Kickstarter met fin à Drip: l’artiste plus que jamais au cœur de ses stratégies de fidélisation
Après la création récente de NFTS Platform!, une plateforme dédiée aux jeunes cinéastes, Kickstarter a annoncé un important partenariat avec le festival d’art indépendant XOXO, afin de revigorer le modèle par abonnement – porté timidement jusqu’à maintenant par son site Drip. Ces deux initiatives visent essentiellement à accroître le taux de fidélisation de la clientèle artistique à laquelle la plateforme promet différentes avenues de financement de même qu’une communauté. Explications.
Le 24 octobre dernier, Kickstarter a sonné le glas de Drip, une plateforme lancée il y a un peu plus d’un an et offrant sensiblement le même modèle de financement que Patreon, c’est-à-dire un abonnement à la création plutôt qu’une contribution épisodique par projet. Cependant, Kickstarter lui donne une seconde vie grâce à une collaboration avec XOXO, le festival d’art indépendant et de technologie de Portland, dont Andy Baio, l’un des fondateurs, a jadis travaillé sur le développement du géant américain du financement participatif à titre de directeur technique.
On ne connaît pas encore le nom de la nouvelle destination ni la date officielle de son lancement. Toutefois, ce qu’on sait, c’est que les créateurs actuellement inscrits à Drip (qui fonctionne sur invitation seulement) n’ont pas à s’inquiéter, car ils pourront y poursuivre leurs activités pendant encore un an. Par la suite, ils seront migrés vers la nouvelle plateforme ou un autre service Kickstarter de leur choix.
Développer des relations durables en ciblant mieux les clientèles
Ces décisions stratégiques prises récemment par Kickstarter témoignent d’un engagement plus affirmé à l’égard des utilisateurs de la première heure de la plateforme, c’est-à-dire les artistes, et tout indique que le plus tôt dans leur carrière sera le mieux.
Si la plateforme américaine cible certains profils au sein de la communauté artistique, soit les étudiants et les artistes indépendants, c’est qu’il y a là un véritable potentiel de fidélisation à long terme. En effet, plus les créateurs intègrent les mécanismes du financement participatif tôt dans leur processus de production, mieux outillés ils seront pour diversifier, voire optimiser, leurs sources de financement dans le futur.
Avec NFTS Platform!, Kickstarter attend les étudiants à la sortie des classes en semant chez eux l’idée de financer leurs futurs courts métrages à l’aide de sa plateforme. Mieux encore, les jeunes réalisateurs qui acceptent de relever le défi ont droit à des séances de mentorat « kickstartien » au cours desquelles ils apprennent l’art de la collecte de fonds tout en développant leurs habiletés en création et animation de communautés
La National Film and Television School, soit dit en passant l’une des plus prestigieuses écoles de cinéma et de télévision sur la planète, appuie la démarche en contribuant financièrement aux campagnes de ses élèves. Pour l’instant, il n’y a que trois projets inscrits à la plateforme, mais ce sont des créations de grande qualité.
https://www.facebook.com/endoshortfilm/videos/288897358374987/
La prochaine mouture de Drip semble aussi emboîter le pas du développement relationnel durable entre les artistes et les acteurs de XOXO et de Kickstarter. Sa mission, précise le fondateur Perry Chen, [TRADUCTION] « sera de veiller à la découverte des créateurs et artistes indépendants, de trouver la communauté qui soutiendra leur travail, et de les aider à poser les jalons d’une carrière stable. »
On présume aussi, sans doute, que le soutien financier par la foulefinancement participatif convient plus naturellement à ce type de clientèle, qui évolue dans un système ouvert axé sur la collaboration et le recours aux intermédiaires culturels « à la carte ». Le. Par ailleurs, le financement participatif peut par ailleurs contribuer au renforcement d’un sentiment de liberté artistique.
Or, si le financement participatif par abonnement a fait ses preuves auprès des créateurs de baladodiffusions et de contenus vidéo, Kickstarter avoue qu’il reste encore du chemin à faire auprès des artistes qui produisent de manière épisodique. La plateforme assure toutefois que les fondateurs de XOXO, Andy Baio et Ady McMillan, sont les mieux placés pour concevoir de nouvelles approches à l’abonnement – des approches qui miseront davantage sur le travail en communauté que la contrainte de production (ce qui est le cas lorsque le créateur doit livrer quelque chose chaque mois).
La question est maintenant de savoir comment la successeure de Drip parviendra à offrir une certaine stabilité financière à sa clientèle sachant qu’il existe, du côté de Patreon, des écarts notables entre les top creators, soit les créateurs les mieux rémunérés, et la grande majorité qui touche moins de 1 000$ par mois.
Kickstarter et les arts: une filiation naturelle
Au-delà de ces annonces stratégiques, il est important de rappeler que le développement et le soutien de la création artistique indépendante sont des valeurs fondamentales à Kickstarter.
Yancey Strickler, cofondateur de Kickstarter, était jadis critique musical à New York. Il a eu envie d’une vitrine permettant aux fans d’entrer librement en contact avec leurs groupes préférés et de soutenir leur travail. Puis, il a croisé sur son chemin Perry Chen, alors compositeur de musique électronique, qui lui mijotait l’idée d’une telle plateforme depuis 2001. Il lui avait même trouvé un nom: Critical Mass. C’est ainsi que, ensemble et avec le designer Web Charles Adler, ils ont créé « l’une des 50 meilleures inventions de 2010 » selon Time, soit l’une des plus grandes plateformes de financement participatif au monde.
La section The Creative Independent, à laquelle on accède par le bas de la page principale de Kickstarter, regorge de ressources inspirantes visant à nourrir les esprits créatifs. Depuis sa fondation en 2009, 153 289 projets y ont été financés intégralement (en date du 7 novembre 2018) et les catégories affichant les meilleurs résultats sont la musique et le cinéma et la vidéo, avec 28 478 et 25 637 réussites respectivement.
En matière de financement participatif, la clé du succès est d’être en mesure de mobiliser ses relations pour atteindre son objectif et, donc, de transformer son capital social en capital financier. Maintenant, l’avenue que semble emprunter Kickstarter est celle du « développement durable » du capital social de sa clientèle en espérant qu’elle demeure le plus longtemps possible inscrite à ses services plutôt que n’y avoir recours que sporadiquement.
Il sera intéressant de voir comment ses nouvelles alliances stratégiques feront évoluer cette vision.