Jeux vidéo : les indépendants font concurrence aux titres AAA
La montée des indépendants sur la scène des jeux vidéo n’a rien de nouveau pour ceux qui suivent de près l’actualité du secteur. Les autres seront sans doute agréablement surpris de constater que ce milieu connaît une croissance soutenue et génère une multitude de titres.
L’INNOVATION DANS LES RANGS DES INDÉPENDANTS
Les développeurs indépendants sont souvent des amateurs convertis en professionnels qui, seuls ou en petites équipes, se consacrent entièrement à concevoir des jeux brillants; dans bien des cas, ils ont quitté le monde des titres AAA pour démarrer leur propre entreprise.
À l’évidence, la liberté artistique est l’un des avantages que présente le statut d’indépendant; c’est aussi l’une des principales raisons qui poussent les développeurs à laisser les grandes entreprises pour créer leur propre boîte. Avec l’augmentation du nombre de plateformes existantes, certains développeurs brûlent de s’employer à des projets novateurs pour matérialiser leurs idées.
Parmi les titres les plus représentatifs du caractère très personnel de ces nouveaux jeux figurent les œuvres de l’entreprise Minority Media de Montréal. Ancien directeur de la conception pour EA Montréal, le cofondateur et directeur créatif de Minority, Vander Caballero, est à l’origine de Papo & Yo; profondément personnel et chargé en émotions, ce jeu émane de la propre expérience de M. Caballero qui, enfant, a dû composer avec un père alcoolique. Papo & Yo s’est valu une reconnaissance quasi-unanime : coqueluche des blogueurs du secteur du jeu, il a même fait l’objet d’un article dans le New York Times.
Avec Minority, M. Caballero cherche à créer des jeux qui sont porteurs de sens. Dans la foulée de Papo, l’entreprise propose Silent Enemy, un autre titre qui s’attaque à un sujet complexe : l’intimidation.
Œuvre des développeurs américains Ryan Green et Josh Larson, That Dragon, Cancer est un autre de ces jeux qui prennent racine dans l’expérience personnelle et les émotions. Le jeu a fait grand bruit – à tel point que Ouya, la console basée sur le système d’exploitation Android qui a vu le jour grâce à une campagne de financement participatif sur Kickstarter, a annoncé qu’elle allait le financer. Le jeu plonge le joueur dans le rôle d’un père dont le fils est aux prises avec un cancer en phase terminale.
Compulsion Games, une autre entreprise établie à Montréal, est dirigée par Guillaume Provost, lequel s’est fait la main dans le secteur des jeux indépendants et AAA alors qu’il travaillait pour les studios Pseudo Interactive et Arkane. Compulsion Games s’apprête à lancerContrast, une œuvre spectaculaire aux accents de film noir où l’on manie habilement l’ombre et la lumière. Le jeu a fait son entrée aux salons de jeux vidéo (PAX, Gamescom, etc.) et, ce mois, sur les consoles actuelles et de nouvelle génération.
L’INNOVATION DANS LE MONDE DES GRANDS STUDIOS
Tout cela ne signifie pas pour autant que les grands studios n’effectuent pas de nouvelles percées. S’ils continuent d’entretenir les jeux populaires bénéficiant d’un bassin croissant d’amateurs fidèles, on peut voir qu’ils s’aventurent aussi sur de nouveaux terrains.
À preuve, l’entreprise Ubisoft de Montréal a récemment lancé, sur le modèle des jeux de rôle japonais, le magnifique Child of Light, dont les images semblent avoir été puisées tout droit d’un tableau et portées à l’écran. Basé sur un poème, ce jeu hors du commun est accueilli avec enthousiasme.
Child of Light aurait été inspiré par le tout aussi poétique Journey, conçu par Thatgamecompany et commercialisé par Sony Computer Entertainment (SCE). SCE a non seulement lancé avec succès de nombreux jeux d’envergure, comme les séries God of War et Uncharted, mais a aussi soutenu d’importants jeux indépendants, dont The Unfinished Swan de Giant Sparrow et Guacamelee!, le jeu de plateformes de style « Metroidvania » des studios DrinkBox, pour ne nommer que ceux-là.
LE SOUTIEN DES CONSOLES DE NOUVELLE GÉNÉRATION
Avec le lancement des consoles de nouvelle génération PlayStation 4 et Xbox One, les jeux captivants font décidément l’objet d’un vif intérêt. Bien souvent, les développeurs indépendants parviennent à produire un jeu de grande qualité plus rapidement que les autres développeurs ou que les grands studios, qui prennent habituellement jusqu’à trois ans pour y arriver (ou plus dans certains cas).
Sony a annoncé qu’elle entendait poursuivre sa collaboration avec les développeurs indépendants par l’entremise du fructueux programme Pub Fund, qui a entre autres permis de soutenir Papo & Yo de Minority. Microsoft, quant à elle, met un programme d’autocommercialisation à la disposition de ces développeurs.
LE SOUTIEN DIRECT DES JOUEURS
Pour les développeurs indépendants, la question du financement ne cesse de se poser. Dans bien des cas, on a trouvé une réponse du côté du financement participatif. À Terre-Neuve, le studio Celsius Game a largement dépassé son objectif de financement de 50 000 $pour le jeu de commerce spatial Drifter. Coloré et charmant, le jeu d’aventure et d’exploration Night in the Woods de Infinite Fall, toujours en cours de financement sur Kickstarter, avait recueilli près de 300 % du montant visé au moment de publier cet article. En outre, de grandes entreprises indépendantes comme Double Fine Productions ont fracassé tous les records sur Kickstarter grâce à leur jeu d’aventure Broken Age, qui fait appel à la « désuète » technique du « pointer-et-cliquer ».
S’il n’y a rien d’étonnant à ce que des développeurs indépendants bien cotés et en vue comme Double Fine aient atteint et même dépassé leur objectif de financement sur Kickstarter, il est remarquable qu’une telle campagne ait vu le jour en grande partie pour financer un genre en déclin (« pointer-et-cliquer ») que les éditeurs de jeux croyaient voué à l’échec. Dans sa vidéo promotionnelle sur Kickstarter, Tim Schafer, le cofondateur du studio, a même affirmé ceci : « Si je faisais appel à un éditeur maintenant pour essayer de lui vendre ce type de jeu, il me rirait au nez. »
L’engouement persistant et le succès sans cesse grandissant que connaissent ces jeux sont révélateurs de la ferveur que suscitent les produits indépendants originaux, laquelle ne semble pas près de se démentir – que ces jeux émanent du monde des AAA ou des développeurs indépendants. Avec le soutien continu apporté aux jeux au moyen de diverses options de financement, comme les subventions gouvernementales ou le financement participatif, il sera intéressant de constater comment les développeurs indépendants continueront d’innover et de surprendre l’industrie.