Une étonnante renaissance : l’audio passe à la télé

On a longtemps pensé que l’innovation dans le domaine des médias se faisait généralement dans une direction, le nouveau remplaçant l’ancien. Force est d’admettre que les dernières années ont plutôt démontré la résilience de certaines formes «anciennes» de contenus médiatiques, au premier rang desquels, la radio.

Qu’elle soit musicale ou parlée, sur la bande FM ou numérique, le médium radiophonique connaît ce que plusieurs observateurs ont décrit comme une véritable renaissance.

Bien entendu, ce qui renaît n’est pas exactement ce qui était la norme au début du siècle. Edison Research constate par exemple que, de 2015 à 2023, la part de marché du linéaire aux États-Unis est passée de 69 à 49.7%, pendant que les plateformes de contenus audio sur demande connaissaient la progression inverse.

Cela peut d’ailleurs paraître étonnant, mais les revenus publicitaires et d’abonnement à la radio sont même en (très faible) croissance, selon un rapport de PwC, qui prévoit une augmentation des revenus de 0.9% par année.

Bref, les différentes formes d’écoute se retrouvent aujourd’hui nez-à-nez, mais la radio linéaire, sur bande AM/FM ou par abonnement, n’a pas dit son dernier mot.

L’image entre dans la danse

De plus en plus, les producteurs radio diffusent leur programmation en format vidéo, ce qui permet de donner au contenu linéaire un deuxième débouché, voire une deuxième vie en visionnement asynchrone.

Un autre rapport d’Edison Research, publié en 2022, montre une progression rapide du nombre d’auditeur·trices ayant regardé une émission de radio en format vidéo «au moins une fois par mois», passant de 35% en 2020 à 47% en 2022.

Aux quatre coins de la planète, des diffuseurs radiophoniques comme NRJ et Fun Radio en France, BBC Radio 1 au Royaume-Uni, ou Sirius XM pour le marché américain, rendent disponible des contenus vidéo, soit sur leurs propres sites, soit directement sur des plateformes de vidéo à la demande comme Youtube.

En Corée du Sud, la «Visual Radio» est intimement liée à l’industrie de la K-Pop, où des groupes comme BTS, TWICE ou NCT ont développé des contenus qui reproduisent les codes de la radio, tout en diffusant le visuel de leurs échanges. Dans le cas de NCT, la quotidienne Night Night animée par le chanteur Jaehyun, le format visuel était combiné à différents canaux interactifs, permettant aux auditeurs de commenter, de poser des questions et de formuler des recommandations aux invités.

Si certaines stations de radio choisissent une version «low-cost», une webcaméra diffusée sur Twitch, par exemple, d’autres ont réalisé d’importants investissements dans leurs studios, les dotant d’équipements et de technologie de captation, d’édition, d’hébergement et de diffusion.

Cela peut aussi requérir du personnel technique spécifique, incluant des réalisateur·trices, monteur·euses vidéo et des technicien·nes spécialisés en diffusion vidéo, qui ne font pas habituellement partie des équipes radio traditionnelles.

Deux experts canadiens consultés en préparation de cet article ont évoqué un spectre d’investissement en matériel allant de 10,000$ à 150,000$ pour l’aménagement d’un studio, sans compter les salaires et autres frais variables comme l’hébergement et la bande passante.

En contrepartie, la vidéo attire forcément un public plus large, dont les habitudes de consommation n’incluent pas, par exemple, la bande FM ou les balados. Les utilisateur·trices de YouTube et Facebook s’ajoutent donc aux auditeur·trices « traditionnel·les », et permettent une monétisation accrue.

Un petit calcul rapide toutefois: selon Thinkific, Youtube paie ses créateurs entre 5 et 7$ par 1000 visionnements. À 6$ en moyenne, il faut donc 25 millions de vidéos vues pour rentabiliser un investissement de 150 000$. De quoi faire réfléchir.

Un studio rénové de la Maison de la radio, France

Pas tout à fait le «multimédia» ni le «transmédia» d’hier

Depuis la publication du livre «Convergence culture» d’Henry Jenkins, les notions de multi- et de transmédia ont été de plus en plus populaires au sein des stratégies des créateur·trices de tout acabit.

De la narration fragmentée à la participation active du public, en passant l’immersion et la complémentarité des médias, cette «collision» annoncée entre l’ancien et le nouveau a même mené le FMC à créer en 2010 son «volet convergent», bien connu du milieu des médias au Canada.

L’élargissement du spectre de diffusion de la radio diffère toutefois de ces tendances «transmédia», dans la mesure où l’accent reste majoritairement sur le contenu audio. Ainsi, la radio visuelle procède comme si la vidéo s’invitait en tiers, sans dénaturer le contenu original.

La structure narrative n’est donc pas modifiée par le recours à des formes médiatiques diverses: elle demeure linéaire et centrée sur l’oralité, et suit la logique radiophonique. Dans cette captation vidéo du médium parlé, tout se passe comme si le téléspectateur ou la téléspectatrice était invité·e comme public à une conversation, un débat, une entrevue, une analyse.

Bien qu’il existe un large spectre de pratiques, il n’est pas rare de voir l’animateur briser le quatrième mur en début de segment, pour ensuite ignorer complètement la présence de caméras au sein du studio. Une exception notoire est l’utilisation, lors de diffusions en direct via Twitch, Youtube, Facebook Live ou Discord par exemple, des modules de commentaires qui permettent une interaction écrite avec les auditeur·trices, comme dans le cas sud-coréen évoqué précédemment.

 

Renaissance?

Bien que la radio représente aux yeux (et aux oreilles!) de plusieurs, un média de masse du siècle dernier, l’intérêt et la popularité continue des contenus audios, linéaires et à la demande, ont de quoi surprendre.

Ceux qui, comme Larry Miller, avaient annoncé en 2017 la «mort de la radio d’ici 10 ans», doivent vraisemblablement revoir leur copie.

Au contraire, la radio connaît une véritable renaissance grâce à un ensemble de stratégies qui incluent un passage au format vidéo, une évolution qui transcende les frontières traditionnelles radiophoniques pour s’intégrer pleinement à l’ère numérique.

En captant un auditoire plus large, la radio trouve de nouvelles avenues de monétisation. Bien que l’analyse coûts-bénéfices relève de nombreux risques, la diffusion en direction est facilitée par de nombreuses plateformes qui favorisent des interactions riches et engageantes avec des publics différents de la bande FM ou du balado.

Force est d’admettre que les dirigeant·es des studios radio ont su faire preuve d’inventivité et d’innovation ces dernières années. Malgré un taux de croissance famélique des revenus publicitaires et une concurrence accrue, foisonnante et déterritorialisée, la radio non seulement survit, mais elle prospère au sein du paysage.

Ce nouveau «mariage», entre tradition et innovation, n'est ni la première, ni la dernière forme d’hybridation entre différentes formes d’expression médiatique… au bénéfice d’un plus grand nombre d’auditeurs et auditrices. 


Francis Gosselin
Francis est docteur en économie et entrepreneur en série. Consultant et aviseur auprès de dirigeants et de conseils d’administration, il est également président de Norbert Hill et président du conseil de FailCamp, une OBNL dédiée à la promotion de l’entrepreneuriat et de l’apprentissage. Il a travaillé comme consultant dans le domaine de l’éducation, des médias, de l’immobilier et des services financiers pour des clients comme Ubisoft, l’École Supérieure de Gestion—UQAM, Radio-Canada, Lune Rouge, BNP Paribas, Allied Properties et l’Institut de Développement Urbain. Croyant fermement aux vertus de l’engagement social et philanthropique, il siège sur le Conseil d’administration du festival MUTEK, et est membre du Club des 100 jeunes philanthropes d’HEC Montréal. Il élève depuis 2012 des chiens MIRA destinés à des personnes dans le besoin, en plus de contribuer financièrement à cette cause importante.
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