Moteur, action, inclusion – épisode 4

Moteur, action, inclusion est la toute première série vidéo proposée par Futur et Médias, la plateforme éditoriale du Fonds des médias du Canada (FMC). Elle se penche sur les enjeux de représentation et d’inclusion sur les écrans au Québec et surtout, se consacre aux pistes de solution qu’on voit à l’horizon. 

Gaëlle Essoo, rédactrice en chef de Futur et Médias, et Diego Briceño, chef principal contenu et diversité au FMC, ont réuni une vingtaine de personnes clés de l’industrie des écrans au Québec, autour de cinq tables rondes, dans le but d’avoir de longues et fructueuses conversations. 

Au fil des épisodes, nous aborderons divers enjeux et points de vue afin de décrypter les particularités de la situation au Québec et réfléchir ensemble à l’avenir d’une industrie plus inclusive et équitable, en ayant en tête les prochaines générations. 

Épisode 4: Comment favoriser un accès et un partage plus équitables dans le domaine de la diffusion?

Dans ce quatrième épisode, nous parlons du rôle central des diffuseurs quant à la diversification des contenus proposés sur les écrans au Québec et du besoin urgent pour ces derniers de faire de la place à de nouveaux·elles joueur·euses et dirigeant·es issu·es des diversités.

Intervenant·es: 

·        Chan Tep, conseillère à la planification opérationnelle et stratégique, Diversité et inclusion chez Radio- Canada

·         Nadège Pouyez, directrice générale Stratégie, contenus originaux et convergence chez Québecor Contenu

·        Jean-Yves Roux, président et fondateur de Natyf TV

La section “À retenir” vous est proposée par Édith Vallières

À retenir

Offrir des contenus plus inclusifs pour coller aux réalités d’aujourd’hui

Selon les intervenant·es de cette table ronde, le besoin de diversité dans les contenus est plus que jamais d’actualité, notamment en raison de la montée des mouvements sociaux (comme Black Lives Matter), le visage changeant de la démographie au Québec et l’arrivée de gros joueurs américains sur le marché (Netflix, Disney+, Prime Video, etc.) qui attirent les jeunes de tous azimuts en présentant des contenus inclusifs et variés. «Les jeunes sont déjà dans cette diversité-là. Que ce soit sexuelle, culturelle, de langage ou de corps, ils acceptent et embrassent ça», avance Nadège Pouyez.

Par contre, selon Jean-Yves Roux, la télévision québécoise peine à suivre ces avancées technologiques et idéologiques: «Le vrai challenge, c’est de rattraper presque vingt ans de retard», affirme-t-il.

Pour arriver à s’actualiser et rejoindre les jeunes (qui seront le public 25-54 ans de demain), les diffuseurs québécois doivent notamment miser sur la découvrabilité. Il faut «être capable d’aller chercher les jeunes là où ils sont, sur les plateformes numériques, et, par la suite, créer du contenu qui est adapté à eux, qui est représentatif de leur réalité», explique Chan Tep. Aussi, ajoute Nadège Pouyez, il faut «arrêter d’essayer de penser qu’ils vont venir s’asseoir devant la télé et nous écouter. Il faut se mettre sur leur parcours […] leur parler dans leurs codes et […] les aborder dans leur vision des choses». «Je pense que si on ne le fait pas, on va mourir comme référents culturels pour cette génération-là», met-elle en garde.  

L’industrie d’ici doit aussi avoir un storytelling plus universel: «Il faut cesser de persister à toujours vouloir financer les mêmes histoires qui sont racontées par les mêmes auteurs tout le temps, de la même manière», mentionne Jean-Yves Roux avant d’ajouter que la population québécoise, notamment le million d’individus issus de la diversité, qui sont plus poussées à regarder la télévision américaine plus que la télévision québécoise, «ce n’est pas seulement parce qu’il n’y a pas beaucoup de couleur ici. Les histoires doivent les intéresser.» L’audace dans la création est donc primordiale, aux yeux de Chan Tep.

Inclure de nouveaux·elles joueur·euses des communautés sous-représentées dans l’industrie et bien les former

Pendant longtemps, les jeunes issu·es des diversités n’ont pas eu accès au milieu audiovisuel, perçu comme peu accueillant et réservé à quelques personnes blanches. Enfant des années 80, Chan Tep en témoigne en toute connaissance de cause: «Si on regarde dans l’historique des communautés culturelles, les métiers au niveau de l’audiovisuel ne sont pas nécessairement privilégiés par celles-ci […] Mes parents me l’ont dit: “Non, tu n’iras pas travailler en télévision, tu iras trouver une vraie job ailleurs...”»

Ces jeunes, comme Chan Tep, avaient aussi de la difficulté à se projeter dans l’industrie: «Quand on ne se voit pas [à l’écran], on ne se sent pas représenté. On ne se sent pas exister. Ça peut jouer sur notre confiance en soi, sur notre estime», explique-t-elle.

Jean-Yves Roux partage le constat et l’expérience de Chan Tep, tout en notant des changements depuis quelques années: «Il y a certaines ouvertures qu’il n’y avait pas avant. Il y a possibilité de percer.» Selon Nadège Pouyez, Québecor «a enlevé beaucoup de barrières en cessant de dire “Telle personne est racisée, ça ne fonctionnera pas... ”»

Pour tisser de nouveaux liens de confiance durables ainsi que des ponts avec les communautés sous-représentées, l’industrie doit les aider, les guider, les soutenir et les former adéquatement. Chan Tep affirme: «Il faut être capable de faire rentrer les gens dans un système qui est déjà préétabli, qui est déjà présent, et par la suite, pouvoir les emmener un peu plus loin […] c’est un travail de collaboration qui se joue à différentes échelles.»

Par exemple, selon Nadège Pouyez, l’industrie doit compter sur les agences comme On est là! pour créer plus de castings multiculturels qui vont au-delà du cliché «on a mis quelqu’un d’une diversité X ou avec un handicap X pour avoir l’impression de cocher une fiche Excel». Pour elle, «Il faut amener l’opportunité pour ces gens-là à prendre de l’expérience, à livrer. Parce que, effectivement, des fois, dans les communautés, c’est plus difficile d’inciter les jeunes à lever la main, “J’existe”. Ils ont des idées, ils ont du talent, ils arrivent parfois d’autres pays. Et on n’est pas capable de les identifier.»

Jean-Yves Roux croit également que l’industrie doit compter sur des médias complémentaires d’appui, dotés d’une mission différente, pour développer une nouvelle génération de professionnel·les et bâtir leur expérience. Il cite notamment Natyf TV, la chaîne de télévision qu’il dirige et qui, depuis son lancement en juin 2018, agit comme un tremplin important pour la relève issue de la diversité multiculturelle. «Les producteurs peut-être moins expérimentés, avec qui [Natyf TV] développe des projets, pourront peut-être dans deux, trois ans faire affaire avec les plus gros diffuseurs [comme Radio-Canada et TVA]», précise-t-il.

Avoir plus de décideur·ses issu·es des diversités

Aux dires de Jean-Yves Roux, la réalité du Québec se résume à un star système, un mini marché à l’intérieur d’un gros marché nord-américain anglophone. «On se partage la tarte entre les trois, quatre gros joueurs qui prennent toutes les décisions pour un marché qui est déjà petit. Ce n’est pas évident de travailler et de faire évoluer les choses dans un marché comme ça», témoigne-t-il.

Une refonte structurelle est donc nécessaire, selon Chan Tep. «Plus il y aura des gens en postes décisionnels qui sont issus des diversités, mieux l’industrie se portera», car ces personnes seront à même de comprendre la réalité d’avoir à constamment se battre et se prouver.

L’industrie commence peu à peu à emprunter cette avenue, même s’il reste beaucoup de travail à faire en ce sens. Chan Tep cite l’objectif de Radio-Canada d’avoir d’ici 2025 une personne sur quatre, issue de groupes sous-représentés, dans des postes clés. «Mon poste [de conseillère à la planification opérationnelle et stratégique, Diversité et inclusion chez Radio-Canada] a été créé spécialement pour pouvoir apporter plus de diversité et d’inclusion à l’écran, à la radio et sur le Web», explique-t-elle.

Nadège Pouyez croit que les décideurs actuels doivent faire preuve d’humilité culturelle, c’est-à-dire qu’ils ont l’obligation de réfléchir aux préjugés, de prendre le temps d’apprendre des personnes qui ne sont pas de la culture majoritaire, et d’écouter leurs différents points de vue et façons de faire. «Ce sont des mots qui commencent à grandir dans nos institutions», remarque-t-elle.

En conclusion, malgré ces défis de taille liés aux thématiques d’équité, de diversité et d’inclusion dans le monde de la distribution, les intervenant·es de cette table ronde croient que les planètes sont bien alignées pour y voir des changements positifs. Lentement, mais sûrement.


Gaëlle Essoo
Gaëlle Essoo travaille pour le Fonds des Médias du Canada en tant que rédactrice en chef de la plateforme éditoriale Futur et Médias. Elle est aussi chargée de projets pour l'équipe Croissance & Inclusion. Avant de joindre le FMC, elle travaillait pour la chaîne d’information internationale France 24 en tant que cheffe d’édition pour les programmes consacrés aux droits des femmes à travers le monde. Elle a également été conseillère de presse pour l’Ambassade de France au Canada.
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