La programmatique au-delà de la publicité : dans un futur proche
Est-ce que les technologies « programmatiques » utilisées en publicité pourraient automatiser et personnaliser la distribution de contenu culturel et éditorial ?
La programmatique s’inscrit dans l’évolution rapide que subit le milieu de la publicité en ligne. En 2014, la programmatique aurait généré davantage de revenus publicitaires que toutes les autres formes traditionnelles de vente et achats de publicités en ligne (display related advertising). Cette donnée émane de la première étude de l’Interactive Advertising Bureauconsacrée au marché américain de la programmatique et menée pour le compte de PricewaterhouseCoopers (PWC) aux États-Unis.
Le marché des revenus de publicité programmatique aurait ainsi atteint 10,1 milliards de dollars en 2014 aux É.-U., soit 52 % de toutes les bannières publicitaires en ligne et approximativement 20 % de l’ensemble des revenus publicitaires générés dans Internet (un marché de 49,5 milliards chez nos voisins du Sud).
La « publicité programmatique » ne fait pas référence à un format publicitaire en particulier (display, search-related, video, etc.) mais bien à la façon dont la publicité se transige entre acheteurs et détenteurs d’inventaire publicitaire, et comment, ultimement, elle est livrée à l’utilisateur.
Ainsi, la programmatique est plus spécifiquement une révolution technologique qui élimine les frictions entre acheteurs et vendeurs, améliore le ciblage publicitaire et autorise des gains d’efficacité et d’optimisation en temps réel (notamment grâce à l’achat d’enchères en temps réel appelé en anglais real-time bidding, RTB).
PWC, IAB Programmatic Revenue Report 2014 Results (anglais seulement)
Comme le montre ce tableau, l’ensemble de la chaîne, de la vérification de la disponibilité d’inventaire à la livraison de contenu, se déploie en moins de 1 seconde sur ces plateformes dites d’Ad Exchange.
Les acheteurs font appel à la programmatique pour accroître leur accès à une vaste gamme d’inventaires et à des données poussées, ce qui permettra d’améliorer le ciblage et la pertinence, entraînant ainsi une hausse du taux de réponse ou des résultats des campagnes publicitaires. Les outils de programmatique permettront en outre aux acheteurs de publicité de modifier leurs campagnes en temps réel et d’augmenter l’efficacité des achats.
— PWC, IAB Programmatic Revenue Report 2014 Results
La majorité des revenus issus de la programmatique se génère aujourd’hui dans le marché de la publicité en ligne, mais le marché de la publicité télévisuelle s’intéresse de plus en plus à ces nouvelles méthodes.
Ici aussi, l’effet recherché est un meilleur ciblage publicitaire, un gain d’efficience et l’espérance d’un meilleur rendement, notamment grâce à l’acquisition de données d’auditoires extrêmement ciblées que permet un tel mode de distribution automatisé.
Comme l’explique Digiday, « plutôt que de se fier aux cotes d’écoute d’une émission ou d’une chaîne particulière, les spécialistes du marketing peuvent faire appel à la technologie de la programmatique pour atteindre un sous-ensemble plus précis de téléspectateurs, par exemple, les hommes gagnant un revenu de 50 000 $ par année et possédant un appareil Android ».
Et si la programmatique servait aux contenus autres que publicitaires ?
Poussons maintenant la réflexion (et l’imagination) pour considérer l’émergence éventuelle d’un nouveau mode de distribution pour les contenus culturels ou éditoriaux qui serait fondé sur les logiques et méthodes programmatiques. Est-ce que ces nouveaux modèles de type « programmatique » pourraient être appliqués à l’automatisation de la distribution de contenus cinématographiques et télévisuels fondée sur les auditoires et leurs données ?
Dans cette logique, la « distribution programmatique de contenus » peut être imaginée comme un flux dans lequel les données recueillies auprès des utilisateurs déclencheraient un processus automatisé de transactions de droits et de livraison de contenus entre ayants droit et diffuseurs. Le résultat final serait la diffusion d’un contenu correspondant aux préférences de l’utilisateur ciblé.
De plus, il serait possible de monétiser ces contenus vidéo en y accolant de la publicité en surimpression ou en « pré-roll », comme on le voit déjà largement sur les plateformes d’agrégation de vidéos.
Cette précieuse collecte des données et préférences des utilisateurs pour le visionnement d’un film ou d’une émission de télé pourrait se faire de manière volontaire. Par exemple, un utilisateur n’aurait qu’à répondre à quelques questions sur son humeur, le genre de film ou série, la langue, et la durée désirée pour que la plateforme présélectionne et « programme » un contenu qui correspond à ses attentes.
Mais nous savons que le Web, très avancé en collecte de big data, est d’ores et déjà capable de recueillir ces données de manière algorithmique. Le comportement de l’utilisateur dans un site donné — les mots-clés qu’il cherche, les liens sur lesquels il clique, son historique de navigation de la journée — peut indiquer aux plateformes quel type de contenu celui-ci serait susceptible d’apprécier.
Le cœur du dispositif de la distribution programmatique serait donc un super engin de recommandation, plus sophistiqué que celui qu’on trouve aujourd’hui sur diverses plateformes. C’est du moins le « rêve fou » de Cristos Goodrow, directeur de l’ingénierie pour la recherche et la découverte chez YouTube : « Pour chaque humain sur terre, nous pensons qu’il existe 100 heures de YouTube qu’il aimerait regarder. »
Est-ce effectivement pensable qu’on en vienne là ? On le sait : l’auditoire a déjà repris la main sur une partie de la « programmation » en décidant quand et où il consomme du contenu. En outre, les comportements de consommation et les préférences n’ont jamais été aussi fragmentés, aussi personnalisés.
Il existe aujourd’hui une telle variété de niches et de segments — pour reprendre les termes de l’industrie — parmi les auditeurs et les utilisateurs qu’il est devenu difficile pour les programmateurs de contenus (télédiffuseurs ou autres éditeurs) de décider quoi, quand et en quel lieu un auditeur est susceptible de regarder un programme.
De plus, l’usage grandissant d’algorithmes et d’engins de recommandations, notamment par les médias sociaux, mais également chez Amazon et Netflix, habitue de plus en plus les utilisateurs à une logique par laquelle ils se voient « pousser » du contenu.
La dynamique du « pull content », qui a fortement caractérisé le Web des années 2000, bascule aujourd’hui vers une dynamique de « push » propre à un Internet des objets et à un Web dominé par les médias sociaux. Bref, il ne serait pas étonnant que, dans la situation actuelle d’hyperabondance de contenus, les utilisateurs — déjà submergés — préfèrent aujourd’hui se voir proposer, par curation ou par recommandation sociale et algorithmique, des contenus susceptibles de les intéresser.
Finalement, l’automatisation et la désintermédiation dans l’écosystème des contenus ne font que s’accélérer. Comme on l’indique dans la mise à jour de notre rapport de tendances 2015, la transition vers le numérique passe par une optimisation des services, une rationalisation des processus, l’accroissement des efficacités organisationnelles et un recours moindre aux intermédiaires.
Des agrégateurs comme YouTube, Vimeo et Dailymotion font en bonne mesure la même chose dans le monde de l’audiovisuel. Ils automatisent la livraison et la distribution tout en facilitant la monétisation, s’il y a lieu, par des modèles transactionnels, d’abonnements ou publicitaires. En outre, de nouvelles plateformes telles que RightsTrade et FADEL proposent aujourd’hui des marchés virtuels pour la transaction de droits liés à des contenus cinématographiques et télévisuels.
Alors, ne reste-t-il qu’un pas à franchir pour englober toute la chaîne, de l’accès aux catalogues à la diffusion, dans un processus entièrement automatisé et possiblement effectué en temps réel?
Un futur plus proche qu’on ne le croit
Il existe déjà des plateformes de publicité programmatique telles que SpotXchange, OpenX,DoubleClick de Google ou le réseau publicitaire canadien CPM.tc. Cependant, les solutions technologiques proposant la programmatique de contenus autres que publicitaires sont plus rares. Pourtant leur émergence est bien réelle, et certaines entreprises ouvrent déjà la voie à l’univers automatisé de la distribution en temps réel.
C’est le cas d’entreprises comme Mediabong qui se spécialisent dans les formats vidéo plus proches du contenu de marque que les formats publicitaires traditionnels. C’est également le cas de Digiteka, qui, selon nos recherches, est l’une des seules entreprises à offrir du placement de contenus vidéo de type éditorial sur plus de 400 sites médias.
Encore de nombreux défis à relever
L’étude récente de PWC nous instruit sur les facteurs critiques et les conditions nécessaires à une adoption plus vaste des technologies programmatiques et à leur application à des librairies de contenus vidéo premium qui pourraient, à l’avenir, dépasser le cadre du marché publicitaire.
C’est ainsi que l’étude indique, entre autres, que :
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la programmatique demeure complexe pour les acheteurs comme pour les vendeurs qui doivent notamment démystifier ces méthodes et s’assurer qu’elles correspondent bien à leur stratégie de placement média;
- il faut continuer de développer la confiance de l’industrie face à ces nouvelles méthodes, notamment du côté des acheteurs d’inventaire, qui veulent s’assurer que leur contenu (publicitaire ou autre) trouve un placement adéquat et soit livré à l’auditoire et consommateur cible;
- il faut faire croître l’efficacité du déploiement des méthodes de placement et distribution programmatique sur toutes les plateformes et tous les types d’appareils, notamment le mobile;
- de nombreux éditeurs et plateformes de contenu (notamment celles qui disposent d’un inventaire média) doivent adapter leur plateforme pour accueillir du placement de type programmatique.
Ainsi y a-t-il encore du chemin à faire et beaucoup d’éducation, autant du côté des acheteurs que de celui des vendeurs, avant d’appliquer aux contenus culturels ou éditoriaux les méthodes transactionnelles et les technologies de livraison de la programmatique.
Mais, dans cet univers dématérialisé où l’automatisation gagne du terrain chaque jour, où les utilisateurs sont de plus en plus enclins à se voir recommander ou « se faire pousser » des contenus susceptibles de les intéresser, et où certaines entreprises telles que Digiteka expérimentent de manière probante en alliant la technologie programmatique au contenu premium, il semble que la distribution programmatique des contenus pourrait se voir qualifier de « possible adjacent » comme le définit l’auteur Steve Johnson dans son livre à succès Where good ideas come from, A natural history of innovation.
Comme quoi le futur n’est jamais très loin…