L’apprentissage automatique et l’art (1 de 2)

L’apprentissage automatique (Machine Learning en anglais) et l’apprentissage profond (Deep Learning en anglais) bouleversent de plus en plus de sphères de la société, permettant notamment d’améliorer l’intelligence artificielle, de freiner la propagation des logiciels malveillants et beaucoup plus encore. Il n’y a toutefois pas que les scientifiques qui s’y intéressent; les artistes aussi…

Dans le cadre d’une série de billets, FMC Veille a rencontré l’ingénieur Damien Henry de Google en marge de la conférence pour développeurs Google I/O 2016.

Damien Henry dirige la Cultural Institute Experiment Team (CILEx), une équipe de l’Institut culturel de Google qui s’applique à utiliser des outils modernes, notamment l’apprentissage automatique, à des fins artistiques.

L’apprentissage automatique est un domaine de l’informatique où une tâche n’est pas programmée directement par un humain, mais où un algorithme apprend à maîtriser la tâche par lui-même. Au lieu d’expliquer à un ordinateur comment reconnaître une photo de chien, un développeur peut ainsi lui fournir des millions d’images – certaines avec des chiens, d’autres sans chien – qu’il pourra lui-même analyser pour apprendre à reconnaître l’animal.

Damien Henry est également le co-inventeur, avec David Coz, des lunettes de réalité virtuelle Google Cardboard.

Entretien avec Damien Henry

 

Damien Henry au Google I/O 2016
Crédit pĥoto : Maxime Johnson

FMC Veille : Qu’est-ce que le CILEx?

 

Damien Henry : Le CILEx est une petite équipe de l’Institut culturel de Google qui expérimente sur trois axes. Le premier axe concerne l’engagement, soit tout ce qui permet aux personnes d’entrer en contact avec la culture. Le second axe consiste à organiser l’information à laquelle a accès l’Institut culturel de Google. On essaie de trouver des façons de présenter les choses de sorte à aider les utilisateurs à naviguer parmi des millions d’œuvres. Le troisième axe consiste à analyser l’information pour établir, par exemple, si l’utilisation des couleurs évolue au fil du temps.

Depuis un an, nous avons aussi une petite résidence, où nous proposons à des artistes de venir travailler avec nous. Nous voulons voir ce qui se passe quand nous mettons nos outils à la disposition d’artistes et de codeurs créatifs. Jusqu’à présent, c’est vraiment étonnant de voir à quel point il en ressort des choses variées.

FMCV : En quoi l’apprentissage automatique peut-il aider les artistes?

DH : Nous avons une approche très pragmatique au sein de l’équipe CILEx. Nous utilisons des technologies existantes et tentons de les appliquer à divers domaines artistiques. Nous n’avons pas d’idées préconçues.

Par exemple, nous l’avons utilisé pour classifier des millions de tableaux. Mais la classification, ce n’est qu’une toute petite partie de ce que les réseaux de neurones peuvent faire. On peut, par exemple, placer des tableaux dans des espaces multidimensionnels, trouver si des images se ressemblent ou si elles sont différentes et ainsi de suite.

On peut aussi créer des œuvres à partir d’algorithmes d’apprentissage profond, comme l’a fait l’artiste codeur Mario Klingemann, qui réside chez nous en ce moment.

FMCV : Vous utilisez beaucoup l’apprentissage automatique avec les tableaux. Pourra-t-il aussi être utilisé pour d’autres formes d’art?

DH : L’apprentissage automatique commence aussi à être utilisé pour analyser et traiter du contenu vidéo. Par exemple, un algorithme est capable de colorier lui-même des films en noir et blanc à l’origine.

Mais, pour l’instant, l’image domine. Il faut dire que beaucoup de recherche se fait par rapport à l’image et que c’est le domaine où les outils existants fonctionnent le mieux.

Mais ça pourrait aussi s’appliquer à d’autres domaines. Des études sont menées pour tenter d’utiliser l’apprentissage automatique sur des objets en 3D, par exemple. Quand on cherche des articles scientifiques sur l’apprentissage profond, on en trouve de nouveaux pratiquement toutes les semaines.

FMCV : Est-ce que l’apprentissage automatique permettra de mieux comprendre l’art?

DH : Il faut être très humble par rapport à l’apprentissage automatique et à l’art. Si on a accès à toutes ces œuvres, c’est parce que des conservateurs se sont succédé pendant des générations pour les préserver.

Des gens ont étudié ces tableaux pendant des centaines d’années. Ce serait prétentieux de croire qu’un algorithme nous permettrait automatiquement d’apprendre quelque chose de nouveau.

Cela étant dit, ce sont de nouveaux outils. Il n’est donc pas impossible que quelqu’un qui connaît bien l’art et qui utilise ces outils puisse faire une nouvelle découverte.

Toutefois, l’outil ne découvrira rien de lui-même ; ce sont les experts qui le feront. C’est d’ailleurs un bon moment pour faire un doctorat sur l’art et l’apprentissage automatique. Il y a beaucoup de choses à accomplir de ce côté.

FMCV : Est-ce que l’apprentissage automatique est accessible à tout le monde?

DH : Oui. La communauté de l’apprentissage automatique a toujours été très ouverte et il existe beaucoup d’outils ouverts. Quelqu’un de motivé et de curieux n’a pas besoin d’être un bon codeur pour s’en servir. Il peut comprendre lui-même les concepts et essayer des choses. C’est aussi plus facile d’essayer qu’auparavant, car les algorithmes sont plus rapides.

Il y a longtemps que l’apprentissage automatique existe, mais avec les progrès des ordinateurs, des outils et de la communauté, les conditions sont aujourd’hui réunies pour que tout le monde puisse l’essayer.

FMCV : Est-ce que les machines pourront un jour créer elles-mêmes de l’art?

DH : L’art génératif, où des logiciels font de l’art automatiquement, existe depuis très longtemps et l’apprentissage automatique peut être utilisé pour peaufiner ces techniques.

Mais il y a toujours un point de départ à tout cela, et c’est la volonté humaine. On peut programmer un ordinateur pour écrire des mots, mais ça reste un humain qui a écrit le programme.

L’art et l’apprentissage automatique : par où commencer?

Tel qu’indiqué par Damien Henry, grâce à une communauté vivante, des outils ouverts et des logiciels de plus en plus rapides, toutes les conditions sont réunies pour que n’importe qui capable de programmer, ne serait-ce que des rudiments, puisse apprivoiser l’apprentissage automatique.

Voici quatre ressources proposées par l’ingénieur pour les artistes et programmeurs intéressés à découvrir cette technologie :

  • Tensorflow : un outil ouvert d’apprentissage automatique
  • AMI Initiative : un programme rassemblant des artistes et des ingénieurs de Google pour la réalisation de projets en apprentissage automatique
  • Projet Magenta : les publications d’une équipe de chercheurs dédiée à générer de l’art par apprentissage automatique

À lire également : la suite de ce billet, présentant des exemples d’expériences liées à l’art et à l’apprentissage automatique réalisées par les résidents de l’équipe CILEx.


Maxime Johnson
Maxime Johnson est un journaliste indépendant spécialisé dans l’analyse et l’observation des nouvelles technologies. Il signe une chronique dans le journal Métro et dans le magazine L’Actualité, en plus de collaborer à plusieurs magazines spécialisés comme Protégez-vous. On peut aussi l’entendre à la radio, notamment à l’émission La sphère sur les ondes d’ICI Radio-Canada Première.
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