La guerre des flux: vers une saturation budgétaire des consommateurs canadiens?

Depuis le lancement du service de vidéo à la demande par abonnement (VADA) de Netflix au Canada en 2010, le marché du contenu en ligne a beaucoup évolué. De nouveaux joueurs, de nouveaux contenus, mais surtout, une évolution marquée du prix de ces services, ont transformé la manière dont les Canadiens consomment les contenus vidéo en ligne.

Du point de vue des diffuseurs de VADA, l’adoption de stratégies de contenu original (qu’elles doivent financer), la pression des investisseurs qui souhaitent voir ces plateformes devenir plus profitables (après des années de pertes cumulées), et l’accroissement des réglementations nationales de moins en moins conciliantes (incluant les taxes à la consommation) ont mis une pression à la hausse sur les prix.

Néanmoins, la volonté et la capacité des consommateurs à débourser toujours plus pour de tels services est limitée. À titre d’exemple, Netflix a fait son entrée au Canada en 2010 avec un service à 7,99$ qui est aujourd’hui vendu 16,49$ (une augmentation de plus de 100% du prix), ce qui n’a pas empêché le nombre de ses abonnés de passer d’un million de ménages au terme de sa première année d’opérations à environ 7 millions en 2020.

Alors que le prix et le nombre d’usagers ont augmenté conjointement ces dernières années sous l’impulsion de nouveaux schémas et de nouvelles préférences de consommation de contenu, le marché arrive graduellement à maturité. On peut donc s’intéresser à la sensibilité de la demande des consommateurs pour ce type de services, c’est-à-dire à son élasticité-prix.

D’emblée, une étude menée par Morning Consult auprès de téléspectateurs américains révèle que 17% des consommateurs ne voudraient pas payer plus de 15$ (19$CAD) par mois pour les services de VADA et 63% indiquent qu’ils n’accepteraient pas de payer plus de 50$ (61$CAD). Le FMC rapportait dans son dernier Rapport sur les tendances que 60% des Canadiens détiennent au moins un abonnement à un service de VADA, soit environ 22,5 millions d’utilisateurs, qui ensemble, dépensent environ 1,4 milliards de dollars par année soit… 53$ par mois. Si ces estimations sont vraies, la situation risque de se compliquer pour les ménages qui ont plusieurs abonnements.

En effet, alors que la majorité des consommateurs arrivent à la limite supérieure de leur volonté de payer pour des services de VADA, il est légitime de se demander quelles stratégies seront adoptées par les diffuseurs pour pallier cette contrainte, et quelles stratégies seront adoptées par les consommateurs pour y faire face.

Le lancement d’Apple TV+ et de Disney+ en 2019 s’ajoute en effet aux Netflix, Amazon Prime et HBO qui jusqu’ici se partageaient la part du lion du marché canadien. Le Canada a également ceci de particulier que de nombreux petits joueurs se partagent une part non-négligeable du marché; Crave, Gem, Tou.tv et Illico sont présents chez environ 10% des ménages canadiens.

Or, comme l’ensemble des prix augmentent et que la contrainte budgétaire, elle, ne progresse pas aussi rapidement, on risque de voir un phénomène d’abonnement/désabonnement des plateformes au rythme des promotions, des contenus et des préférences évolutives des consommateurs.

Comme le rapporte Antenna, toutefois, le taux de désabonnement des plateformes américaines – Netflix en tête – est souvent de 2 à 3 fois inférieur aux autres plateformes de VADA. De 2019 à 2021, Antenna montre un taux de roulement de la clientèle de Netflix de l’ordre de 2,4% par année en moyenne, contre environ 4% chez Hulu et 7% chez les autres plateformes. Cela signifie que les plateformes canadiennes détenant de plus petites parts de marché risquent d’être affectées de manière négative par cet effet inflationniste.

La démultiplication des plateformes pose en ce sens un problème, particulièrement lorsque les diffuseurs de VADA permettent de visionner des contenus canadiens originaux qui risquent de devenir inaccessibles. De la même manière que les services de base ont été régis par le CRTC en 2016, il sera intéressant d’examiner quelles stratégies les diffuseurs de VADA choisiront pour se partager une enveloppe qui ne croît pas aussi rapidement que l’appétit de leurs investisseurs.

À mesure que le marché de la VADA arrive à maturité, il ne serait pas surprenant de voir une certaine consolidation sur le marché, voire même, une offre plus ‘meta’ qui permettrait de regrouper l’ensemble de ces contenus en une seule interface.

À défaut de pouvoir voir tous les contenus, tout le temps, un travail de simplification est nécessaire pour favoriser l’accès aux contenus à tous et à toutes, à un prix raisonnable.


Francis Gosselin
Francis est docteur en économie et entrepreneur en série. Consultant et aviseur auprès de dirigeants et de conseils d’administration, il est également président de Norbert Hill et président du conseil de FailCamp, une OBNL dédiée à la promotion de l’entrepreneuriat et de l’apprentissage. Il a travaillé comme consultant dans le domaine de l’éducation, des médias, de l’immobilier et des services financiers pour des clients comme Ubisoft, l’École Supérieure de Gestion—UQAM, Radio-Canada, Lune Rouge, BNP Paribas, Allied Properties et l’Institut de Développement Urbain. Croyant fermement aux vertus de l’engagement social et philanthropique, il siège sur le Conseil d’administration du festival MUTEK, et est membre du Club des 100 jeunes philanthropes d’HEC Montréal. Il élève depuis 2012 des chiens MIRA destinés à des personnes dans le besoin, en plus de contribuer financièrement à cette cause importante.
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