Comment choisir le bon festival
Gros ou petit, de niche ou grand public... Quel festival de cinéma ou de séries correspond le mieux à la production que vous voulez présenter?
En mars dernier, l’équipe montréalaise derrière la série Empathie, diffusée sur Crave, a eu le cran de présenter le fruit de son travail en première mondiale au festival international Séries Mania, à Lille, en France.
Un pari risqué puisqu’il s’agissait de la première série québécoise à concourir à ce festival. Le français bien de chez nous allait-il lui nuire? Rien n’était gagné, et surtout pas à Séries Mania, la plus célèbre vitrine télévisuelle européenne. Pas moins de 85 000 spectateurs fréquentent l'événement durant les huit jours de festival.
Et pourtant! Empathie a triomphé en remportant le Prix du public. L’assistance a été touchée par l’histoire, estime la productrice exécutive et co-présidente de la boîte de production Trio Orange, Annie Sirois. Comme elle l’espérait, le public a également apprécié voir un visage connu, soit celui de Thomas Ngijol, l’humoriste français qui joue aux côtés de Florence Longpré.

« On a beau avoir le projet le plus fantastique, c’est tout un travail de le faire connaître au grand public. Maintenant, le grand public connaît Empathie », se réjouit Annie Sirois.
Selon elle, les communications et la publicité seules n’auraient pas pu garantir le succès de la série auprès des festivaliers. « D’avoir créé ce lien avec le public, ça vient avec une émotion incroyable, et ça nous a attiré énormément d’attention. En plus, ça donne aux acheteurs internationaux une garantie que leurs téléspectateurs vont aimer la série, eux aussi. »
Pour Annie Sirois et sa boîte Trio Orange, c’était finalement une excellente stratégie de faire la première mondiale à plus de 5000 km. Le festival leur a donné de la visibilité et une renommée internationale, qui ont pavé la voie pour une couverture médiatique prestigieuse (notamment dans les pages de Variety et The Hollywood Reporter) et des discussions d’acquisition de droits de diffusion.
L'audace dont a fait preuve l’équipe de production, en visant plus loin que le public et les tribunes habituels, a porté ses fruits.
Les avantages des festivals nichés
Pour les cinéastes et producteurs d'ici, la sélection d’un festival peut avoir une grande incidence. Les événements d’envergure offrent du prestige, mais les festivals spécialisés ont aussi leurs avantages.
Le Festival international de films Fantasia de Montréal, qui a propulsé des films de genre éventuellement nommés aux Oscars et acquis par DreamWorks et Netflix, ou encore le Toronto Queer Film Festival, qui met l’accent sur le cinéma LGBTQ+, risquent d’attirer des spectateurs friands d’un style de films en particulier.
Les festivals locaux attirent eux aussi un public intéressé par le cinéma, mais sans qu’il soit distrait par les gros noms d’Hollywood. « C’est très, très difficile d’entrer chez les géants, et la taille de ces festivals fait en sorte qu’un plus petit film peut se perdre dans l’immensité du programme, estime Brian Owens, directeur artistique du Calgary International Film Festival (CIFF). Dans un plus grand festival régional comme le nôtre, un film modeste a de meilleures chances de briller et de trouver un public élogieux. »
Le premier long métrage de Chandler Levack, I Like Movies, a été bien reçu lors de sa première mondiale au TIFF en 2022, se souvient Brian Owens. Mais c’est au CIFF que le film a ébloui le public, permettant à Chandler Levack de remporter le prix de l’artiste canadien émergent du festival.
« Commencer avec un festival régional, c’est une bonne façon de vous faire la main en rencontrant des producteurs, souligne le directeur artistique du CIFF. Ça peut marquer le début d’une aventure. »
Brian Owens convient que le CIFF n’est pas aussi orienté vers l’acquisition de films que les plus grands festivals, mais il peut servir à donner un élan et éventuellement un coup de pouce à la distribution des films.

Privilégier la pertinence plutôt que la taille
La productrice Julie Baldassi affirme que la stratégie entourant les festivals est cruciale dans la sortie de ses films. Ses œuvres ont été présentées au TIFF, à Sundance, à Tribeca, à SXSW et à Hot Docs, ainsi que dans des événements plus modestes, qui se sont tous révélés bénéfiques.
« Au début de ma carrière, tout ce que je voulais, c’était envoyer mes films aux plus gros festivals dont j’avais entendu parler », se rappelle la productrice, qui précise que ces festivals d’envergure présentent aussi des films puissants.
Maintenant, elle privilégie le festival le plus compatible : « J’ai réalisé que tous les festivals ont leur propre public. »
En 2021, Julie Baldassi a produit le film d’auteur Tenzin, de Michael LeBlanc et Joshua Reichmann. La première mondiale a eu lieu en Estonie dans le méconnu Festival du film Nuits noires de Tallinn, le seul festival en Europe du Nord à être accrédité par la Fédération internationale des associations de producteurs de films.
« Ce n’est pas un festival de premier plan, mais il a un superbe programme, et on a eu l’occasion de présenter Tenzin à des cinéphiles que nous n’aurions pas rejoints autrement », indique Julie Baldassi.
« C’est une richesse énorme pour les cinéastes et les artistes d’avoir un public pour voir notre film, et de pouvoir côtoyer d’autres artistes au même endroit. Il y a peut-être moins d'avantages financiers ou d’avancement possible dans ces festivals, mais on ne sait jamais qui on peut y rencontrer et où ces nouvelles relations vont mener. »
Selon la productrice, tous les festivals développent leur propre communauté, ce qui est l’un de leurs plus importants rôles, et ce, peu importe leur taille ou leur renommée.
Le pour des grands festivals
« On vit dans un monde avec beaucoup de bruit ambiant, et la visibilité est un enjeu pour bien des films, même pour ceux qui ont l’air d’être les “gros canons” de festivals comme la Berlinale », croit Tricia Tuttle, la directrice de ce festival international du film à Berlin.
Malgré le point de saturation parfois atteint par les grands festivals, Tricia Tuttle estime qu’ils remplissent tout de même une fonction de découverte, que ce soit par le bouche-à-oreille, ou parce que « les films les plus en vue attirent l’attention du public et des médias sur d’autres films au programme et sur le festival en entier ».
Le film The Quiet Girl de Colm Bairéad, tourné en irlandais en 2022, a remporté le Grand prix de la section Génération Kplus (ou enfants) à la Berlinale et s’est par la suite mérité une nomination aux Oscars dans la catégorie meilleur film international. Le film allemand La salle des profs de Ilker Çatak (2023), présenté dans le programme Panorama, a lui aussi été nommé dans la même catégorie en 2024.
Aller vers le festival où vous ferez le plus de bruit
Alors, à quel endroit les cinéastes devraient-ils faire leur première?
« Toutes présentations à un festival valent la peine si on obtient une bonne date et un bon public », croit Laurie May, la coprésidente de Elevation Pictures. Elle compare la première d’un film à une partie de Tetris avec plusieurs blocs à placer. On doit considérer non seulement le moment opportun et l’admissibilité, mais aussi le festival où notre film aura « la meilleure réception, les meilleures critiques et le plus de résonance ».
Selon Laurie May, c’est important de montrer ses films partout au Canada, comme à Calgary et à Vancouver, pour rejoindre le plus de cinéphiles possible, incluant les spectateurs qui aiment le cinéma, mais qui ne se déplaceront pas à Toronto pour le TIFF.
« Le défi, c’est qu'il y a beaucoup d’action dans les festivals de films. Même si un film est incroyable, il n’aura peut-être pas l’attention qu’il mérite si Georges Clooney n’est pas à l’affiche », illustre la productrice.
« De toute évidence, les grands festivals ont plus de poids, mais mieux vaut considérer l’ensemble des avantages. »
