Ian Abinakle: roi de cœurs

4 août 2020. Explosion meurtrière dans le port de Beyrouth, au Liban. Un an plus tard, les habitants continuent d’être gravement affectés par la cinquième déflagration la plus puissante de tous les temps. Un drame immense pour nos communautés LGBTQ+ que le Montréalais d’origine libanaise Ian Abinakle souhaite soutenir.

Une simple promenade dans les quartiers de Gemmayzé et de Mar Mikhaël à Beyrouth glace le sang, car ces havres de la communauté LGBTQ+ sont encore très endommagés par l’explosion. De nombreuses personnes queer ont été contraintes de quitter leur maison. Certaines ont trouvé refuge auprès de leur famille et de leurs amis qui, bien souvent, ne sont même pas au courant de leur orientation sexuelle et, encore moins, de leur vie amoureuse. Pour des milliers d’entre elles, c’était le début de la fin.

Le Montréalais Ian Abinakle connaît bien le Liban ; il y a grandi avant d’immigrer au Canada dans les années 80. Il se souvient très bien des derniers mots prononcés au téléphone par son père, alors qu’il était un jeune gai de 20 ans établi dans la métropole québécoise : « Je vais venir à Montréal pour te trancher la gorge. » 

Mais ces paroles dures n’ont jamais freiné son ardeur. Ian a passé sa vie à organiser des célébrations de la Fierté LGBTQ+ : les festivals Divers/Cité à Montréal et Green Space à Toronto.

Plus encore, il revient tout juste d’un séjour au Liban, où il a rencontré des victimes de l’explosion issues de nos communautés. Il espérait soulager, autant qu’il le pouvait, les souffrances que l’ignorance humaine et le système social archaïque infligent à des personnes différentes de la majorité. Pour venir en aide aux victimes, il a aussi mis sur pied une incroyable campagne de collecte de fonds. En entrevue, il décrit des récits qu’on ne peut plus taire.

Ian Abinakle, vidéaste libanais basé à Montréal

Comment est venue l’idée de la campagne de financement Cœurs en Éclats ?

Elle est née du désir d’aider la population libanaise marginalisée puisque l’explosion a exacerbé des problèmes préexistants : une économie sur le point de s’écrouler, un soutien gouvernemental inexistant, un système politique corrompu et une crise sanitaire due à la pandémie de COVID-19. Ajoutez à cela l’homophobie et la transphobie !

Encore aujourd’hui, plusieurs victimes LGBTQ+ ne trouvent pas l’aide nécessaire à cause de leur différence. Dépossédées de l’essentiel, elles sont les « oubliés parmi les oubliés ». Moi, je veux contribuer à ce qu’on les écoute, les voit, les comprenne et les aide de toutes les manières possibles.

Aviez-vous cette idée en tête depuis l’explosion ?

L’idée m’a habité pendant plusieurs mois, mais elle est devenue claire et précise dans mon esprit le jour de mon anniversaire, le 17 avril : je devais foncer ! Après une deuxième année d’isolement pandémique, de vie sociale restreinte et d’hyperconnectivité numérique, mon âme était assombrie par l’insupportable sentiment d’être inutile, de ne pas pouvoir contribuer à la société.

C’est en voyant la réalité tragique de mon pays natal que j’ai compris que je devais faire ma part. Mais pour attirer l’attention sur cette situation critique à Beyrouth, je devais m’adresser à la communauté LGBTQ+ internationale. Après tout, les populations marginalisées comprennent mieux les problèmes des personnes marginalisées.

Je le sais pour l’avoir vécu de près : plus jeune, alors que j’étais destiné à enseigner la littérature française au Liban, la vie m’a mené à Montréal, où j’ai été attiré par la production de spectacles, la planification d’événements et l’activisme. Cela m’a conduit à promouvoir la diversité, l’inclusion et l’équité à travers la musique et l’art, et ce, en m’impliquant dans les organisations de la Fierté LGBTQ+. J’ai été directeur du festival Divers/Cité Montréal pendant plus de 15 ans, producteur du festival Green Space pour le Centre communautaire The 519 de Toronto pendant 12 ans, ainsi qu’organisateur d’événements de collecte de fonds à grande échelle.

À travers mes réalisations, j’ai été témoin des impacts positifs de ces initiatives sur les individus et, plus largement, sur la communauté. Le temps était venu de faire ma part à Beyrouth.

Crédit photo: Nada Raphael

Vous êtes allé à la rencontre de nombreuses victimes de l’explosion. Racontez-nous.

J’ai contacté d’anciens et de nouveaux amis susceptibles de partager mon intérêt et mes préoccupations. Puis, l’organisation LGBTQ+ MOSAIC à Beyrouth m’a offert ses bureaux et son aide pour organiser des rencontres et des entretiens. Très active sur le terrain, celle-ci comptait une très longue liste de gens dans le besoin.

Pendant plusieurs semaines, j’ai donc écouté ces personnes LGBTQ+ afin de bien transposer leurs histoires sur papier, et ce, en français comme en anglais. Avec une amie vidéaste, j’en ai aussi fait des capsules vidéo. Le tout se trouve sur le site thequeerproject.org ainsi que sur Facebook et Instagram : @shatteredhearts.leb.

À quoi servira l’argent amassé ?

Les dons permettront de fournir une aide directe aux victimes concernées. Une allocation de 6 000 dollars canadiens a été jugée suffisante pour donner un répit à une personne pendant une période de six mois et couvrir les dépenses de loyer, nourriture, vêtements et transports. Le remplacement de meubles et d’appareils électroménagers a été évalué à 5 000 dollars canadiens seulement, considérant la dévaluation de la livre libanaise. Les ordinateurs portables et les téléphones mobiles, essentiels dans certains cas, ont été évalués selon le marché actuel au Liban. Le verdict : 600 dollars canadiens pour un ordinateur et 700 dollars canadiens pour un téléphone de qualité raisonnable. À cela s’ajoutent parfois des soins médicaux d’urgence.

Crédit photo: Nada Raphael


Comment peut-on y contribuer ?

En visitant le thequeerproject.org. Les donateurs ont deux options : soutenir la campagne de collecte de fonds en général ou cibler un besoin spécifique. J’invite aussi le grand public à partager les histoires que j’ai écrites et mises en images. Ce sont les festivités de la Fierté à Montréal, un moment crucial pour se rappeler que tout n’est pas rose. C’est à nous, collectivement, de faire une différence.    


Mathieu Chantelois
Ancien journaliste, Mathieu est dorénavant un professionnel des communications et du marketing. Son travail et ses campagnes de promotion ont souvent été primés.

Né à Montréal, il est tombé dans la marmite de l'industrie des écrans en bas âge : son grand-père était chef technicien à la Canadian Broadcasting Corporation et son père, responsable des ressources humaines à l’Office national du film du Canada.

En début de parcours, il a publié plus d’une centaine d’articles dans le magazine culturel Voir et le quotidien La Presse, en plus d'avoir enseigné la parole publique dans un cégep montréalais.

En 2000, il a déménagé à Toronto pour participer à la toute première émission de télé-réalité au pays : U8TV: The Lofters. Il a vécu 20 ans dans la Ville Reine, où il a tenu les rênes du magazine Famous Québec devenu Le magazine Cineplex. Il a été l'antenne torontoise de plusieurs émissions de radio et de télévision pancanadiennes, principalement celles de Radio-Canada. Il y a abordé une variété de sujets sociaux, culturels et politiques. Son portfolio compte par ailleurs plus de 1 000 articles rédigés en français et en anglais pour divers magazines.

Titulaire d’un baccalauréat en communication de l’Université du Québec à Montréal et d’une maîtrise en journalisme de l’Université Carleton à Ottawa, il détient également un certificat en perspectives stratégiques pour la gestion d’organismes à but non lucratif de la Harvard Business School.

Membre de l’équipe de la haute direction du Fonds des médias du Canada depuis 2019, il travaille à promouvoir l’inclusion et la diversité devant et derrière la caméra, tout en faisant rayonner partout dans le monde le contenu de chez nous. Il est désormais de retour à Montréal avec son époux et leurs deux jeunes enfants.
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