Moteur, action, inclusion: Épisode 5

Moteur, action, inclusion est la toute première série vidéo proposée par Futur et Médias, la plateforme éditoriale du Fonds des médias du Canada (FMC). Elle se penche sur les enjeux de représentation et d’inclusion sur les écrans au Québec et surtout, se consacre aux pistes de solution qu’on voit à l’horizon. 

Gaëlle Essoo, rédactrice en chef de Futur et Médias, et Diego Briceño, chef principal contenu et diversité au FMC, ont réuni une vingtaine de personnes clés de l’industrie des écrans au Québec, autour de cinq tables rondes, dans le but d’avoir de longues et fructueuses conversations. 

Au fil des épisodes, nous aborderons divers enjeux et points de vue afin de décrypter les particularités de la situation au Québec et réfléchir ensemble à l’avenir d’une industrie plus inclusive et équitable, en ayant en tête les prochaines générations. 

Épisode 5: Nouveaux modèles et opportunités d’affaires: quel rôle pour les médias numériques?

Dans ce cinquième et dernier épisode, la conversation est axée sur les médias numériques et ce qui les distingue des médias traditionnels lorsqu’il s’agit de représentation et d’inclusion.

Participant·es:

  • Dedy Bilamba, Co-fondateur de Afro VFX et responsable de la programmation à l'Académie canadienne du cinéma et de la télévision
  • Harry Julmice, Co-fondateur et Président de Never Was Average
  • Ghassan Fayad, Fondateur et Président de Kngfu, producteur de contenus multiplateformes

La section "À retenir" est proposée par Rime El Jadidi.

À retenir

Une diversité intrinsèque

Ayant évolué en marge des médias traditionnels et des systèmes établis qui y sont associés, les médias numériques ont été de manière inhérente plus inclusifs et représentatifs de la société. 

Producteur de contenus multiplateformes depuis une vingtaine d'années, Ghassan Fayad se souvient à l’époque de ses premières tentatives de transition des médias numériques vers les médias traditionnels. «On est allés “pitcher” [une websérie] chez un grand diffuseur et on s’est fait dire: “Ah, mais ça ne marche pas ton truc, parce que ton personnage n’est pas blanc québécois. Ça ne correspond pas avec notre audience.” Moi, j’ai tout de suite vu qu’il y avait un énorme fossé, mais comme je venais des médias numériques, c’était naturel pour moi. C’était comme une claque que je m’étais prise de comprendre que: “Wow, OK, on est encore là, dans ces autres médias-là.”»

L'idée de contacter un diffuseur grand public n’a même pas effleuré Harry Julmice et Joanna Chevalier, co-fondateurs de Never Was Average. Ils ont créé et diffusé là où ils consommaient eux-mêmes du contenu: sur les réseaux sociaux. «C’est parce qu’on savait inconsciemment que l’industrie des médias, ce n’était pas pour nous. Elle n’est pas conçue pour nous, explique Harry Julmice. En tant que personne noire, quand tu crées, tu ne penses pas à dire: “OK, je vais créer un film, je vais produire un film, un contenu, et je vais aller voir ces diffuseurs-là pour voir s’ils sont intéressés.” Ton raisonnement ne fonctionne pas comme ça, à moins que tu aies eu un parcours traditionnel où tu es allé à l'école [de cinéma] et qu’on t’ait donné la structure de comment les choses sont faites, mais ce n’était pas le cas pour nous.»

Les co-fondateurs de Never Was Average sont d’ailleurs tombés dans l’industrie par hasard. Initialement, Joanna et Harry voulaient documenter une exposition sur laquelle ils travaillaient. C’est ainsi qu’est né le court métrage Amour is love. “Sans même savoir ce que ça prend pour faire un documentaire, on l’a produit, on l’a réalisé par nous-mêmes et après ça, il a été sélectionné pour le prix de la relève à RIDM, il a fait le tour de plusieurs festivals autour du Canada, il a été diffusé sur Tou.tv.”

Une nouvelle génération de publics

Les médias numériques ont démocratisé la création et la diffusion du contenu et ils ont permis l’émergence de nouveaux talents ayant un lien direct avec leur public. Plus agiles et adaptables aux changements, les créatrices et créateurs de contenu numérique ressentent souvent plus de pression pour constamment produire du contenu de qualité, qui résonne avec leurs publics. «En ligne, si ton contenu ne résonne pas, tu n’as pas d’audience», rappelle Harry Julmice, ajoutant que, contrairement à l'ancienne génération, la nouvelle génération n’a pas l’habitude d’attendre de recevoir le contenu à travers un écran, mais est plutôt dans la recherche du contenu qu’elle veut.

Les jeunes publics ont déserté les écrans de télévision puisque, comme le rappelle Dédy Bilamba, «ils ont l’impression qu’ils ne vont rien rater.» Plusieurs médias traditionnels commencent à peine à rattraper ce retard perdu en créant leurs propres plateformes numériques. Ghassan Fayad considère pourtant que «c’est un peu trop peu et trop tard». «S’ils avaient embarqué tôt, quand YouTube commençait, quand toutes ces choses-là commençaient, qu’ils avaient tout de suite créé leurs plateformes numériques, je crois qu’ils se seraient fait une place».

Selon lui, le problème est bel et bien générationnel: «Il y a une génération qui n’a pas vu venir ça. [...] Ils n’ont pas vraiment voulu écouter ceux qui, de ma génération, il y a 20 ans, commençaient à dire: “Hey, il faut checker du côté numérique.” On n’était pas pris très au sérieux.»

Mais d'après Dédy Bilamba, s’ajoute à l'argument générationnel le confort que le monopole des médias traditionnels offre aux principaux diffuseurs, ce qui fait qu’ils ne ressentent pas nécessairement l’urgence de se moderniser ou de s’adapter aux nouveaux modes de consommation. «Ce n’est pas juste une question de génération qu’on remplace du jour au lendemain, parce que tu peux changer les gens, mais la manière de faire peut rester, la culture peut rester. [...] Mais comme aujourd’hui les gens qui sont sur des chaînes, dans le modèle économique des annonceurs, continuent à recevoir, peut-être moins, mais continuent à recevoir de la publicité des mêmes annonceurs, et que ces annonceurs-là, eux, ce qu’ils aiment, c’est voir leur pub à la télévision ou autour des Canadiens [de Montréal], ça va rester comme ça».

Assurer la pérennité des talents du numérique 

Le principal défi des créatrices et créateurs du Web est celui de la pérennité. Beaucoup apprennent sur le tas et n’ont pas forcément de connaissances entrepreneuriales. Selon Dédy Bilamba, il est urgent de développer des modèles d’affaires pour les médias numériques. «N’ayant pas de modèle économique précis, n’ayant pas une stratégie dès le départ, tu as beaucoup de créateurs sur le Web qui disparaissent et sont remplacés par quelqu’un d’autre. Et quand ils disparaissent, il y a un savoir-faire, des techniques qui partent avec eux», explique-t-il

Harry Julmice insiste sur le besoin de créer un écosystème autour des talents, et ne pas laisser cette responsabilité aux créatrices et créateurs. Il estime que s’il y avait des plateformes locales similaires à YouTube créées par et pour les talents racisés, cela changerait complètement la donne. “À la fin de la journée, on ne peut pas s’attendre à ce que les [talents] BIPOC arrivent à maîtriser tous les aspects de l’industrie comme ça. Ils savent créer, laissez-les créer. Maintenant, il faut des professionnels qui vont bâtir l’industrie autour de leurs créations. Après ça, il faut aussi des plateformes qui vont pouvoir générer des profits et que ces profits-là retournent nourrir cette créativité-là qui vient des BIPOC.” 

Les médias traditionnels et numériques ont beaucoup à apprendre l’un de l’autre. Mais, comme le suggère Ghassan Fayad, peut-être que la conversation devrait être focalisée sur tout “contenu qui rejoint son audience”, peu importe la plateforme de diffusion.


Gaëlle Essoo
Gaëlle Essoo travaille pour le Fonds des Médias du Canada en tant que Cheffe principale, Croissance & inclusion | Marché francophone. Elle était précédemment la rédactrice en chef de la plateforme éditoriale Futur et médias. En 2022, elle a créé la première série vidéo du FMC, Moteur, action, inclusion, qui se concentre sur les questions liées à l'équité, à la diversité, à l'inclusion et à l'accessibilité dans l'industrie canadienne de l'écran. 
Avant de joindre le FMC, elle travaillait pour la chaîne d’information internationale France 24 en tant que cheffe d’édition pour les programmes consacrés aux droits des femmes à travers le monde. Elle a également été conseillère de presse pour l’Ambassade de France au Canada et analyste des politiques pour le ministère de l'éducation de l'Ontario.
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