La grande perturbation de la vidéo

De l’arrivée de YouTube à la diffusion en direct de scènes captées à l’aide d’un téléphone mobile, l’univers de la vidéo s’est radicalement métamorphosé au cours des dix dernières années.

Chacun leur tour, des pans entiers de notre économie sont touchés par la révolution numérique. Après la musique, la presse et la radio, c’est maintenant au tour du cinéma, de la télévision, du transport et de l’hôtellerie d’être balayés par une vague numérique alliant connectivité et mobilité permanente. À l’évidence, Internet n’est pas un média comme les autres; c’est plutôt un méta-média. Méta parce qu’Internet n’est pas un nouveau média qui vient concurrencer les autres. C’est un ogre qui les avale tous et les transforme de part en part.

L’avènement de la diffusion en continu

Le monde des médias filmés est symptomatique de ce grand dérèglement (que les Anglophones qualifient de « disruption ») provoqué par le réseau. Ce dernier a connu une première perturbation il y a une dizaine d’années suivant l’arrivée des premières plateformes de diffusion en continu que sont YouTube et DailyMotion. Ces dernières ont permis à tout un chacun de publier ses propres vidéos en ligne et d’être potentiellement vu par la planète entière (ce que ne permet pas, par exemple, les systèmes restrictifs de télévision locale).

Aujourd’hui, YouTube génère plus de 300 heures de vidéo par minute et fonctionne comme un véritable écosystème avec ses chaînes internes et son système de partage des revenus que plusd’un million d’annonceurs utilisent pour diffuser de la publicité.

En août 2014, le magazine Variety a publié les résultats d’un sondage qui montrait que les vedettes YouTube étaient désormais plus populaires que les vedettes d’Hollywood auprès des 13-18 ans.

Des caméras plus petites et moins chères

La deuxième perturbation du monde des médias filmés concerne l’outil de captation vidéo. En dix ans, ce dernier est devenu plus petit et moins cher. Le succès des GoPro témoigne de l’attrait du grand public pour des produits très performants (HD et 4 K) vendus à des prix inférieurs à 500 $. Des marques comme Redbull et la LNH n’hésitent d’ailleurs pas à utiliser les captations de telles caméras dans leurs promotions Web et télé.

Tout comme pour la photographie numérique, l’avenir de la captation vidéo semble toutefois résider en nos poches. Après avoir éradiqué le marché des appareils photo de bas de gamme et de moyenne gamme, le mobile intelligent risque fort de remplacer les caméras du même acabit.

Le mobile permet désormais de réaliser des captations vidéo de très bonne qualité, et il existe désormais des centaines de produits destinés à équiper son mobile de fonctionnalités semi-professionnelles (trépieds, zooms, travelling, etc.).

Si l’on exclut le marché du très haut de gamme (comme le cinéma hollywoodien), on peut penser que de plus en plus de petites et moyennes productions seront réalisées au moyen d’appareils mobiles munis de lentilles de qualité professionnelle. Lors de l’édition 2015 du festival Sundance, le film Tangerine de Sean Baker a suscité la curiosité des visiteurs puisqu’il a été tourné entièrement au moyen d’un iPhone.

Image: Tangerine

Le montage automatisé

La troisième perturbation concerne le métier de monteur, qui était jusqu’à très récemment encore relativement protégé. Même les Youtubeurs se sont très vite rendu compte qu’il leur fallait apprendre les rudiments du métier et la grammaire visuelle pour produire des contenus intéressants. L’époque où il fallait apprendre FinalCut touche elle aussi à sa fin puisque des services de montages automatisés commencent à faire leur apparition.

Par exemple, Evergig est une jeune entreprise française qui offre un service de montage automatisé en ligne. Les algorithmes d’Evergig permettent de récupérer plusieurs flux vidéo (sur YouTube, par exemple), de les assembler et de produire une vidéo dynamique de facture semi-professionnelle.

Evergig a commencé par une offre de services axés sur les contenus musicaux. Outre l’étalonnage vidéo, l’algorithme d’Evergig est capable de récupérer tous les flux filmés et partagés en ligne lors d’un même concert, d’identifier et de conserver les meilleurs moments et de monter une clip de la prestation en direct captée par les fans. La start-up a aussi fait breveter un algorithme qui permet la production d’une trame sonore optimale en synchronisant toutes les trames sonores captées par mobile.

Rappelons que la production vidéo, qu’elle soit destinée à la télévision ou au Web, est confrontée à des enjeux budgétaires toujours plus contraignants et à une concurrence toujours plus féroce. Il faut toujours faire plus avec moins, ce qui condamne les acteurs du métier à se réinventer ou à disparaître.

Comme pour les caméras de luxe, les monteurs professionnels ne devraient pas disparaître. Par contre, leur métier va être redéfini et les meilleurs sauront être embauchés pour apposer leur signature à des productions plus ambitieuses.

Le direct à la portée de tous

La dernière « disruption » est celle de la diffusion en direct. Il y a encore dix ans, cette technologie était excessivement coûteuse et réservée à une poignée de professionnels. L’arrivée de plateformes comme Live Stream, Ustream et Twitch a rendu la chose bien plus aisée et gratuite pour tous.

Aujourd’hui, la diffusion en direct se déplace immanquablement vers le mobile. Lors du dernier SXSW, l’application Meerkat a suscité beaucoup d’intérêt, notamment de la part du monde journalistique. Connectée à Twitter, cette dernière permet de filmer et de retransmettre le contenu en direct à partir de son téléphone. Le contenu est accessible sur Twitter. Preuve de l’intérêt pour cette technologie, Twitter a contre-attaqué en rachetant Periscope, une illustre inconnue dont l’application n’avait pas encore dépassé le stade de la version bêta.

Voilà donc ce qu’on entend par la grande perturbation du média vidéo. C’est une révolution portée par Internet et la mobilité qui conduit tour à tour à la démocratisation du support médiatique, du matériel de captation/montage/post production et de la diffusion en direct. Ce qui représentait il y a dix ans à peine la chasse gardée de quelques professionnels est devenu leterrain de jeu de tous ceux qui tiennent un mobile entre leurs mains.


Fabien Loszach
Titulaire d’un doctorat en sociologie avec spécialisation dans les imaginaires sociaux, l’art et la culture populaire, Fabien Loszach travaille comme directeur de la stratégie interactive pour l’agence Brad et comme consultant dans les domaines médiatique et numérique. Il est aussi chroniqueur à l’émission La sphère consacrée aux cultures numériques et diffusée sur les ondes d’Ici Radio-Canada Première. Chaque semaine, il y traite d’un sujet d’actualité avec le regard d’un sociologue.
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