Les experts quotidiens de YouTube – et une physicienne du MIT
Si vous interrogez votre entourage sur l’utilité de YouTube, il est très peu probable qu’on vous réponde : « C’est un bon endroit pour apprendre. » Mais, détrompez-vous : on y trouve de plus en plus de vidéos qui visent à nous rendre plus intelligents, et celles-ci ont attiré à ce jour des milliards de visionnements.
Des filles et des garçons branchés qui enseignent sur YouTube
Autrefois réservé aux télédiffuseurs publics et aux publications spécialisées, le contenu éducatif constitue un autre genre dans lequel la distinction entre professionnel et amateur a été réduite de façon spectaculaire, voire éliminée, par Internet.
Ces vidéos sont-elles produites par des journalistes ou des praticiens chevronnés dans le domaine ? En général, la réponse est non. Dans YouTube, le chemin habituel vers l’avis d’experts est inversé.
La majorité du contenu qui correspond à la catégorie éducative ou ludoéducative (à savoir la combinaison d’éducation et de divertissement) n’est pas produit par des spécialistes possédant des connaissances poussées, mais plutôt par des garçons et des filles ordinaires dont la capacité à attirer un auditoire et à le maintenir diverti a tendance à être plus importante qu’un diplôme officiel.
Par exemple, Mitchell Moffit et Gregory Brown, de la chaîne AsapSCIENCE, se servent de bonshommes et de gribouillages pour aborder des questions liées à la science canine et à ce qui arriverait si vous cessiez de manger; Michael Stevens, Kevin Lieber et Jake Roper, des chaînes Vsauce, publient de petites rafales de programmation sur des sujets comme les illusions d’optique, l’apprentissage des bébés et les paradoxes des voyages dans le temps. Les vidéos animées de CGP Grey traitent de thèmes comme l’étrangeté des frontières géographiques et l’origine de l’heure avancée.
Pour en savoir plus sur le domaine en pleine croissance de la ludoéducation numérique, je me suis entretenue avec trois youtubeurs qui travaillent dans le secteur, au cours du Buffer Festival, le rassemblement de créateurs et d’amateurs de YouTube qui a lieu annuellement à Toronto.
Le serveur qui traite de politique américaine
Autrefois serveur narquois attirant un nombre décevant de 32 abonnés et comptant à peine quelques centaines de visionnements, Craig Benzine a réussi à attirer plus de 100 millions de visionnements et à devenir tout récemment l’animateur de Crash Course: U.S. Government and Politics, une chaîne de YouTube commanditée par PBS Digital Studios.
L’histoire de Benzine sur YouTube est plutôt modeste. Elle commence il y a un peu plus de huit ans alors qu’il travaillait au Big Bowl, un restaurant de cuisine fusion asiatique de Chicago. C’est à cette époque qu’il crée son alter ego WheezyWaiter, exécutant des reconstitutions d’interactions entre serveurs et clients, ainsi qu’en affichant les vidéos sur la plateforme de partage de vidéos, nouvelle à l’époque.
« À 27 ans, je me sentais comme un vieux type qui fait des vidéos dans son appart », a-t-il confié. En effet, à ses débuts, YouTube contenait en grande partie des vidéos d’adolescents et d’animaux de compagnie (ainsi qu’une certaine quantité de contenu piraté). « À la centième vidéo, je n’avais pas dépassé les quelques centaines de visionnements. Je n’étais suivi que par des amis et de la famille. »
Sa mention dans le site Web Nerdfighters a représenté un tournant. Elle lui a permis d’obtenir une visibilité accrue auprès de l’auditoire des champions d’Internet Hank et John Green, surnommés les Vlog Brothers, qui sont maintenant à la tête d’un empire médiatique comprenant des livres, des marchandises et un réseau de chaînes de YouTube attirant plus de un milliard de visionnements. Ils ont également conçu VidCon, un colloque réunissant des vedettes et des passionnés de YouTube qui attire quelque 20 000 personnes tous les ans à Anaheim, en Californie.
Le nombre d’abonnés à la chaîne YouTube de Benzine est passé de 32 à 1 000 en une semaine. Le chiffre a poursuivi son ascension et, en janvier 2010, Benzine a lancé un défi à son auditoire, promettant de produire une vidéo YouTube chaque jour si la chaîne atteignait les 100 000 abonnements. Le youtubeur n’a pas gagné son pari, la chaîne n’ayant atteint que 40 000 abonnements, mais il a décidé de lancer tout de même une vidéo par jour. Au bout d’une semaine, le nombre d’abonnements avait grimpé à 70 000.
Sa chaîne Wheezy Waiter comptant actuellement plus de un demi-million d’abonnés et plus de 100 millions de visionnements, Benzine a signé un contrat avec la prestigieuse PBS Digital pour Crash Course.
Les vidéos que Benzine produit pour Crash Course sont montrées dans des salles de classe partout aux États-Unis, et le serveur qui s’amusait à se moquer des clients et de ses collègues propose maintenant à des millions de spectateurs des thèmes comme le fonctionnement du Congrès.
Mettre à contribution un diplôme en physique
Lorsque Dianna Cowern, alias Physics Girl, 26 ans, a atterri sur YouTube, elle possédait de vastes compétences, mais elle n’avait pas du tout d’idée pour s’en servir. Après l’obtention de son diplôme en physique au MIT, Cowern a été chercheure à Harvard et ingénieure informatique chez General Electric, et a travaillé à une campagne de sensibilisation à l’Université de Californie au Center for Astrophysics and Space Sciences de San Diego.
Après avoir gagné un prix national en 2014 grâce à une vidéo à propos de la physique des couleurs, Cowern a attiré l’attention de PBS Digital — oui, encore une fois —, qui l’a embauchée pour produire 32 vidéos pour son centre éducatif YouTube.
Au départ, elle faisait la recherche, la scénarisation, le tournage et le montage de ses propres vidéos, mais Cowern dispose maintenant d’un budget suffisant pour embaucher de l’aide à temps partiel, à savoir un monteur et quelques scénaristes. « Ma première vidéo, assez amusante, portait sur ce que l’on peut faire avec un diplôme en physique, car je n’avais aucune idée de la façon de le mettre à profit. »
Comptable à temps plein et autres faits fascinants
Jusqu’à récemment, Matthew Santoro, dont les vidéos Fascinating Facts attirent de 25 à 30 millions de visionnements par mois, était comptable à temps plein à St. Catharines, en Ontario, et plutôt malheureux, selon ce qu’il en dit : « Je ne ferais plus jamais ce boulot. Jamais. Même si YouTube fermait demain. Car, aujourd’hui, je sais que, si on aime ce que l’on fait, on devient bon, et, si on est bon, on peut faire de l’argent. »
Santoro a mis presque quatre ans pour bâtir sa base d’amateurs dans YouTube, les visionnements mensuels passant de zéro en février 2010 à deux millions à la fin de 2013. Au cours de cette période, il s’occupait de la tenue de registres comptables chez son employeur le jour, tout en faisant seul la recherche, la scénarisation, le tournage et le montage de ses vidéos YouTube la nuit et les week-ends.
Santoro fait désormais partie du réseau Collective Digital, une société de médias multiplateformes qui travaille avec des youtubeurs, des marques et des télédiffuseurs.
Il attribue à Collective les « possibilités à valeur ajoutée » qu’il a reçues, notamment son rôle dans le prochain film Resident Evil, ses allocutions aux côtés de vedettes comme Ashton Kutcher, ainsi que ses partenariats avec des marques, notamment Canon, Audible et CoffeeMate.
Au printemps 2015, Santoro a ajouté trois amis proches — deux scénaristes et un monteur — à sa machine médiatique. « Je n’ai pas un emploi sur YouTube, précise-t-il. Je n’ai qu’un passe-temps qui me fait gagner de l’argent. »