Aborder la diversité avec authenticité

La diversité, tant corporelle, que culturelle, d'habiletés ou encore neurologique, tente de se forger une place sur le petit écran. La diversité corporelle, en particulier, comme nous l’avions évoqué dans cet article, y est mal représentée. Cependant,  plusieurs projets, récemment produits ou en développement, tentent de pallier ce manque et agissent ainsi à titre de figure de proue. Force est de constater que les émissions qui ont du succès sont portées par des créatrices et créateurs et des productrices et producteurs pour qui le sujet touche une corde sensible. Nous avons discuté avec des artisans de l’industrie audiovisuelle à la fois au sujet de projets précis et de leurs démarches individuelles.

J’t’aime gros*

En novembre 2021, la plateforme Vrai de Vidéotron dévoilait la série J’t’aime gros, abordant la grossophobie, produite par IPROD Média et animée par Christine Morency et Mélissa Bédard. Depuis plusieurs années, le sujet intéressait la productrice Isabelle Maréchal. «Comme personne qui a déjà eu des troubles alimentaires à l’enfance et l’adolescence, je sais que l’image corporelle, le poids, c’est un véritable enjeu de société», confie-t-elle. «J’ai beaucoup réfléchi à tout ça et ça me travaillait et j’ai eu une rencontre marquante avec Mickaël Bergeron et Edith Bernier au moment où ils ont chacun sorti leur livre. Il y a eu plusieurs livres sur la grossophobie et ce sujet-là m’est sauté au visage. Je me suis dit, si ces voix-là ont ce besoin de témoigner, c’est parce que ça touche beaucoup plus de personnes qu’on le pense et il faut faire quelque chose», affirme la productrice.

J't'aime Gros, Crédit IPROD Média
J't'aime Gros, crédit photo IPROD Média

Étant la première série québécoise à aborder la grossophobie, Isabelle Maréchal souligne la confiance que lui a prodigué le diffuseur pour ce projet. Selon elle, le succès de J’t’aime gros repose, entre autres, sur l’authenticité et l’ouverture des deux animatrices. «Elles ont mis leurs tripes sur la table. De parler de leur corps, de parler d’elles. S’abandonner à une équipe de télé, devant tout le monde, de parler de tes angoisses, ça demandait un relâchement total et c’est ce qu’elles ont accepté de faire pour le bien de tout le monde je pense». La productrice a remarqué qu’à la suite de la diffusion de la série, plusieurs autres membres du star système québécois ont pris la parole dans les réseaux sociaux pour aborder cet enjeu important. Cet effet boule de neige représente une victoire pour Isabelle Maréchal.  

Norm et Dave*

En production à l’heure d’écrire ces lignes, le documentaire Norm et Dave du réalisateur Jimmy Larouche et de la boîte de production B-612 est destiné à TV5. «Le thème c’est l’amitié à travers la différence», explique Jimmy Larouche. Le documentaire suit les comédiens Normand D’Amour et David Richer, alors qu’ils souhaitent s’affronter dans un derby de démolition. L’amitié qui unit Norm et Dave n’a rien d’inhabituel. Des farces, des commentaires amicalement désobligeants lancés de part et d’autre. La seule différence réside dans l’élocution et le déplacement en fauteuil roulant de David qui a une paralysie cérébrale.

Jimmy Larouche reconnaît qu’il était nerveux avant sa première rencontre avec Dave. La diversité, le handicap dans ce cas-ci, laisse rarement indifférent. «J’essaie d’aller vers des sujets où moi, j’ai des idées préconçues. C’est quasiment thérapeutique mon affaire. C’est d’aller mieux comprendre des situations que je ne comprends pas parfaitement. Et je me dis que si ça peut marcher avec moi, ça peut marcher avec les autres», soutient le réalisateur. D’ailleurs, dans sa note d’intention de la bible du projet, Jimmy Larouche mentionne avoir été la cible de commentaires grossophobes dans sa jeunesse. C’est cette expérience qui le mène à vouloir explorer la différence.

Norm&Dave
Norm & Dave

Claudia Monfette, la productrice déléguée, soutient que le diffuseur a su se montrer collaboratif alors que B-612 tentait d’obtenir du financement de la part de la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC). «TV5 a endossé le projet dès le départ, mais la licence était insuffisante. On a appliqué au programme d’aide à la production de la SODEC. On a eu deux refus avec des notes parfaites!» affirme-t-elle, «On a finalement eu une dérogation autorisée par la SODEC pour un troisième dépôt avant de l’avoir. On parle de deux ans d’attente. Le diffuseur est resté de notre côté tout ce temps-là en bougeant leur case horaire chaque fois au cas où ça passerait».

L’objectif du créateur du projet est simple. «Ce que j’aimerais c’est que les gens au début regardent quelqu’un qui parle différemment et se déplace différemment. Et qu’à la fin, ils regardent Dave, mon ami. Pas plus compliqué que ça», conclut Jimmy Larouche.

Frida c’est moi*

Depuis plus de 30 ans, la comédienne Sophie Faucher incarne Frida Kahlo au théâtre. En 2016, elle a publié Frida c’est moi, en littérature jeunesse avec des illustrations de Cara Carmina, pour raconter aux petits la rocambolesque histoire de l’icône du Mexique. C’est grâce à ces albums que Tobo Studio a décidé de développer une série web animée pour Télé-Québec, dont la diffusion est prévue à l’été 2023.

«Tobo a proposé ce projet, car on avait remarqué l’intelligence qui caractérise les livres de Sophie et Cara. Elles abordent ces sujets de manière sensible et avec discernement, tout en disant les choses. Il y a aussi les visuels de Cara qui se distinguent et ont un style très fort. On a commencé l’aventure en s’alliant au programme FMC – SODEC pour une adaptation d’une œuvre littéraire québécoise», raconte la productrice Florence Roche.

En un seul cycle de production, soit avec un pré-développement à l’automne suivi d’un dépôt en production au printemps, Tobo a obtenu une réponse positive pour entamer l’animation. Un processus très rapide, reconnaît la productrice.

Frida, C'est Moi, Credit Tobo
Frida, C'est Moi, Crédit image Tobo Studio

Passionnée et experte de la vie de Frida Kahlo, Sophie Faucher soutient que la série web se concentrera sur la poliomyélite de la protagoniste, maladie qu’elle a contracté à l’âge de six ans. La série abordera l’intimidation dont elle a été victime à cause de sa différence, mais aussi sa détermination et sa résilience. «Elle voit sa patte devenir plus maigre que l’autre, oui elle est alitée, oui elle doit rater l’école, et ça l’a fait enrager, elle trouve ça long. Mais elle a eu un papa très présent qui a décidé que sa fille se remusclerait grâce au sport. Elle a réussi à surmonter l’intimidation par un grand travail sur elle-même et par une disposition sportive qu’elle devait avoir», explique Sophie Faucher.

Selon la comédienne, il est important d’aborder ce sujet, malgré le jeune âge du public cible. «Les enfants aiment qu’on leur dise les choses, ils aiment la vérité, ils veulent savoir avec une grande simplicité. Pour moi, ce n’est jamais pour accabler les enfants, ils sont petits et il faut les ménager. Mais quand ça débouche sur de la lumière et de la beauté eh bien, je suis au rendez-vous », conclut Sophie Faucher.

Laughing Cat Productions

Pour la jeune maison de production Laughing Cat Productions, basée à Toronto et incorporée en 2020, la diversité corporelle et l’inclusion sont si centrales que ces valeurs font partie de sa mission d’entreprise. Emily Schooley, la fondatrice, actrice et productrice, explique avoir fait ce choix délibéré à la suite d’un changement corporel qui a eu pour conséquence de réduire le nombre de rôles pour lesquels elle était invitée en audition. «Comme femme dans l’industrie, la représentation à l’écran et les rôles qui sont créés sont destinés à des femmes minces, sans handicaps, blanches ou pâles et bien souvent jeunes», explique-t-elle.

Emily Schooley, Credit Laughing Cat Productions
Emily Schooley Credit: Laughing Cat Productions

Elle a donc pris la décision de créer sa propre boîte et ses propres projets, plus souvent qu’autrement, autofinancés. «J’ai décidé de créer des projets axés sur les femmes. J’aime utiliser le terme de l’inclusion intersectionnelle. Je vais toujours prioriser des gens qui proviennent de groupes marginalisés», poursuit-elle. 

Mais elle reconnaît et souligne la difficulté supplémentaire que cela représente. Pour le moment, sa boîte n’a pas encore eu l’occasion de faire une demande de financement aux différents fonds canadiens pour un de ses projets.


*Les productions J’t’aime gros, Norm et Dave ainsi que Frida et moi ont reçu un appui financier du FMC.


Catherine Dulude
Avec plus d'une dizaine d'années d'expérience, Catherine a commencé sa carrière en journalisme avant de faire le saut en production audiovisuelle. En 2018, Catherine a décidé de créer sa petite entreprise, Ardoise&Co, afin de répondre aux besoins de l'industrie dans l'Ouest. Depuis, elle a contribué à plusieurs dizaines de projets, dans des rôles divers: recherche, écriture, montage, marketing numérique et découvrabilité.
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