La nouvelle économie de la baladodiffusion
Contre toute attente, l’industrie de la baladodiffusion explose en ce moment et se trouve au cœur d’une nouvelle économie florissante. Le secteur attire de nouveaux investisseurs et les auditoires n’ont jamais été aussi nombreux. Ce nouveau marché attire l’attention au point où certains anticipent une bulle financière. Qu’en est-il?
Il est 16 heures et la salle de l’hôtel Hilton est pleine à craquer. On sent l’électricité dans l’air alors que les panélistes vont prendre la parole d’un instant à l’autre et débattre des meilleures façons de monétiser la baladodiffusion. Au festival South by Southwest (SXSW), les conférences portant sur la baladodiffusion sont rares; malgré tout, elles attirent les foules. Cette année, c’est Ira Glass, la plus grande star du secteur, qui est venu raconter l’histoire récente du balado à succès Serial, téléchargé à plus de 10 millions de reprises.
Aux États-Unis, Serial est l’un de ces succès qui ont permis un à un de populariser cette nouvelle façon de faire de la radio qui consiste à télécharger à la demande du contenu audio mis à la disposition des abonnés. En 2006, selon une étude menée par la firme Edison Research et par Triton Digital, seulement 22 % des Américains connaissaient le terme « baladodiffusion »; en 2016, soit dix ans plus tard, ils sont 55 % à le connaître.
Un marché toujours modeste, mais en croissance
En conférence à SXSW, Ira Glass a annoncé une nouvelle étonnante. Signe des temps, les publicités intégrées dans le balado de This American Life, l’émission de narration la plus célèbre aux États-Unis, rapportent désormais plus que celles de la version radiophonique. Fait unique dans l’industrie pour le moment, les publicités intégrées dans le balado de l’émission atteignent jusqu’à 60 $ le CPM (coût par mille impressions).
Ira Glass fait partie de ces superstars de la balado à l’instar de Roman Mars, d’Alex Blumberg, de Jad Abumrad et de Robert Krulwich qui participent à l’invention des modèles d’entreprise du secteur. Ces modèles d’entreprise restent des approches bien connues du monde des médias, mais ils sont peu fréquents dans le monde de la radio.
On pense à l’intégration publicitaire standard, au financement participatif, aux balados commandités, aux abonnements de type « premium », aux événements en direct ou encore, plus récemment, à l’abonnement payant. Pour franchir de nouveaux paliers économiques et mieux faire vivre ses artisans, la baladodiffusion comme médium devra en effet se faire connaître davantage afin de gagner en popularité.
Le Netflix de la radio
Aux États-Unis, le marché de la baladodiffusion est en croissance. Les prévisions font état de revenus publicitaires de 34 millions de dollars cette année. Ces chiffres sont en bonne partie attribuables au leader du secteur, la société Apple. Au fil des ans, cette dernière a su conserver une position de leader dans le marché de la diffusion.
Toutefois, cette position de leader soulève la controverse. En effet, l’industrie attend toujours qu’Apple facilite l’éclosion d’un modèle d’entreprise plus profitable aux créateurs. Pour le moment, Apple ne profite guère de sa position, et l’industrie doit s’organiser à coup de millions dans des voies de contournement.
Citons en exemple deux récentes transactions qui ont permis de prendre acte de l’ampleur de ce phénomène : E.W. Scripps a acheté la régie publicitaire pour balados Midroll ainsi que l’application de balados Stitcher pour un total de 54,5 millions de dollars. Non seulement de nouveaux investissements permettent de transformer l’industrie de la publicité audio, mais on voit aussi naître des applications de diffusion qui pourraient à terme se substituer à iTunes.
Il faudra bouger rapidement afin de s’assurer une place dans le nouvel écosystème de la radio numérique. Tant qu’Apple ne fait pas le saut en créant son propre modèle d’entreprise, chacun y verra l’occasion de devenir le Netflix de la radio.
Un écosystème privé-public
Au cours des dernières années, les réseaux publics sont entrés tôt dans la danse et sont à l’origine de la création de plusieurs plateformes de distribution telles Radiotopia et Radio Public(PRX), Infinite Guest (American Public Media) ou encore SoundWorks (PRI). Entre-temps, WNYC, la radio publique de New York, incube et programme toujours plus de nouveaux balados, tandis que NPR compte bien doubler ses revenus liés à ce secteur cette année.
Du côté de l’industrie privée, Gimlet Media fait figure de pionnier avec ses six balados originales et son modèle d’affaires, un des plus innovants du marché. Sa régie publicitaire rivalise de créativité afin de toujours mieux intégrer les annonceurs aux contenus et la compagnie a récemment ouvert un abonnement « premium » pour ses auditeurs les plus fidèles. C’est d’ailleurs sur cette forme que la France tente elle-même de faire le saut dans ce marché par l’entremise d’une startup comme Binge.radio.
On a même aperçu MTV lancer cinq balados d’actualité. Et la presse n’est pas en reste : le New York Times a réinvesti dans le secteur récemment, alors que Slate a doublé son réseau de balados Panoply au cours des deux dernières années et lance en ce moment une gamme de balados en France.
En attendant les prochains bons coups
À SXSW, Ira Glass racontait que This American Life a pris quatre ans pour franchir le cap du million d’auditeurs, alors que quatre semaines ont suffi pour arriver au même résultat avec son nouveau projet de balado, Serial. C’est dire que la baladodiffusion a le vent dans les voiles, mais a besoin des coups d’éclat comme Serial afin de se faire connaître.
En marge du contenu, certaines équipes travaillent notamment sur des chantiers technologiques connexes portant sur la découvrabilité (Podlikethat), le partage sur les réseaux sociaux (Anchor, Rolltape) et la mesure (NPR).
Il sera intéressant d’observer comment cette nouvelle économie prendra forme de ce côté-ci de la frontière, d’Urbania à Châtelaine, en passant par Infopresse, Le Devoir, Radio-Canada, CIBL et RZO. Nous sommes au début d’une nouvelle ère où les balados pourront explorer de nouveaux modèles d’entreprise grâce à l’injection de nouveaux capitaux.