La baladodiffusion en temps de pandémie

Pour faire face à la pandémie de COVID-19, le Canada a opté pour des mesures économiques qui obligent l’industrie des médias à repenser ses pratiques et ses modèles d’affaires. Le secteur de la baladodiffusion n’y fait pas exception. Toutefois, celui-ci semble prédisposé à tirer son épingle du jeu. Confinement, télétravail, habitudes d’écoute: quelles sont les répercussions de la COVID-19 sur la baladodiffusion? 

La créativité d’abord

L’industrie des médias n’échappe pas à la crise économique qui s’amorce au pays. Quoiqu’il soit encore tôt pour dresser un portrait juste de la situation, les vagues de réductions salariales et de mises à pieds dans différents médias laissent présager un traumatisme dont il sera difficile de se relever.

De son côté, le secteur de la baladodiffusion, encore naissant et plutôt agile, a très tôt réagi par un élan de créativité. À chaud, on a pu constater une surprenante explosion de créations audios, lesquelles ont vu le jour dans les premières semaines du confinement.

Partout, on note la nette transition des balados d’informations quotidiennes vers la couverture de la pandémie. C’est le cas de Ça s’explique, à Radio-Canada, de Front Burner, à la CBC, de The Daily, au New York Times, ou encore d’En 5 minutes, chez Qub radio. Ailleurs à l’international, on ne compte plus les balados qui sont aussi nées dans l’optique unique de couvrir l’évolution de la pandémie. On les retrouve autant chez NPR et chez ABC qu’à la BBC, à France Inter ou encore chez The Atlantic.

Alors que l’attention du monde entier converge vers la COVID-19, non seulement les médias traditionnels transforment-ils leurs formats pour mieux couvrir la pandémie (et enregistrent des chiffres d’affluence record au passage), mais plusieurs nouvelles productions francophones voient aussi le jour.

Avec Confinés mais ensemble (Radio-Canada), Connecté.e.s (indépendant), et Ça va tu? (indépendant), on peut entendre des histoires personnelles et des témoignages de citoyens confinés. Plus spécialisées, la balado La sentinelle (Culture cible et Cactus production sonore) va à la rencontre des acteurs du milieu culturel, alors que Comment ça va, toi? (Kollectif) s’interroge sur l’impact de la pandémie sur le travail des architectes. Enfin, avec Signal nocturne (La Fabrique culturelle et Transistor média) et Les mains propres (CHOQ), on transforme le confinement en opportunité pour proposer créations sonores, théâtre et poésie.

Alors que les écoles et les garderies ont temporairement fermé leurs portes, le créneau de la baladodiffusion jeunesse n’est pas en reste et semble trouver plus que jamais son public. Selon Podtrac, le nombre de téléchargements de balados catégorisées «Enfants et famille» seraient à la hausse de 9%, tandis que l’offre des balados destinées aux enfants, note le New York Times, n’a jamais été aussi fournie. De son côté, Spotify, opportuniste, a aussi profité du confinement pour lancer son application de contenus pour les enfants dans différents pays, dont le Canada.

En Angleterre, la BBC a acquis les droits de diffusion du balado quotidien pour enfants Fun Kids et l’a ajouté à sa plateforme BBC Sounds. Au Québec, Radio-Canada a fait de même avec le catalogue de La puce à l’oreille, une maison de production qui fait beaucoup parler d’elle en ce moment, notamment avec une série audio spéciale sur la COVID-19 ainsi que dans les recommandations aux parents qui cherchent à divertir leurs enfants confinés. 

Système D: on se débrouille

Cette effervescence créative s’explique en partie par la nature même du médium sonore. Avec peu d’équipement, et beaucoup d’enregistrements à distance, les équipes arrivent à produire des contenus de qualité malgré l’impact des règles de distanciation sociale sur la production. 

Au pays, des studios comme Magnéto, Récréation ou Pacific Content ont tôt fait savoir que leur production ne serait peu ou pas ralentie par la pandémie. Comment s’y prennent-ils? Pour les enregistrements les plus pressants, en utilisant l’enregistreuse inclue dans le téléphone mobile des intervenants. Autrement, pour les enregistrements de meilleure qualité, les studios acheminent un micro USB par la poste chez leurs invités, qui sont ensuite accompagnés dans la mise en place technique. Pour sa part, Louie média, en France, a choisi de miser sur les mémos vocaux. Les émissions sont donc produites en partie avec des segments que les intervenants enregistrent eux-mêmes sur leur téléphone. 

Le saut vers le télétravail peut être un défi de taille pour certains secteurs de l’industrie. Du côté de la radio comme de la baladodiffusion, équipés d’un bon micro, d’une enregistreuse et d’un logiciel de montage, les producteurs ont accès à une certaine agilité qui les sert en temps de pandémie, notamment par le recours au studio de fortune.

Cachés dans le placard, plongés sous les couvertures, ces studios maison sont devenus la norme tant pour les professionnels que pour les amateurs. Même Ira Glass (This American Life) s’y est mis.

Aux États-Unis, le New York Times rapportait que le confinement serait à l’origine d’une prolifération de balados quotidiennes d’information sur le coronavirus produites par des particuliers, un format exigeant et habituellement réservé aux médias qui ont les moyens de leurs ambitions.

Cette débrouillardise a fait son chemin sur Internet où on retrouve quantité de tutoriels proposant trucs et astuces pour aménager son studio à la maison, pour enregistrer des entrevues à distance dans une sonorité adéquate, ou encore pour établir une routine hygiénique pour faire du travail terrain en temps de pandémie.

Écoutons-nous davantage de balados?

La question sur toutes les lèvres en ce moment est la suivante: est-ce que le confinement incite les gens à consommer davantage de balados? Il est encore tôt pour le savoir, mais certaines données commencent à circuler et laissent poindre trois tendances.

Les balados qui couvrent l’actualité de la COVID-19 semblent profiter de l’attention globale que porte les citoyens à la pandémie. Aux États-Unis, Vox Media confiait récemment que leurs balados ont été téléchargées en moyenne 50% davantage qu’à l’habitude, et l’écoute serait supérieure pour leur balado d’information Today, Explained. Le portrait serait le même chez Slate, où on a constaté une augmentation des téléchargements de 47%, largement liée à leur couverture de la pandémie.

Les habitudes d’écoute changent de nature. Selon Podtrac, même si l’écoute globale de balados depuis janvier est en croissance, on note tout de même un ralentissement des téléchargements depuis la mi-mars. La fiction et les balados portant sur la télévision et le cinéma seraient les catégories de balado avec la plus grande croissance, tandis que les balados de sports perdraient du terrain. 

En temps de confinement, les auditeurs semblent troquer le mobile pour écouter des balados. Podigee, le plus grand hébergeur allemand de balados, a noté que l’écoute de balados sur le Web a presque doublée dans des récentes semaines, indiquant que les gens en confinement utilisent davantage l’ordinateur ou d’autres périphériques pour écouter des balados. Naturellement, le peu de temps passé dans les transports est en cause, alors qu’on remarque par ailleurs que les épisodes sont téléchargés plus tard en journée de semaine qu’à l’habitude.

La pandémie du COVID-19 ébranle toutes les organisations médiatiques, lesquelles doivent gérer la crise en même temps que de réfléchir à la relance. Le secteur de la baladodiffusion n’y fait pas exception, mais celle-ci semble s’adapter au confinement d’une manière assez naturelle, notamment grâce à la simplicité du médium.

En attendant l’heure des bilans, les auditeurs confinés peuvent compter sur des balados de scènes de la vie ordinaire comme Soundscapes ou Field Recordings pour calmer leur anxiété.