements plus tard, Eitan Pilipski, pionnier des entreprises de réalité augmentée ayant créé l’une des premières applications du genre pour téléphones et lunettes intelligentes, a affirmé avec un peu de recul: «auparavant, la réalité augmentée était une affaire d’experts, mais maintenant, n’importe qui peut l’utiliser», en faisant référence aux outils que Snapchat a rendu accessibles à des centaines de millions de personnes.
Snapchat n’est qu’une application parmi des millions d’autres. La frénésie s’étend à tous les écrans, petits et grands, alors que les producteurs de médias et les marques de commerce se disputent l’attention des utilisateurs au même titre que quiconque publie du contenu au moyen de son téléphone intelligent. Par conséquent, il est plus difficile que jamais de se démarquer pour promouvoir son projet, produit ou service. Comment les entreprises technologiques, les diffuseurs, les concepteurs de plateformes et les gestionnaires de marques de commerce envisagent-ils la création de contenu dans cet environnement anarchique? Qu’est-ce qui permet de se faire remarquer et de sortir de la mêlée?
Services bancaires et basketball, robes imprimées en 3D et innovation
Une banque ayant pignon sur rue a été confrontée à cette difficulté lorsqu’elle a voulu communiquer une idée nouvelle. Wells Fargo souhaitait donner aux membres de sa clientèle la maîtrise de leur vie financière en instaurant Control Tower, un outil en ligne (et une application) grâce auquel les membres peuvent consulter tous leurs comptes, leurs relevés de cartes de crédit et leurs transactions numériques en un même endroit. Jamie Moldafsky, cheffe de la commercialisation, a diffusé le message en joignant les gens par l’entremise de leur loisir de prédilection. La banque a créé une application permettant aux utilisateurs de gérer leur visionnement des parties des séries éliminatoires de la NBA. Ainsi, les amateurs pouvaient choisir les caméras, les angles et leurs joueurs favoris pour vivre une expérience sportive personnalisée. «Nous ne dérangeons pas les gens avec des impertinences», a ajouté Madame Moldafsky.
La société GE a dû surmonter une difficulté semblable, comme l’explique Linda Boff, cheffe de la commercialisation: «Ce que nous faisons de mieux comme entreprise passe inaperçu, mais nous voulions que ça change. Bien que ce ne soit pas facile d’intéresser le commun des mortels aux infrastructures électriques ou aux systèmes technologiques sous-jacents aux industries de l’aérospatiale et de la santé, on peut susciter de l’intérêt envers le principe fondamental de ces systèmes, c’est-à-dire l’innovation.»
Afin de faire connaître sa vision novatrice au plus grand nombre, GE a établi un partenariat avec le dessinateur de mode Zac Posen en l’invitant à créer des tenues futuristes attrayantes au moyen d’équipement d’impression 3D fourni par l’entreprise. Ce printemps, trois vedettes ont porté des robes imprimées en 3D sur le tapis rouge lors du gala du Met à New York, rien de moins! «Auparavant, on pouvait obtenir toute l’attention requise en diffusant des publicités pendant des émissions comme Friends ou Cheers», a plaisanté Madame Boff. Maintenant, le nerf de la guerre, c’est de susciter de l’intérêt dans la vraie vie et d’amener des millions de personnes à en parler sur Twitter, Instagram et Facebook ainsi que dans la presse écrite et dans les autres médias, où sont relatés les faits.
https://www.youtube.com/watch?v=oAv50V4aVKE
Plateformes et diffuseurs
Ce n’est un secret pour personne: les médias locaux ont vu leurs revenus publicitaires fondre comme neige au soleil devant la suprématie de Facebook et de Google, sans compter les algorithmes qui orientent le contenu vers un public ciblé et dans des circonstances déterminées. En parlant de l’interconnexion complexe entre les gens, les entreprises et les plateformes, Justin Hendrix du NYC Media Lab a commenté cette nouvelle ère en ces termes: «Les diffuseurs et les concepteurs de plateformes sont entrés dans la phase de “séparation consciente”, alors qu’on se demande comment nous voulons vivre le reste de notre vie.»
Monsieur Hendrix a présenté les faits sur l’évolution de la dynamique entre les créateurs individuels et les plateformes, d’une part, et entre les marques de commerce, les diffuseurs et les plateformes, d’autre part. «Seuls les diffuseurs majeurs peuvent se tailler une place sur les grandes plateformes. Quant au vedettariat sur les médias sociaux, c’est un peu comme une loterie.» Il a mentionné que, pour la plupart des créateurs, les revenus publicitaires à eux seuls ne suffisent plus à les soutenir, d’autant plus que nombre de «YouToubeurs», de blogueurs et de vlogueurs font appel à du personnel de production ou de rédaction pour afficher leur contenu sur une base régulière.
Monsieur Hendrix reste toutefois optimiste, notamment à la lumière des idées et prototypes qui émergent du travail des groupes d’étudiants avec qui son laboratoire collabore. «Des idées qui semblent farfelues aujourd’hui pourraient bien éventuellement résoudre un problème à grande échelle», a-t-il fait remarquer. Parmi les projets prometteurs, on compte un concours de réalité augmentée à utilisateurs multiples, créé avec la participation d’A&E Networks, et un cadre de travail visant les métadonnées et l’apprentissage machine pour les nouvelles, en partenariat avec Hearst Media.
Les plateformes, un outil de marketing ou de monétisation?
Les plateformes ne disparaîtront pas de sitôt. Le fait que tant de gens s’informent principalement en consultant Twitter, Facebook et Google est une réalité avec laquelle les médias traditionnels doivent maintenant composer. Meg Goldthwaite, cheffe de la commercialisation à NPR, a expliqué que son organisation de média public a décidé de s’affranchir des plateformes sociales au profit de médias à propriétaire exploitant.
«Nous n’abandonnerons jamais la radio, mais nous cherchons des endroits où nous pouvons rencontrer les gens», a-t-elle expliqué à l’auditoire au congrès Collision. Pour NPR, il s’agissait de déterminer quels sont ces endroits. Autrefois, c’était facile. On pouvait atteindre les gens dans leur voiture ou dans leur cuisine. Désormais, les auditeurs utilisent une multitude de plateformes et d’appareils pour consommer du contenu à diffusion traditionnelle, mais aussi en direct ou sur demande. Si une partie de l'auditoire de NPR continue de suivre la marque de manière plus traditionnelle via la radio, d'autres le font via des haut-parleurs intelligents (NPR, qui a été l’un des premiers partenaires d’Amazon et de Google, travaille maintenant aussi avec Apple et Samsung) et certains les suivent par l'entremise de plateformes externes comme YouTube, où la chaîne Tiny Desk Concerts enregistre des millions de visionnements par mois.
«YouTube est un point de convergence incontournable pour les jeunes», a reconnu Kelly Day, présidente de Viacom Digital Studios, une division âgée de deux ans d’une entreprise centrée sur les jeunes depuis des décennies, une marque devenue une catégorie en soi, comme MTV, Nickelodeon, BET et Comedy Central. «Nous n’utilisons pas le numérique pour promouvoir des émissions de télévision, mais pour créer de la propriété intellectuelle numérique, former des communautés et diffuser du contenu personnalisé sur demande», a-t-elle précisé. Pour Viacom, il s’agit de cibler et d’atteindre les groupes d’âge de 2 à 12 ans et de 13 à 24 ans. Malgré les efforts substantiels déployés pour créer de la propriété intellectuelle sur des plateformes comme YouTube, Madame Day affirme que Viacom voit ses chaînes à propriétaire exploitant croître continuellement, avec environ cinq milliards de visionnements par mois.
Son équipe de Viacom et elle savent bien que les adolescents passent la majeure partie de leur temps sur Instagram et Snapchat. C’est pourquoi l’entreprise a élaboré une programmation pour IGTV, le nouveau produit présenté par Instagram en 2018 qui permet la diffusion de vidéos pouvant durer jusqu’à 10 minutes. De telles initiatives ont le pouvoir d’encloisonner et de fidéliser les auditeurs, ce qui rend ces plateformes attrayantes pour le contenu de marque ou la diffusion d’annonces publicitaires. Deux autres acquisitions récentes donnent un exemple éloquent de la façon dont Viacom pallie le déclin des cotes d’écoute de la télédiffusion linéaire: au milieu de l’année 2018, l’acquisition d’Awesomeness TV, le réseau numérique axé sur les jeunes, qui génère des centaines de millions de visionnements par mois, et l’acquisition au début de 2019 de la plateforme de diffusion en ligne gratuite Pluto TV, à financement publicitaire.