Déterritorialiser la diffusion télévisuelle: quels modèles pour les diffuseurs nationaux?

Dans la lutte pour l’attention des audiences qui oppose les diffuseurs nationaux aux plateformes de diffusion en ligne, on a parfois l’impression que ces premiers ne luttent pas tout à fait à armes égales. C’est en partie en raison de leur modèle de diffusion lui-même, qui est le plus souvent limité à une géographie, et donc à une taille d'audience relativement limitée.

Alors que la BBC célébrait récemment les 15 ans de son partenariat avec Youtube dévoilé en 2007, le diffuseur britannique a annoncé en début d’année 2024 son intention de mettre un terme à son application BBC iPlayer pour les PC et les Macs, expliquant faire simultanément face à une « diminution du nombre d’utilisateurs et une augmentation des coûts ».

Parions que l’afflux croissant d’auditeurs vers Youtube, où la BBC recense près de 15 millions d’abonnés sur sa chaîne principale (en plus des 16.2M pour BBC News) et a diffusé plus de 40,000 vidéos sur ses deux chaînes depuis 15 ans, explique en partie ce désamour pour l’application native du diffuseur.

À titre de comparaison, la chaîne Youtube de Radio-Canada, créée la même année que celle de la BBC en 2007, compte 89 000 abonnés et 3600 vidéos; celle de la CBC 487 000 abonnés et 6000 vidéos.

L’information partout

Par ailleurs, le succès phénoménal de séries internationales comme Squid Game nous rappelle l’intérêt grandissant de la spécificité locale dans l’expansion mondiale de plateformes comme Netflix. La série dramatique a été vue par un large éventail de publics transnationaux, stimulant la créativité des créateurs de télévision coréens qui disposaient pour ce faire de moyens beaucoup plus élevés que si la série avait été produite dans le strict intérêt national. On estime que la série a coûté près de 30M$ CAD à produire, soit plus de 3M$ par épisode.

Dans le monde de la télévision, la déterritorialisation n’est pas un phénomène nouveau. Ces dernières décennies, des chaînes d’information comme CNN International, France24, BBC World News, RT News et Al Jazeera ont spécifiquement été créées dans la perspective de rejoindre des audiences transnationales. Leurs nouvelles sont conçues et analysées en vue d’être lues, vues et entendues aux quatre coins de la planète.

À l’exception de CNN, la majorité de ces diffuseurs dépendent du soutien et de subventions publiques, qui justifient ces dépenses par le rôle d’organe de transmission et d’influence culturelles à l’international que jouent ces réseaux. Comme l’écrit Jean Chalaby de la City University of London, « la couverture transfrontalière des réseaux de télévision transnationaux, leur audience multinationale et les opérations de production internationales ont en partie « démonté » la relation entre le lieu et la télévision. Ils remettent en question la relation traditionnelle entre la télédiffusion et l’État-nation ».

Quant au diffuseur privé américain, CNN affirme rejoindre plus de 300M de ménages dans le monde, et parvient à générer des profits de l’ordre d’un milliard de dollars (US) par année.

Créer pour diffuser partout

Si des modèles de diffusion de l’information on commencé à germer ces dernières années, de nombreuses difficultés persistent lorsque vient le temps d’étendre la série dramatique et le contenu créatif. C’est là, pourtant, où se livre la plus forte concurrence entre diffuseurs et plateformes numériques, légales et illégales. 

Selon un rapport publié dans Variety en 2023, le recours aux sites de piratage est en forte hausse. Une étude, réalisée par MUSO, révèle une augmentation annuelle du piratage de films de près de 39% en 2023. Comme l’écrivent les auteurs non sans ironie, « du point de vue technique, le piratage numérique est une autre forme de diffusion de contenu, car il permet la distribution de contenu à un large public, la différence étant que la diffusion peut avoir lieu indépendamment de leur situation géographique ou de leurs moyens financiers ».

En effet, une étude menée par la société néo-zélandaise Vocus Communications, a révélé que le fait de rendre le contenu moins dispendieux et plus facile d'accès aide est la meilleure solution afin de mettre fin au piratage, et non l’addition de nouvelles lois et réglementations punitives.

Comme l’ont fait les diffuseurs de nouvelles, il est grand temps que notre système de télévision se pense comme un objet culturel d’exportation et de diffusion internationale, notamment gratuite, sur le web. Il n’est pas normal, en 2024, que des ententes de droits soient convenues sans anticiper la diffusion et la commercialisation à l’échelle mondiale.

Si l’objectif des diffuseurs nationaux est de rendre accessible la culture nationale, et dans la mesure où la production canadienne est très largement financée par des deniers publics et autres taxes et frais sur la télédistribution, des règles devraient être mises en place à cet effet. Dans une perspective macroéconomique de long terme, nous gagnerions tous à faciliter la diffusion internationale de nos contenus. 


Francis Gosselin
Francis est docteur en économie et entrepreneur en série. Consultant et aviseur auprès de dirigeants et de conseils d’administration, il est également président de Norbert Hill et président du conseil de FailCamp, une OBNL dédiée à la promotion de l’entrepreneuriat et de l’apprentissage. Il a travaillé comme consultant dans le domaine de l’éducation, des médias, de l’immobilier et des services financiers pour des clients comme Ubisoft, l’École Supérieure de Gestion—UQAM, Radio-Canada, Lune Rouge, BNP Paribas, Allied Properties et l’Institut de Développement Urbain. Croyant fermement aux vertus de l’engagement social et philanthropique, il siège sur le Conseil d’administration du festival MUTEK, et est membre du Club des 100 jeunes philanthropes d’HEC Montréal. Il élève depuis 2012 des chiens MIRA destinés à des personnes dans le besoin, en plus de contribuer financièrement à cette cause importante.
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