Ally Pankiw braque sa caméra sur le festival Lilith Fair
Les producteurs du documentaire Lilith Fair: Building a Mystery cherchaient la réalisatrice idéale pour raconter l’histoire de ce festival de musique entièrement féminin, qui a repoussé les limites et conquis le public à la fin des années 1990. Avec la Canadienne Ally Pankiw, ils ont trouvé l’accord parfait.

Ally Pankiw savait qu’elle avait la tête de l’emploi.
L'emploi consistait à réaliser le documentaire Lilith Fair: Building a Mystery, qui revient sur la création du festival de musique exclusivement féminine mis sur pied par l’autrice-compositrice-interprète Sarah McLachlan à la fin des années 1990.
« Il y avait beaucoup de points communs entre mes projets et les thèmes abordés dans le documentaire », affirme Ally Pankiw, rejointe par téléphone depuis Los Angeles. Née en Alberta, la réalisatrice de 39 ans partage maintenant son temps entre la ville américaine et Toronto.
« Je tenais vraiment à faire le documentaire parce que j'étais encore amère de la façon dont le festival avait été dépeint, à moi et à ma génération, dit-elle. À l’époque, tout ce qui était féministe et centré sur les femmes n’était pas pris au sérieux ou tourné en dérision. Culturellement, la douceur, la vulnérabilité et la féminité n’avaient pas autant de valeur que ce qui était masculin. J’étais frustrée de constater que c’était ce qu’on m’avait montré et répété pendant une bonne partie de ma vie. »
« C’est pourquoi j’ai voulu que le film montre à quel point il y avait du pouvoir, de la force et de la joie derrière les femmes de Lilith. J’ai voulu honorer ce que c’était vraiment : un tour de force et une histoire à succès incroyable. »

Les origines et le matériel derrière le documentaire
Inspiré d'un article de Vanity Fair, publié conjointement avec Epic Magazine en 2019, le film s’appuie sur plus de 600 heures d’images d’archives et sur de nouvelles entrevues réalisées avec des adeptes, des organisateurs et des artistes du festival.
Les musiciennes à l'origine de Lilith Fair, dont Sarah McLachlan, Bonnie Raitt, Sheryl Crow, Erykah Badu, Jewel, Natalie Merchant et le duo Indigo Girls, se remémorent cette époque où les artistes féminines faisaient rarement des tournées ensemble, de peur de ne pas attirer assez de spectateurs, et où leur musique jouait peu à la radio.
Ally Pankiw était trop jeune pour assister aux tournées de Lilith Fair, qui ont eu lieu entre 1997 et 1999 (avec une édition de 2010, qui n’a pas su rallumer la flamme), mais elle connaissait bien les artistes qui y ont pris part.
« J’avais seulement 10 ou 11 ans à la première édition du festival, alors je n’y ai pas assisté, mais j’avais une grande sœur cool qui était une reine du grunge des années 90, se souvient Ally Pankiw. C’est beaucoup grâce à elle que j’ai découvert et adoré toutes ces artistes. J’étais aussi danseuse, alors mon enfance et mon adolescence ont été remplies de compétitions de danse lyrique et contemporaine, et je choisissais leurs chansons pour accompagner tous mes solos. »

Ally Pankiw, chef d’orchestre
Il suffit de jeter un œil à la biographie d’Ally Pankiw pour constater à quel point elle était toute désignée pour transposer l’histoire de Lilith Fair en un film de 99 minutes.
Originaire de Saint-Albert, en Alberta, l’artiste s’est d’abord installée à Toronto pour étudier le journalisme, avant de rapidement réaliser qu’elle préférait raconter des histoires plutôt que les rapporter. Elle a commencé sa carrière en réalisant des publicités et des vidéoclips mettant principalement en vedette des artistes féminines. Elle a ensuite créé la série Terrific Women pour CBC Gem, et travaillé comme scénariste et éditrice pour l’émission Bienvenue à Schitt’s Creek (Schitt’s Creek).
La réalisatrice ouvertement queer a également réalisé des épisodes de Black Mirror, de The Great et de Feel Good, l’émission de l’humoriste Mae Martin. Son premier long métrage, I used to Be Funny, qui raconte l’histoire d’une humoriste souffrant d’une dépression et de stress post-traumatique, a été acclamé par la critique.
Sa formation en journalisme s’est également montrée bien utile lorsqu’est venu le temps de mener les nombreuses entrevues de Lilith Fair: Building a Mystery.
« J’ai pu revenir à quelque chose que j’avais fait il y a très longtemps, à l’université. En fait, mener des entrevues ressemble beaucoup à la réalisation. Notre travail consiste à faire ressortir les émotions chez une personne, qu’elle parle de sa propre vie, raconte une anecdote ou joue un rôle. On doit créer un espace positif, dans lequel les gens ont envie de s’ouvrir et de se montrer vulnérables. »
Et c’est exactement ce que les artistes ont fait.
« Elles étaient toutes incroyables, soutient Ally Pankiw. Tous les sujets que nous avons abordés étaient intéressants, drôles, tristes ou enrageants. Et elles sont toutes tellement drôles. Elles ont réussi à trouver de l’humour dans toutes les situations qu’elles ont dû affronter. »
« Nous avons aussi eu de très belles surprises, renchérit-elle. Comme Sarah [McLachlan], qui nous a donné le droit de lire certains textes de ses journaux intimes. Et Natalie Merchant, qui a apporté son journal datant de son passage chez Lilith. C’était comme de la poésie; elle lisait des extraits et tout le monde pleurait. On a tellement vécu de moments comme ça, et beaucoup n’ont pas été inclus dans le film. Autrement, il aurait duré 100 heures. »
La participation de Dan Levy
L’un des producteurs du film est Dan Levy, un ami proche d’Ally Pankiw, avec qui elle a collaboré sur Bienvenue à Schitt’s Creek. Leur rencontre remonte à plus de 10 ans, à Los Angeles.

La réalisatrice affirme que travailler aux côtés du producteur, qui est aussi un adepte du festival Lilith Fair, lui a grandement facilité la tâche : « Quand on s'est rencontré, Dan travaillait sur la première saison de Schitt’s Creek, se souvient-elle. Nous étions deux personnes homosexuelles canadiennes à Los Angeles, ce qui a rendu notre rencontre presque inévitable. Nous avons échangé sur la comédie et le Canada, et il a ensuite regardé l’un de mes courts métrages, ce qui m’a amenée à écrire pour Schitt’s Creek. »
« Nous avons un grand respect pour la vision et l’éthique professionnelle de l’autre. Je crois que nous partageons aussi un grand désir de faire les choses pour les bonnes raisons. Il est un excellent producteur à avoir à ses côtés – en particulier pour ce documentaire –, parce qu’il se bat toujours pour défendre ce qui est juste. »
L’héritage de Lilith Fair
Ally Pankiw croit que le film représente une occasion d’informer et d’inspirer une nouvelle génération de musiciennes et d’amatrices de musique.
« Je m’intéresse beaucoup aux histoires qui traitent des relations intergénérationnelles, en particulier celles qui relient les femmes. On a pu créer des liens entre des musiciennes de Lilith Fair et de jeunes artistes comme Olivia Rodrigo. Ça entre dans cette idée d’être une grande sœur cool dans la société. Montrer ces femmes qui nous ont précédées, qui nous passent le bâton, ou qui nous renvoient l’ascenseur en laissant les portes ouvertes derrière elles ».
« C’est vraiment un héritage précieux laissé par Lilith et Sarah, en particulier. Elle voulait inspirer d’autres artistes à agir de cette façon. Je suis tellement fière que nous ayons pu célébrer enfin cette contribution. »