Les nouveaux tigres de l’économie numérique

Au cours des 40 dernières années, les économies asiatiques ont contribué très largement à la croissance mondiale. Dopées par un phénomène de rapide rattrapage dans de nombreux domaines d’activité traditionnels, ces économies emboîtent aujourd’hui le pas dans de nouveaux secteurs, au premier rang desquels l’économie numérique. Les pays d’Asie du Sud-Est, qui sont stratégiquement positionnés entre la Chine, l’Inde et l’Australie, mènent la charge.

Attestant de cette transformation vers de nouvelles sources de création de valeur numérique, la 3e édition du rapport Google-Temasek publiée fin 2018 fait état d’une croissance qui s’accélère. En effet, l’économie numérique combinée des pays d’Asie du Sud-Est a plus que doublé entre 2015 et 2018, passant de 32 à 72 milliards de dollars américains. La troisième édition du rapport présente d’ailleurs une révision des prévisions de croissance pour la région, dont l’économie numérique devrait atteindre 240 milliards d’ici 2025.

Source: Rapport Google-Temasek

À l’horizon 2025, l’Indonésie, les Philippines, le Vietnam et la Thaïlande devraient connaître des taux de croissance de leurs économies numériques respectives supérieures à 20% sur une base annuelle. Parallèlement, le FMI prévoit un taux de croissance global de l’économie de 5,2%; c’est donc quatre fois plus rapide que la moyenne des autres activités. Au sein de ces pays, ce sont des secteurs comme le commerce électronique, les services de VTC (Uber, Lyft, Grab, etc.) et les médias numériques qui participeront le plus à cette transformation.

Le rapport Google-Temasek rappelle qu’une manne importante de capital s’est déployée au sein de la région. Près de 24 milliards de dollars américains entre 2014 et 2018, dont 6 milliards dans la Singapourienne Grab, un service comparable à Uber qui est déployé dans 168 villes de la région.

Écosystèmes naissants, investissements croissants

De manière générale, l’Asie du Sud-Est compte les utilisateurs mobiles les plus engagés à l’échelle de la planète. En 2018, plus de 11 milliards ont été investis en publicité, jeux vidéo et MSD-VSD. Ces investissements témoignent de l’émergence des écosystèmes technocréatifs dynamiques qui non seulement accélèrent la croissance, mais permettent de voir émerger de nouvelles opportunités. En décembre 2018, le gouvernement singapourien a annoncé la création d’un fonds de coproduction dédié à la réalisation de longs métrages par des producteurs étrangers, et visant principalement les productions indépendantes.

Dans le même ordre d’idées, l’Indonésie a pris en 2018 l’initiative d’organiser, en partenariat avec la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED), la première Conférence mondiale sur l’économie créative. De nombreux rapports publiés par des think tanks occidentaux (dont le Martin Prosperity Institute, basé à Toronto) se sont intéressés à la région et à son fort potentiel de développement dans ces segments.

Cette évolution risque également de contribuer à la transformation du panorama numérique à l’échelle mondiale, aujourd’hui largement dominé par des entreprises américaines et nord-asiatiques. Dans le classement Forbes des 100 plus grandes entreprises numériques, aucune entreprise du Sud-Est asiatique ne figure aujourd’hui. Cette situation est appelée à changer.

Les occasions à saisir

Malgré ce portrait enthousiasmant, plusieurs défis guettent la région. La Banque mondiale a identifié six opportunités de développement ultérieur pour soutenir le développement de l’économie numérique en Asie du Sud-Est. La promotion de l’accès à Internet haute vitesse, le développement des compétences numériques, le déploiement de systèmes de paiement dématérialisés, l’établissement de meilleurs circuits logistiques, mais également l’établissement de mécanismes renforçant la confiance et l’implication plus directe des États dans l’économie numérique constituent autant d’opportunités pour ces pays.

À l’ombre des économies majeures que sont l’Inde, la Chine et l’Australie, en proximité directe avec un marché de 4,6 milliards de personnes, soit plus de 50% de la population mondiale, l’Asie du Sud-Est a l’opportunité de devenir une plaque tournante de l’économie numérique à l’échelle mondiale. Son ouverture et sa volonté de se connecter, à l’échelle régionale et internationale, sont des signes prometteurs pour les producteurs de partout qui s’intéressent à la région.


Francis Gosselin
Francis est docteur en économie et entrepreneur en série. Consultant et aviseur auprès de dirigeants et de conseils d’administration, il est également président de Norbert Hill et président du conseil de FailCamp, une OBNL dédiée à la promotion de l’entrepreneuriat et de l’apprentissage. Il a travaillé comme consultant dans le domaine de l’éducation, des médias, de l’immobilier et des services financiers pour des clients comme Ubisoft, l’École Supérieure de Gestion—UQAM, Radio-Canada, Lune Rouge, BNP Paribas, Allied Properties et l’Institut de Développement Urbain. Croyant fermement aux vertus de l’engagement social et philanthropique, il siège sur le Conseil d’administration du festival MUTEK, et est membre du Club des 100 jeunes philanthropes d’HEC Montréal. Il élève depuis 2012 des chiens MIRA destinés à des personnes dans le besoin, en plus de contribuer financièrement à cette cause importante.
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