Les nouveaux Goliath du jeu vidéo

L’effervescence dans le domaine du jeu vidéo se poursuit année après année, et celle-ci se traduit de plus en plus par des résultats financiers hors du commun. Alors que le jeu vidéo est souvent considéré à tort comme un sous-ensemble des médias numériques, il s’impose encore davantage comme une industrie à part entière, avec ses règles, ses codes, ses marchés, mais aussi, une concentration croissante.

C’est ainsi que Newzoo, une entreprise spécialisée en analytique de jeux vidéo, a révélé au cours de 2018 que le domaine a gagné 29% en valeur en un an pour atteindre 121 milliards de dollars américains à l’échelle mondiale.

Tendance lourde derrière cette croissance, 25 entreprises cotées en bourse se partagent désormais plus des trois quarts des parts de marché. Et ce nombre d’entreprises diminue lentement, mais sûrement.

Menées par la chinoise Tencent et la japonaise Sony qui, à elles deux, se partagent 15% du marché, les dernières années ont été marquées surtout par l’explosion d’entreprises comme NCSoft (+104%), Netmarble (+82%) et Nintendo (+82%).

Consolidation et volatilité

Devant ces taux de croissance fulgurants et les résultats financiers qui les accompagnent, les entreprises du jeu vidéo deviennent des cibles d’acquisition intéressantes pour les investisseurs, qui ont historiquement hésité à s’engager à part entière dans ce secteur.

Aux yeux de plusieurs, tant sur le plan de la dette que sur celui de l’investissement en capital, le succès financier des studios revêtait jusqu’ici un aspect largement aléatoire, tributaire de titres précis qui fonctionnent ou non, à la manière des studios de cinéma. Or ce n’est plus le cas.

Afin de pallier cette volatilité des titres, plusieurs studios ont développé une approche de catalogue qui évolue sur des cycles durant de trois à quatre ans. Plusieurs grands éditeurs ont complété leur offre en procédant à des fusions-acquisitions visant à élargir l’empreinte de leurs studios et permettant du coup aux dirigeants de ces nouveaux empires de gérer ceux-ci à la manière d’un portefeuille d’investissement.

Le rapport Digi-Capital pour le quatrième trimestre de 2018 fait état d’investissements totaux dans l’industrie de plus de 25 milliards de dollars américains au cours de la dernière année. C’est une somme que les auteurs du rapport qualifient d’« Everest du jeu vidéo ».

Cette effervescence n’est pas sans rappeler celle qui a marqué le secteur des télécommunications au cours des 20 dernières années, réduisant largement le nombre d’acteurs dans le domaine et menant à une situation où un nombre limité de géants doivent optimiser des positions oligopolistiques, souvent au détriment de la compétitivité.

Toutefois, comme le signale Digi-Capital, l’enthousiasme des investisseurs a tendance à être lui aussi relativement cyclique. Après une année record en 2014 (24 milliards de dollars américains), les producteurs ont encaissé une chute de 90% de l’apport en capital en 2015. Une situation similaire s’était produite en 2007.

Le jeu vidéo est encore loin d’avoir atteint le même niveau de concentration qui sévit dans le domaine des télécommunications. Si la tendance au rapprochement entre studios permet d’envisager davantage de mégaproductions, il est également essentiel de préserver une écologie de studios indépendants, ne serait-ce que pour alimenter l’écosystème de nouvelles idées, de nouveaux concepts et de nouvelles manières d’organiser le travail.

À cet effet, il est intéressant de noter l’émergence d’organismes de défense des intérêts des studios indépendants, comme la Guilde des développeurs de jeux vidéos indépendants du Québec, qui cherchent activement à faire valoir la spécificité des entreprises non affiliées dans la dynamique sectorielle du jeu vidéo.

Expertise et concentration au Canada

Le Canada occupe une position enviable pour ce qui est de la production de jeux vidéo. Selon Les Affaires, on comptait en 2017 environ 21 700 emplois dans 596 studios dans le domaine au Canada.

Or ici, comme ailleurs dans le monde, les 25 plus grands studios regroupent 62% de la main-d’œuvre. À l’autre extrémité du spectre, 28% des employés du secteur, soit environ 5 000 travailleurs, œuvrent dans des entreprises de 25 employés et moins.

Cela est signe d’un écosystème vibrant dans le pays. Pour avoir une voix au chapitre mondial du jeu vidéo, toutefois, il est impératif que les acteurs locaux réfléchissent aussi à de possibles consolidations afin de développer leur capacité de produire des jeux de manière plus constante et prévisible, d’atténuer la volatilité et de participer activement à ce nouvel eldorado créatif.

Cependant, comme c’est souvent le cas dans le domaine du cinéma et de la télévision, les dirigeants de studios indépendants de jeux vidéo sont parfois moins bien outillés pour exploiter pleinement la vaste gamme de possibilités financières qui s’offre à eux. Ces enjeux viendront définir l’avenir du secteur et il faudra donc s’y intéresser de plus près au cours des années à venir.


Francis Gosselin
Francis est docteur en économie et entrepreneur en série. Consultant et aviseur auprès de dirigeants et de conseils d’administration, il est également président de Norbert Hill et président du conseil de FailCamp, une OBNL dédiée à la promotion de l’entrepreneuriat et de l’apprentissage. Il a travaillé comme consultant dans le domaine de l’éducation, des médias, de l’immobilier et des services financiers pour des clients comme Ubisoft, l’École Supérieure de Gestion—UQAM, Radio-Canada, Lune Rouge, BNP Paribas, Allied Properties et l’Institut de Développement Urbain. Croyant fermement aux vertus de l’engagement social et philanthropique, il siège sur le Conseil d’administration du festival MUTEK, et est membre du Club des 100 jeunes philanthropes d’HEC Montréal. Il élève depuis 2012 des chiens MIRA destinés à des personnes dans le besoin, en plus de contribuer financièrement à cette cause importante.
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