L’économie Internet : le Canada versus les États-Unis

La valeur d’Internet pour l’économie américaine est estimée à 1,2 billion de dollars. Cela se traduit par l’équivalent de 4,1 millions d’emplois à temps plein et 6 millions d’autres emplois indirects ou dérivés. Comment tout cela se répercute-t-il sur le paysage techno au nord du 49e parallèle?

D’entrée de jeu, voici une mise en contexte. Les données présentées ci-dessus sont tirées d’un rapport auquel j’ai contribué : The Economic Value of the Advertising-Supported Internet Ecosystem. Il s’agit du troisième rapport d’une série publiée par IAB tous les quatre ans depuis 2008.

Le travail consiste à cartographier l’économie Internet, puis à examiner un échantillon statistiquement significatif d’entreprises individuelles ainsi que de secteurs entiers de l’industrie afin d’établir la contribution au PIB des activités économiques et des emplois liés à Internet. La commande est de taille, c’est sûr : c’est une commande qui à la fois fascine et fait froncer les sourcils!

Comme le rapport s’étale sur quelque 118 pages, il y a lieu ici de résumer quelques-uns des principaux faits saillants :

  • La vidéo en ligne et le contenu OTT (télé par contournement ou contenu télévisuel non diffusé en direct) ont été les principaux moteurs de l’activité Internet, représentant quelque 70 % du trafic vidéo haut débit (le service Netflix s’en accaparant la moitié à lui seul).
  • Pour une première fois en 2016, les parts de marché détenues aux États-Unis par la publicité numérique et la publicité télévisée ont été au coude à coude, chaque forme de publicité accaparant environ 37 % de toutes les dépenses médiatiques.
  • En 2016, à peine 14 % des emplois dépendant d’Internet aux États-Unis se trouvaient dans les régions « suspectes habituelles » de Silicon Valley, Seattle, New York et Boston.
  • Les autres 86 % des emplois ont été répartis entre des entreprises situées partout dans le pays, mais aussi sous la forme de marchands vendant leurs produits par le biais de plateformes comme eBay, Amazon et Etsy, de moteurs de services comme Uber, Lyft et Instacart ainsi que de travailleurs indépendants fournissant des services techniques et créatifs sur et pour Internet.

À quoi ressemble le paysage techno au Canada?

Comme Canadienne récemment rapatriée au pays, j’ai décidé d’entamer une réflexion sur les différences entre l’économie Internet du Canada et celle des États-Unis. À ma grande surprise, j’ai découvert plus de points de ressemblance que ce à quoi je me serais attendue.

La réaction impulsive serait de simplement diviser les chiffres américains par 10 puisque la population canadienne représente environ 10 % de celle des États-Unis. Cependant, en procédant ainsi, on arriverait à une contribution de 100 milliards au PIB et à quelque 400 000 emplois, ce qui ne révélerait qu’une partie de la réalité.

Donc, quelle autre lumière peut être faite sur cette situation en l’absence des 6 mois à 1 an et des ressources humaines requises pour mener une analyse exhaustive de l’économie canadienne liée à Internet?

Ce qui est présenté ci-dessous résulte d’un examen plus approfondi du problème. Certaines similitudes attendues émergent tout comme un certain nombre d’importantes différences entre les économies Internet des deux pays.

Le Canada ne compte que 11 % de la population américaine, mais, dans les deux pays, 82 % de la population habite en milieu urbain. En matière de pénétration de la large bande, qui détermine la capacité de recevoir des services Internet à haute vitesse, le Canada se classe au 15e rang mondial, tandis que les États-Unis n’occupent que la 22e place au classement.

Publicité numérique

Une des méthodes utilisées dans le cadre de l’étude américaine visant à établir l’impact économique d’Internet dans ce pays a été de prendre la mesure de la publicité numérique. Pour les États-Unis, cet impact s’est chiffré à quelque 65 milliards de dollars pour 2016.

En appliquant le postulat pratique selon lequel l’activité canadienne représente environ 10 % de l’activité américaine, nous sommes assez bien servis étant donné que la valeur de la publicité numérique au Canada a totalisé 5,4 milliards de dollars, soit 8,3 % du total américain, au cours de la même période. Au Canada français, la publicité numérique a représenté environ 20 % du total de 5,4 milliards pour le Canada. Ce pourcentage correspond à la proportion de Francophones au pays.

De plus, tandis que 2016 a marqué la première année au cours de laquelle la publicité numérique a dépassé la publicité télévisuelle aux États-Unis, au Canada, ce seuil a été franchi en 2013. La tendance s’est maintenue, car la part de marché détenue par la publicité numérique au Canada s’est établie à 42 % – bien au-dessus de la moyenne mondiale de 33 % – en 2016. Cette part de marché devrait atteindre 47 % en 2017.

Innovation et formation en haute technologie au Canada

Que peut-on dire à propos de l’innovation et de la formation en haute technologie au Canada? La conclusion surprend encore une fois. Grâce en bonne partie à des plaques tournantes comme l’Université de Waterloo (qu’on surnomme le MIT du Canada), le Canada a sa propre Silicon Valley du Nord située dans le corridor entre Toronto et Kitchener-Waterloo.

Cette région compte près de 300 000 travailleurs des industries de haute technologie bien que tous les emplois portant l’étiquette « haute technologie » ne soient pas nécessairement liés à Internet (ex. : recherche pharmaceutique, fabrication aérospatiale, recherche et développement).

Au-delà de ce triangle technologique, on rapporte que la province de l’Ontario rivalise avec les principales grappes technologiques aux États-Unis sur les plans de la taille et des salaires. Bien entendu, le Canada abrite d’autres grappes technologiques importantes : un total de 26 pépinières de l’innovation ayant été répertoriées en Colombie-Britannique, en Alberta, au Québec et dans le Canada atlantique.

De plus, toutes les grandes sociétés technologiques américaines exploitent un ou plusieurs bureaux au Canada. C’est notamment le cas de Microsoft, de Yahoo, d’AOL, d’Amazon, d’Apple, de Google et de sociétés plus récentes comme BuzzFeed et Twitter.

Chaque année, la liste des réussites de chez nous sur Internet s’allonge. Elle comprend aujourd’hui des noms bien connus, incluant Shopify, Slack, Kik, Hootsuite, Wattpad, BroadbandTV, Radian6 (acquise par Salesforce.com) et PlentyofFish (acquise par Match.com).

Regard vers le futur

Parmi les secteurs de l’économie Internet qui sont susceptibles d’être les scènes de futures perturbations, notre rapport a identifié celui de la technologie financière (l’abréviation fintech est employée en anglais). Ce secteur offre aux particuliers et aux entreprises de nouvelles façons d’effectuer des opérations bancaires, d’investir et de contracter des prêts à une fraction du coût des services bancaires et des services de placement conventionnels.

Encore une fois, le Canada – un pays où les frais de gestion de placements sont parmi les plus élevés sur la planète – est bien représenté à cet égard. Une flopée de firmes proposent déjà des services de « robots-conseillers » en guise d’options viables aux offres des grandes banques et firmes de courtage – et ces services sont offerts à environ 20 % des frais normalement exigés.

La chaîne de blocs ou blockchain, c’est-à-dire la base de données décentralisée sur laquelle reposent des monnaies numériques comme le Bitcoin et l’Ethereum (devise inventée par Vitalik Buterin, programmeur qui est né en Russie et a grandi au Canada), est largement perçue comme une énorme menace à l’establishment bancaire. Cette technologie pourrait également perturber l’infrastructure traditionnelle de la diffusion médiatique.

À l’approche du 25e anniversaire de l’évolution des services Internet aux consommateurs, nous demeurons confrontés à l’imprévisible. L’époque du Far West des technologies de pair à pair comme Napster à la fin des années 1990 a contribué à ouvrir la voie aux services de diffusion en continu ayant transformé les médias pour en faire une combinaison de services utilitaires et de buffets à volonté.

Les médias traditionnels ont été dépassés par des armées créatives habilitées par le numérique, téléversant du matériel à des plateformes comme YouTube, Medium, Soundcloud, Bandcamp, Instagram et Snapchat. Les encyclopédies d’antan ont été remplacées par une plateforme ouverte proposant des articles d’une qualité et d’une exactitude remarquablement élevées, lesquels ont été rédigés et corrigés dans le plus strict anonymat.

Il va de soi que personne ne peut prédire avec certitude ce que réserve l’avenir maintenant. Cependant, pour les raisons invoquées ci-dessus entre autres – une pénétration élevée de la large bande, des douzaines de pépinières de l’innovation et de solides antécédents en matière de réussites qui rayonnent au-delà de nos frontières –, il y a certainement place à de l’optimisme lorsqu’il est question de nouvelles occasions pour le Canada dans l’économie Internet.


Leora Kornfeld
Jusqu’à présent, Leora Kornfeld a été vendeuse dans un magasin de disques, animatrice à la radio de la CBC, rédactrice de cas à la Harvard Business School, blogueuse et cruciverbiste chevronnée. Elle est actuellement consultante en médias et en technologies et travaille avec des clients américains et canadiens.
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