District 31: le crime parfait

Mesures d’urgence, violence, fraudes, crimes de toutes sortes; le travail des enquêteurs de la police est imprégné de situations éprouvantes, voire bouleversantes, parfois bien loin du quotidien du reste de la population. Cette dure réalité policière nous est présentée dans la série télévisée District 31. Comment arriver à atteindre et, surtout, à fidéliser un auditoire en abordant des thèmes difficiles et éloignés du grand public? Michel Trudeau, coproducteur de la série, partage quelques-uns des secrets du magnétisme qu’exerce District 31.

Premières armes: les débuts

Le producteur Michel Trudeau — Photo : Lawrence Arcouette

L’aventure District 31 a commencé en 2016, alors que Fabienne Larouche et Michel Trudeau d’AETIOS productions voulaient se lancer dans un nouveau projet : « Au départ, Fabienne a travaillé comme productrice et scénariste sur les séries quotidiennes Virginie jusqu’en 2010, puis 30 vies jusqu’en 2016. Le scénariste Luc Dionne, qui travaillait déjà comme réalisateur sur 30 vies, a proposé cette idée de l’histoire d’un poste de quartier. Cette idée répondait au souhait de Radio-Canada de poursuivre la diffusion d’une quotidienne. Luc a imaginé un milieu fictif regroupant la gendarmerie et les enquêtes, un peu comme à New York. Le service de police municipale de la ville de Montréal est centralisé avec plusieurs postes de quartier, et non pas divisé en districts, comme c’est le cas dans la série. C’est de là que c’est parti», explique Michel Trudeau.

L’équipe technique lors d’un tournage extérieur — Photo : Karljessy

Pièces à conviction: les éléments du succès

Avec une moyenne de 1,8 million de téléspectateurs à l’écoute par épisode, District 31 est actuellement la série de fiction canadienne la plus regardée au pays. Une réussite exceptionnelle d’AETIOS, qui n’en est pas à ses premières prouesses, tel que le démontre son portfolio rempli de plusieurs séries phares. On peut donc se demander s’il existe une recette secrète que l’équipe maîtrise, ou des éléments qui soient garants du succès de leurs productions.

Pour Michel Trudeau, on parle d’ingrédients plutôt que de recette : « Le succès, c’est d’abord d’avoir un public. Il faut donc être capable de s’adresser au plus grand nombre de personnes possible. Quand on veut intéresser tout le monde, on doit s’intéresser à tout le monde. Si les sujets sont trop segmentés et qu’ils s’adressent à un public trop précis, ce sera difficile de rejoindre le grand public. Ça commence là. »

Cet intérêt de Michel Trudeau pour les thèmes universels qui touchent l’humain provient peut-être de son passé professionnel, lui qui a été psychologue avant d’être producteur. Il explique comment le contexte policier peut toucher un large auditoire: «Quand un auteur écrit sur la condition humaine, il peut parler de n’importe quoi parce que nous sommes tous touchés par la condition humaine. Tout le monde n’est pas policier, mais tout le monde vit des drames au cours de son existence, donc c’est facile de s’identifier à cet univers. »

Les comédiens Vincent-Guillaume Otis, Gildor Roy et Geneviève Brouillette — Photo : Karljessy

Outre le récit qui doit toucher le plus de gens possible, d’autres ingrédients sont tout aussi essentiels à la réussite télévisuelle. «L’autre élément principal du succès est le talent des créateurs. Ça inclut le talent des auteurs, des scénaristes, des réalisateurs et de la distribution. La distribution, c’est un peu comme agencer les couleurs sur une peinture. Quand on arrive à mettre ensemble des acteurs qui jouent les différentes nuances des personnages, ça crée une mosaïque vraiment exceptionnelle et ça amène le succès. Finalement, le succès dépend aussi de qui diffuse la série. Évidemment, Radio-Canada est un partenaire idéal puisqu’il rejoint un large public.»

La réalisatrice Danièle Méthot avec un groupe de comédiens — Photo : Karljessy

Les officiers: le travail de l’équipe, en équipe

Si le talent fait partie des éléments clés du succès d’une série, de quoi parle-t-on exactement? Le savoir-faire se décline de plusieurs façons.«Ce qui fait la différence avec District 31, c’est principalement le talent de Luc Dionne, l’auteur de la série. C’était la même chose pour la série Unité 9, écrite par Danielle Trottier, ou pour les séries écrites par Fabienne Larouche. D’ailleurs, le mot aetios signifie auteur en grec. La mission de l’entreprise est de mettre les auteurs, les scénaristes à l’avant-plan. Et on travaille en équipe à chaque étape. Parce que, pour faire des quotidiennes, il faut une compétence particulière, mais il faut surtout des individus qui y travaillent, à toutes les étapes. Chaque poste de la chaîne de production est une expertise importante. Ça demande de la rigueur, de l’exactitude et de la constance. Ce n’est pas quelque chose que tu démarres du jour au lendemain, parce que la quotidienne est un type de série qui a ses propres contraintes, ses propres difficultés.»

La réalisatrice Danièle Méthot donne ses indications au comédien Vincent-Guillaume Otis — Photo : Karljessy

Poste de quartier: faire plus avec moins

Produire une fiction avec de nouveaux épisodes chaque jour est certainement une grande charge de travail. Il faut savoir être rapide et efficace, et ce, à bas coûts, comme le souligne Michel Trudeau : «C’est une charge de travail très lourde avec 5 000 pages de scénario à écrire chaque année. Le temps est compté et on a des paramètres budgétaires limités à respecter. Un épisode de quotidienne comme District 31, c’est ce qui coûte le moins cher à produire en fiction télévisée. Ça impose donc des contraintes au niveau du studio, de la musique, du nombre de personnages, etc. Les moyens sont très limités, mais ça ne se voit pas. Quand on compare District 31 à une autre série saisonnière, la différence en matière de production n’est pas visible, comme si c’était une grosse série à plus de 500 000 $ par demi-heure.» Par ailleurs, le producteur note que, malgré toutes ces contraintes financières et techniques, une série quotidienne fait travailler beaucoup de gens: «La quotidienne reste le plus gros employeur de techniciens et d’acteurs dans le domaine. C’est un peu paradoxal. C’est ce qu’il y a de moins onéreux sur le marché en ce qui concerne les budgets de production, mais quand ça fonctionne, c’est ce qui rapporte le plus.»

Les enquêtes de District 31 — Photo : Karljessy


Alerte à la bombe: un succès explosif

Dès sa première saison, diffusée en 2016, District 31 est devenue l’une des séries favorites du public québécois — une grande source de fierté pour Michel Trudeau et son équipe : «La série a été récompensée plusieurs fois lors des Prix Gémeaux et d’autres galas, mais pour nous, la plus grande fierté, c’est toujours l’amour du public. Il n’y a pas de créateur sans public. On ne peut pas créer uniquement pour soi. Donc, la première fierté, c’est de savoir que soir après soir, les gens sont intéressés à regarder ce que tu fais et que les gens sont émus, ils réagissent, ils s’expriment. Ça devient LEUR émission.» Et ce succès continue de prendre de l’ampleur puisqu’en plus d’être présentée au Canada, la série est maintenant diffusée en version originale en France et en Belgique.

Gardien de la paix: le message

Bien qu’elle soit le reflet d’une certaine réalité, District 31 reste une série de fiction. Peut-on tirer quelque leçon que ce soit en visionnant ce type de divertissement? Michel Trudeau considère que oui. «Actuellement, on vit dans un monde très divisé entre les bons — ceux qui pensent comme moi — et les méchants — ceux qui ne sont pas de mon avis. Les réseaux sociaux contribuent à ce clivage. Le talent de Luc Dionne consiste justement à parler de solidarité, celle des policiers du 31, et d’illustrer toutes les nuances de la criminalité. Un “méchant”, c’est parfois un “bon” qui n’a pas eu de chance. Parfois, les bons peuvent être un peu méchants, les méchants peuvent être bons à certains moments de leur vie. Tout est objet de nuance. C’est ce que montre la série: la différence entre un honnête citoyen et un accusé au criminel, parfois c’est un détail, un moment où tout bascule. Un honnête citoyen peut se retrouver avec un casier judiciaire en un instant parce qu’il a perdu le contrôle. »

Peut-être que ce message d’ouverture et d’indulgence — dont nous avons bien besoin en ce moment — fait aussi partie des raisons de l’immense popularité de cette quotidienne. Quoi qu’il en soit, on pourra certainement dire que District 31 aura réussi à être aussi mémorable que marquante. Et dans l’univers de la série policière, c’est peut-être ce qu’on appelle un crime parfait.

La cinquième saison de District 31 est diffusée du lundi au jeudi, 19 h, sur ICIRadio-Canada Télé. Les saisons précédentes sont présentées sur ICITou.tv. Vous pouvez suivre la série sur Facebook, Twitter et sur son site officiel.


Myriam Kessiby
Depuis les 15 dernières années, Myriam a travaillé dans une panoplie de domaines liés aux médias: production cinématographique, télévision, radio, marketing, Internet, journalisme et plus. Elle est présente autant devant que derrière les caméras. Sa passion pour la création et son talent pour les entrevues l’ont emmené à contribuer au blogue de #VueSurLeCanada afin de raconter les histoires de succès des productions financées par le FMC. www.myriamkessiby.com
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