État du documentaire en 2025 : réaffirmer la diversité
Comment se portent le documentaire et les pratiques de ceux qui les créent? Les professionnels de l’industrie observent un recul de la diversité, une reconfiguration des relations nord-sud et un essoufflement du modèle de distribution en ligne.
Première inquiétude : l’enjeu de la diversité recule aux États-Unis, aussi bien dans le monde du travail (avec Walmart qui remballe sa politique de diversité) que celui du documentaire, remarquaient les professionnels de l’industrie, lors des récentes Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM 2024).
« Un de nos partenaires basé à New York s’est fait dire de ne plus utiliser le mot "impact", parce que son projet serait perçu comme étant woke, a raconté Leonard Cortana, responsable des programmes d'inclusion et des partenariats stratégiques à EURODOC. Plusieurs collectifs n’utilisent plus les appellations "BIPOC" [Black, Indigenous, and People of Color] ou "cinéaste noir" parce que les fonds leur disent qu’ils ne vont pas investir [dans leur projet] s’ils utilisent ces mots. »

Ce n’est rien de nouveau, précise Leonard Cortana, en entrevue. Des vagues conservatrices ont jalonné l’histoire, de McCarthy à Reagan. Il voit dès lors une bataille à mener sur le plan épistémologique. « C’est très important de réinvestir ces mots pour répondre à ce [mouvement], qui s’annonce très violent dans les années à venir. »
Il salue d’ailleurs l’initiative de Marion Schmidt (DocSafe) et de Jane Mote, qui ont produit un rapport sur les « espaces de discussion sécuritaires » au Durban FilmMart 2024, une initiative pour le développement de l'industrie cinématographique africaine.
Vue du Canada, la menace semble moins immédiate, même s’il reste encore beaucoup de chemin à faire pour une pleine inclusion dans le documentaire. Lors de la conférence « Réinventer la coproduction entre territoires francophones », le producteur Eric Idriss-Kanago a fait remarquer que les organismes subventionnaires continuent d’avoir un parti pris pour des récits racontés en trois actes, avec un personnage principal au cœur de l’histoire.
« Quand on parle de narration ou d'identité du récit, il y a des pays qui ont d’autres façons de raconter les histoires, dit-il. Quand je débarque en Afrique centrale et que j'écoute des grands-pères raconter des histoires, ils ne les racontent pas en trois actes. Je rêve du jour où des projets vont obtenir du financement justement parce qu’ils s’éloignent de la structure manichéenne en trois actes, avec un personnage principal qui franchit des étapes. Lorsqu’on parle d’inclusion, c’est nécessaire d’inclure d’autres manières de raconter des histoires. »
Relation nord-sud : la volonté de discuter « égal à égal »
La diversité a trouvé écho lors d’une discussion sur les relations de coproduction nord-sud. Historiquement, cette dynamique souffre d’un déséquilibre, parce que les pays industrialisés du nord, largement privilégiés sur le plan des organismes subventionnaires, ont tendance à imposer leur manière de produire un film, ainsi que leurs codes narratifs tout juste mentionnés ci-haut (les trois actes), aux pays nouvellement indépendants et en développement du sud.
Or, le producteur sénégalais Souleymane Kébé (Sunuy Films) apporte une vision rafraîchissante de ces rapports. « Au Sénégal, nous avons un fonds de financement local nommé FOPICA, qui nous permet d’avoir de l’argent pour un long métrage. C’est une grande chance. Ça me permet de regarder mes amis de coproduction en face, les yeux dans les yeux, et de discuter. »
Depuis sa formation au programme Africadoc, à Saint-Louis, il y a une dizaine d’années, Souleymane Kébé a toujours baigné et recherché des partenariats 50-50 avec les pays du nord. Il invite ainsi les autres producteurs africains à tirer parti des accords de coproduction avec l'Algérie, le Maroc, la Côte d'Ivoire ou le Burkina Faso.
« Si je fais une coproduction avec un partenaire de la Côte d’Ivoire, illustre le producteur, nous pouvons ensemble aller frapper à la porte de pays européens. Ça change le rapport de force. »
Leonard Cortana évoque quant à lui un autre aspect des relations nord-sud, qui se transforme pour le mieux : « Il y a un important mouvement de restitution des archives allant du nord vers le sud. Je pense à des gouvernements comme celui des Pays-Bas, qui retournent des archives de film. Il y a aussi des coalitions africaines qui travaillent et demandent un retour des archives. »
Effondrement du visionnement en ligne
Comme chaque année, les enjeux sur le financement et la diffusion des documentaires ont surgi dans les conférences et les tables rondes. Un constat semble aujourd’hui clair : ce ne sont pas les plateformes en ligne qui vont sauver le documentaire, et maintenant que la pandémie est terminée, le modèle montre ses limites.
« Quand j’ai commencé [mon métier de producteur], je pensais qu’Internet était la plateforme la plus démocratique qui soit, se souvient Wouter Jansen, propriétaire de l’entreprise de distribution Square Eyes, lors de la discussion « Percer le marché international ». Il suffisait d’y mettre nos films pour que tout le monde les voie. Puis j’ai mis un film sur Vimeo, et une seule personne l’a acheté en deux ans… »
Il note que la pandémie a aussi alimenté de faux espoirs sur le potentiel des plateformes en ligne. « Il y a eu cette idée que, désormais, les gens allaient regarder ce genre de cinéma sur les plateformes en ligne, mais ça s’est immédiatement effondré [après la pandémie] ».
Aujourd’hui, le producteur néerlandais ne fait plus confiance qu’à quelques plateformes spécialisées, telles Doc Alliance, True Story et Criterion. « Elles paient une belle petite somme, mais c’est davantage pour l'accessibilité des films. C’est vraiment juste pour prolonger la vie du film et le rendre visible au public », précise-t-il.
María Vera, fondatrice de l’entreprise de distribution Kino Rebelde, basée à Lisbonne, abonde dans le même sens. « Pour moi, les plateformes ne sont pas un endroit pour faire des affaires. C’est davantage pour faire voir le film. »
Elle partage sa frustration envers les promesses non tenues découlant du boom des plateformes. « Parfois, une petite plateforme annonce qu’elle a une portée mondiale. Et je me dis : comment fait-elle pour rejoindre un public en Chine? Sa plateforme n’est même pas indexée sur Google! »
La productrice insiste sur l’importance de travailler avec des distributeurs qui savent comment « atteindre leur audience ». « On devrait porter beaucoup d’attention aux plateformes qui ont un pouvoir local », insiste-t-elle. Elle donne l’exemple d’une plateforme européenne comme True Story, bien établie au Royaume-Uni.
Pour elle, il n’en demeure pas moins que sa « première plateforme » sera toujours les festivals.