Il était une fois des livres adaptés à l’écran
Les adaptations d’œuvres littéraires à la télévision et au cinéma semblent dominer de plus en plus le paysage audiovisuel. Serait-ce parce qu’elles sont gages de succès?
Au petit écran, pensez à Premier trio, Haute démolition, Détective Surprenant, IXE-13 et la course à l'uranium… Bientôt au cinéma : les adaptations de Qimmik, de Michel Jean, par la réalisatrice Anik Jean; Mille secrets mille dangers, d’Alain Farah, par Philippe Farlardeau; Comment devenir un monstre, de Jean Barbe, par Charles-Olivier Michaud; et Amiante, de Sébastien Dulude, par Yan Giroux.
Il ne se passe pas un mois sans qu’une série ou un film tiré d’un œuvre littéraire prenne vie à l’écran.
Les données canadiennes manquent pour documenter la tendance. Plus fouillées en France, elles révèlent que près d’une œuvre audiovisuelle sur 5 (18 %) est adaptée d’un ouvrage littéraire et, qu’entre 2015 et 2021, les téléséries tirées de livres ont bondi de 112 % dans l’Hexagone, selon une étude du Centre national du livre.
Dans l’industrie, on remarque aussi l’engouement pour les récits d’abord créés pour les lecteurs.
Happy Camper Média est un habitué de l’exercice. Le studio d’animation et maison de production situé à Québec adapte les livres jeunesse L’Agent Jean!, Mini-Jean et Mini-Bulle, Les Dragouilles et La petite Dragouille. Son équipe – ils étaient 8 en 2019 et maintenant plus de 50 – planche aussi sur l’adaptation de la collection de livres Savais-tu? en capsules, qui seront diffusées à la fin de 2025, et sur un film de L’Agent Jean!.

Des livres qui donnent l’élan
Pour son président et producteur exécutif Renaud Sylvain, plusieurs raisons expliquent la vague d’adaptations littéraires. D’une part, le processus de développement est accéléré parce que l’univers est déjà existant. D’autre part, les producteurs et les diffuseurs savent déjà que l’histoire plaît au public.
« Dans le cas de L’Agent Jean! et des Dragouilles, les univers sont très connus, dit-il. Les chiffres de vente de livres sont dans les centaines de milliers d'exemplaires. N'importe qui qui travaille en jeunesse regarde un peu ce qui se fait en contenu, en littérature, en jeu, etc. Ce sont des noms qui résonnent. »
Renaud Sylvain insiste néanmoins sur l’importance du mot « adaptation » : « Si on escamote ce processus, ça peut devenir un contenu moins apprécié du public. On ne raconte pas une histoire en bande dessinée comme on la raconte en version animée. Un livre de L'Agent Jean! a 112 pages; c'est un film, en fait. Nous, on en fait un format de 7 minutes », explique-t-il, précisant que les dessins animés de L’Agent Jean! s’inspire de l’univers des bandes dessinées d’Alex A., mais que les scénarios, eux, sont originaux.
Du financement pour les adaptations littéraires
S’il y a plus de productions tirées de livres, c’est aussi grâce au Programme d’aide au prédéveloppement de séries télévisées basées sur des adaptations littéraires, financé par la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) et le Fonds des médias du Canada (FMC), selon Renaud Sylvain.
Lancé en 2020, ce programme soutient les séries télévisées de fiction, de séries documentaires et de séries jeunesse, issues d’adaptation d’œuvres littéraires québécoises, qui n’ont pas reçu le soutien d’un télédiffuseur, d’un distributeur ou d’un financement en développement.
Sur les 56 projets soutenus entre 2020 et 2024, 13 ont atteint l’étape du développement ou de la production, soit plus d’un projet sur 5. Manuel de la vie sauvage, Frida, c’est moi et Les expériences de Mini-Jean sont quelques exemples des projets qui ont été produits. Un taux de succès « exceptionnel » de l’avis de Mireille Darveau, directrice contenu de langue française au FMC.
Au total, 37 entreprises de la Montérégie, de la Capitale-Nationale et de Montréal ont été soutenues.

Les romans policiers derrière le succès Murdoch Mysteries
Les séries canadiennes Murdoch Mysteries et Heartland – parmi les plus regardées en anglais de tout le pays – font foie du succès populaire des émissions inspirées de romans.
Christina Jennings, présidente de Shaftesbury, qui produit Murdoch Mysteries depuis maintenant 21 ans, se souvient du jour où les romans policiers de Maureen Jennings (qui n’a pas de lien de parenté) ont atterri sur son bureau : « Ils étaient sur le coin de mon bureau quand un scénariste/réalisateur m’a mentionné qu’il les avait lus et qu’il y voyait un potentiel. J'adore l'histoire et je suis une grande lectrice. Je m’y suis donc plongé. L'idée de mettre en valeur Toronto dans les années 1890 m'a vraiment intrigué », dit-elle.
Pour rendre l’histoire de Détective Murdoch meilleure pour le petit écran, des changements sont de mise, soutient Christina Jennings. Parmi eux, un personnage féminin qui prenait peu de place dans les romans – la Dre Julia Ogden, médecin légiste – est devenu l’un des personnages principaux de la série aux côtés du détective William Murdoch.
La réussite d’une telle adaptation n’est pas pour autant garantie. S’inspirer de romans d’auteurs célèbres comme Margaret Atwood (que Shaftesbury a adaptés sept fois plutôt qu’une) augmente les chances de succès populaires, selon la productrice.
Mais surtout : « L'adaptation finale doit pouvoir se tenir seule. Son succès dépend de la qualité du travail de l'équipe : scénariste, réalisateur, acteurs, producteurs et tout le reste. Et il ne faut pas sous-estimer le ‘timing’. Parfois, c’est juste le bon moment pour un projet. Le zeitgeist. Et parfois, ça peut jouer contre vous. »

Nouveau chapitre pour Premier trio
Cet avis est partagé par Raphaël Codebecq, auteur principal de la série pour adolescents Premier trio, dont la troisième saison sera diffusée sur ICI Tou.tv à compter du 8 mai, puis à l’automne à Radio-Canada.
Pour adapter les romans jeunesse de Nadia Lakhdari, qui sont écrits « à la manière d’un journal intime », le scénariste a dû s’en détacher. « Il y avait un travail à faire sur la forme pour rendre ça télévisuel et cinématographique. On commence à mieux comprendre comment adapter les choses, se concentrer sur ce qui a le potentiel d'être intéressant à l'écran. C'est peut-être ce qui fait en sorte qu’il y a moins de préjugés négatifs qu’avant au sujet des adaptations », souligne Raphaël Codebecq.
Un des dangers de cet exercice est de ne pas respecter l’univers de son créateur. Impossible dans le cas de Premier trio, puisque Nadia Lakhdari avait le dernier mot sur les choix créatifs et est même devenue scénariste sur la série qui suit de jeunes joueurs de hockey.
« Il y a des traits de personnalité ou des valeurs chez mes personnages qui sont tellement fondamentaux que, si on traverse certaines frontières, ce ne sera plus eux, indique l’autrice. Par exemple, j’ai insisté pour que la relation entre mes deux protagonistes, Xavier et Chloé, reste pure, parce qu’elle l'est dans les romans. »
Parce que la première saison de Premier trio s’inspire des trois premiers tomes de la collection, les scénarios ont fini par se développer plus rapidement que les livres. « Finalement, ce sont les livres qui sont devenus une adaptation de la série! » lance Raphaël Codebecq, en riant.
« Tout le monde y gagne »
À la différence d’une production originale, l’adaptation de livres exige de mettre la main sur les droits, qui se vendent sous forme de « contrats d’option ». Combien coûtent-ils? La réponse courte : ça dépend.
« L’auteur est-il nouveau dans le domaine? Est-il connu au Canada? Dans le monde? Avez-vous une connexion personnelle avec l’auteur? Qui fait partie de l’équipe qui adapte l’œuvre? Une option peut aller de rien pour la première année à plusieurs dizaines de milliers de dollars pour une option d’une durée d’un an », détaille Christina Jennings.
Ce qui est sûr, c’est que les adaptations ouvrent aussi la porte à un plus grand lectorat. Selon Renaud Sylvain, une création sort toujours gagnante d’être présentée sur plusieurs plateformes, particulièrement en jeunesse puisque les enfants ont cette attente implicite de voir un univers sous forme de livre, de balado et de série.
« Pourquoi il y a plus d'adaptions d'œuvres littéraires? C'est parce que tout le monde y gagne », conclut-il.