Moteur, action, inclusion – Épisode 3
Moteur, action, inclusion est la toute première série vidéo proposée par Futur et Médias, la plateforme éditoriale du Fonds des médias du Canada (FMC). Elle se penche sur les enjeux de représentation et d’inclusion sur les écrans au Québec et surtout, se consacre aux pistes de solution qu’on voit à l’horizon.
Gaëlle Essoo, rédactrice en chef de Futur et Médias, et Diego Briceño, chef principal contenu et diversité au FMC, ont réuni une vingtaine de personnes clés de l’industrie des écrans au Québec, autour de cinq tables rondes, dans le but d’avoir de longues et fructueuses conversations.
Au fil des épisodes, nous aborderons divers enjeux et points de vue afin de décrypter les particularités de la situation au Québec et réfléchir ensemble à l’avenir d’une industrie plus inclusive et équitable, en ayant en tête les prochaines générations.
Épisode 3: Comment soutenir les artisans de la création à bâtir une industrie plus inclusive?
Dans ce troisième épisode, nous traitons de l’importance de soutenir la jeunesse créative de tous horizons et de briser les cadres établis pour implanter de nouvelles manières de faire, de créer et de représenter une diversité sur nos écrans.
Intervenant·es:
· Julie O'Bomsawin, productrice et co-fondatrice et présidente de Kassiwi Média
· Khoa Lê, cinéaste et metteur en scène
· Marie Ka, réalisatrice et scénariste
· Will Prosper, réalisateur et activiste
La section “À retenir” vous est proposée par Édith Vallières.
À retenir
Encourager et soutenir la jeunesse créative de toutes les origines
Riche de son travail avec les jeunes personnes racisées, Will Prosper explique que ces dernières peinent encore aujourd’hui à croire qu'elles «peuvent elles-mêmes être une œuvre ou encore en créer une». Khoa Lê abonde dans le même sens: «Pour chaque communauté, il y a vraiment encore, malheureusement, des stéréotypes, des archétypes. Alors, ils peuvent juste se projeter dans ce monde-là».
Pour élargir leurs horizons, ces jeunes devraient voir un plus grand nombre de modèles positifs sur leurs écrans. Plus encore, cette jeunesse créative doit être encouragée par les parents et le corps professoral: «Quand il n'y a pas un seul professeur qui voit ce potentiel-là, tu ne peux même pas croire que tu peux exister dans certains univers. Donc, tu t’en vas vers des voies faciles vers lesquelles on voit toujours tes communautés aller», explique Will Prosper.
Selon Julie O’Bomsawin, la formation pour œuvrer dans l’industrie audiovisuelle doit se donner plus tôt que tard, car il y a «des manques criants de relève pour pouvoir assurer une multiplication des voix autochtones», par exemple. Pour éviter les iniquités, il convient toutefois de s'assurer que les jeunes vivant en communautés plus éloignées aient le même accès que les autres.
Opérer des changements au sein des organisations
Khoa Lê s’indigne que nous créions toujours «collectivement pour un groupe d’individus qui sont majoritairement des hommes blancs. Tout est formaté pour ce groupe d’individus-là».
Afin de permettre à un plus grand nombre de projets issus des diversités de voir le jour, les organisations doivent bousculer leurs réflexes habituels à l’intérieur des multiples systèmes qui composent le système dominant. «Les différences doivent se faire dans de nouveaux programmes, dans de nouvelles solutions, dans des obligations», précise Julie O’Bomsawin.
De manière plus concrète, les jurys des comités de sélection doivent être composés de personnes issues de la diversité afin qu’elles étudient avec la bonne lunette les projets en cours d’analyse. Plus globalement, lorsqu’une personne a une idée, elle n’arrive que rarement à trouver le bon interlocuteur en face, selon Marie Ka. «Il y a tout de suite un frein, car il y a une interprétation [...] et l’évaluation de ce qui est écrit est considéré à travers un prisme qui n’est pas adéquat, simplement parce qu’il y a des différences culturelles».
Les organisations, pour leur part, doivent accepter que la production de projets différents, issus des diversités, coûte plus cher en raison d’une multitude de facteurs: l’établissement de protocoles, la formation de la relève malgré les enjeux de distance, les barrières linguistiques, etc. Selon Julie O’Bomsawin, cela demande du courage politique, de la flexibilité et une compréhension des réalités des groupes différents du groupe privilégié.
Quant aux diffuseurs, ils doivent faire confiance aux idées et projets des créateur·trices issu·es de la diversité pour pouvoir présenter de nouveaux contenus sur les écrans. Julie O’Bomsawin explique: «Il faut arrêter de penser à un projet comme une finalité. Il faut voir aussi tout ce que ça crée dans l’esprit de la relève et tout ce que ça peut créer chez le public pour changer les choses.»
Offrir de nouvelles avenues de diffusion sur le Web, les marchés internationaux et les plateformes de diffusion en continu
Les intervenant·es de cette table ronde s’entendent pour dire que la télévision devient de plus en plus obsolète, car les décideurs, majoritairement blancs, restent toujours pris dans leur même univers. «Ils sont en train de faire en sorte que les gens issus de la diversité ne se reconnaissent plus dans ce qui est fait ici au Québec», constate Will Prosper.
Conséquemment, les auditoires (et plus particulièrement les jeunes publics) se dirigent vers d’autres plateformes, comme Crave et Netflix, qui présentent un contenu ultra diversifié ainsi qu’une pluralité de formes. «Pourquoi je payerais neuf dollars ou quinze dollars [pour ICI Tou.tv] alors que je peux avoir bien plus de diversité et de choix ailleurs?» questionne Khoa Lê. Will Prosper avoue qu’il regarde ce qui se fait à l’extérieur du Québec, car il n’est pas inspiré par ce qui se fait ici.
Pour rivaliser avec les gros joueurs étrangers, Khoa Lê est d’avis qu’il faut injecter dans le système des visions différentes et s’entourer de gens issus de différents milieux. Marie Ka estime qu’il y a un succès indéniable à la clé: «Des études montrent que les personnes et les contenus issus de la diversité ont, non seulement une résonance à l’intérieur du pays, mais aussi voyagent beaucoup. On le voit d’ailleurs sur les plateformes […] Je pense qu’il faut faire un peu un examen de conscience pour vraiment se rendre compte de ce qui est à dépasser, et comment on peut trouver les solutions».
Si aucune action n’est prise en ce sens, la culture québécoise risque dangereusement de perdre des auditoires sur plusieurs générations, croient les intervenant·es.
Laisser aux créateur·trices issu·es de la diversité l’opportunité de créer
Un autre enjeu criant, selon les participant·es de cette table ronde, est que les créateur·trices issu·es de la diversité n’arrivent pas à se concentrer entièrement à leurs propres projets de création, car ils doivent constamment se défendre à plusieurs niveaux.
Devant les organisations, ils doivent régulièrement expliquer tout le contexte historique, tout le fameux "poids de l'Histoire" et justifier pourquoi leur histoire est importante à raconter.
Dans les médias, ces personnes sont invité·es pour faire de la politique ou pour parler d’enjeux sociaux (profilage racial, discrimination) qui ne sont souvent pas en lien avec leur côté artistique, tandis que les artistes blancs peuvent librement y parler de leurs œuvres. «Combien de fois j’aurais juste aimé parler de mon art, mais les gens me voient comme le militant, et c’est comme ça que je suis cadré», illustre Will Prosper. «C’est aussi un stress [de faire correctement les choses], parce que tu dis: "Je représente aussi des communautés"», ajoute Khoa Lê.
Conséquence? Plusieurs créateur·trices, comme Julie O’Bomsawin, se sentent épuisé·es: «Je ne sais pas pour vous, mais moi, je fais un nombre d’heures par semaine astronomique. C’est rendu un peu fou! Il y a les projets, il y a la production, il y a le développement, il y a la relève, il y a à participer à des évènements comme ça [la table ronde] auxquels on dit oui parce que c’est important que cette voix-là soit représentée…»
Khoa Lê croit donc qu’il faut modifier le système en place: «C’est un problème systémique, c’est ça le problème, ce sont les humains, les règlements, les politiques. Il faut brasser tout ça.» Parallèlement, il faudrait «ajouter des acteurs et des joueurs dans la game, pour que cette responsabilité-là soit partagée», renchérit-il.