La petite histoire de la souveraineté culturelle 

Au Canada, la « souveraineté culturelle » n’a jamais été aussi souvent prononcée que depuis qu’elle se voit menacée par l’administration américaine de Donald Trump. Mais que signifie-t-elle? 

Des acteurs de l’industrie culturelle prennent la plume pour la revendiquer. Des politiciens disent haut et fort que tous les efforts doivent être mis pour défendre ce qui distingue la culture canadienne sous toutes ses formes.  

Durant la campagne électorale fédérale, la souveraineté culturelle est un concept qui a été utilisé à toutes les sauces. Pour certains, elle désigne le droit d’une nation à définir, protéger et promouvoir ses propres valeurs, traditions, langues et expressions artistiques sans ingérence extérieure. Pour d’autres, elle renvoie à un engagement clair envers les arts et la culture pour permettre au milieu de raconter notre histoire et de faire exister une ou des cultures locales. La souveraineté culturelle, c’est aussi de ne pas laisser des entreprises culturelles étrangères monopoliser les secteurs du film, de la musique et des arts de la scène sur notre propre territoire. 

Peu importe la définition, une écrasante majorité de Canadiens sont préoccupés par cette souveraineté. Selon un tout nouveau sondage de la Canadian Media Producers Association (CMPA), 91 % des Canadiens tiennent à protéger la culture de leur pays et l'identité nationale contre l'influence des États-Unis.  

Plus encore : 83 % des répondants souhaitent davantage d’investissements dans la télévision, le cinéma et les médias numériques canadiens. Neuf personnes sur 10 croient que ce contenu devrait appartenir à des entreprises d’ici et être contrôlé par elles plutôt que par des studios américains, et 86 % veulent que le diffuseur public CBC produise du contenu sur l’histoire du pays. 

Mais encore faut-il définir ce qu’est l’identité et la culture canadienne. 

Pour une discussion nationale 

Dans une lettre d’opinion parue le 17 mars dans The Hill Times, intitulée « Urgent: let’s be bold about our national identity » (« Urgent : montrons-nous audacieux au sujet de notre identité nationale »), le sénateur canadien Andrew Cardozo proposait ceci : « Nous avons besoin d’une discussion nationale sur notre identité canadienne ; comment la maintenir et comment la faire grandir. »  

Un avis partagé par François Colbert, professeur titulaire au Département de marketing à HEC Montréal, qui estime que le Canada anglais doit mener une réflexion profonde sur ce qui le définit culturellement, « au-delà de dire que nous ne sommes pas Américains ».  

« Au Québec, on en parle régulièrement. Je pense que le Canada anglais, lui, se réveille, observe celui qui est aussi titulaire de la Chaire de gestion des arts Carmelle et Rémi-Marcoux. Bien sûr, le problème du Canada anglais, c'est la langue commune avec les États-Unis. Par ailleurs, les Australiens, les Néo-Zélandais, les Anglais ou les Écossais aussi ont une langue commune, et ils ont leur propre fierté culturelle. » 

Il faut, selon lui, bâtir autour de l'histoire canadienne et de ce que le pays est en train d'accomplir, notamment avec les Premières Nations. « Nous, on se préoccupe des Premières Nations, de rétablir les ponts, ce que ne font pas les États-Unis. »  

La question de la souveraineté culturelle a aussi fait l’objet d’un débat, le 14 avril dernier, à Montréal. Parmi ses participants, le bloquiste Martin Champoux ironisait d’entrée de jeu que des fédéralistes parlent désormais autant de… souveraineté. 

Il faut dire que la culture francophone et québécoise a toujours été le « principal cheval de bataille » de son parti, de l’avis de Martin Champoux.  

Le néo-démocrate Marwan El-Attar a affirmé que ce qui définit une société, c’est sa culture. « On retient la poésie, le théâtre, la musique. C’est ça qui définit une civilisation. Pas des pipelines », a-t-il lancé, décochant une flèche au Parti libéral du Canada et au Parti conservateur du Canada, qui se sont montrés favorables durant la campagne électorale à la construction de pipelines gaziers traversant le pays. 

Le ministre Steven Guilbeault a quant à lui rappelé que son chef Mark Carney l’a nommé ministre de la Culture et de l’Identité canadiennes parce que cette identité est l’un des enjeux importants qui découlent de la menace américaine. « Ça inclut les arts et la culture, nos deux langues officielles, les langues et les cultures autochtones. L’attachement à nos espaces verts, à notre territoire, c’est aussi un élément qui nous définit d’un point de vue identitaire », a-t-il dit. 

Capture Débat Souverainete
Capture d'écran du débat « Quelles visions pour la souveraineté culturelle canadienne?  ». De gauche à droite: Johane Despins, Steven Guilbeault, Martin Champoux, Marwan El-Attar.

La place des institutions culturelles 

Comment protéger cette souveraineté culturelle? Selon le sénateur Andrew Cardozo, elle passe d’abord et avant tout par les institutions canadiennes : « Nous devons parler de nos institutions, évaluer leur efficacité et comment les réformer pour répondre aux nouveaux défis. Nous avons besoin de plus de ces institutions, pas moins », écrivait-il dans The Hill Times

Il cite en exemple le Conseil des arts du Canada et une variété de musées de qualité dans la région de la Capitale-Nationale, de Halifax et de Winnipeg, des galeries, mais aussi les parcs nationaux, ainsi que les voies navigables partout au pays.  

Le financement des institutions est au rendez-vous, selon Steven Guilbeault. Le ministre souligne que les budgets culturels fédéraux ont augmenté de 50% en une décennie, tout en précisant que les besoins se sont multipliés avec une plus grande préoccupation pour les groupes minoritaires, dont ceux issus de la diversité et les Autochtones.  

Sans pouvoir fournir de garantie, il s’est engagé à faire « tout ce qu’il peut » pour répondre à la demande d’aide supplémentaire formulée par les différents programmes du ministère du Patrimoine et le Conseil des arts du Canada.  

Il ajoute que, advenant des impacts importants liés aux tarifs américains, son parti aiderait le milieu culturel comme il l’a fait durant la pandémie. 

Le Canada face à la machine américaine  

La concurrence des géants numériques comme Amazon, Alphabet et Meta est aussi au cœur de ce débat. « Dans le premier mandat de Donald Trump, il n’y avait pas tous ses amis des géants du numérique qui étaient autour de lui en exigeant qu’il fasse tomber toutes les barrières qui leur permettent d’évoluer sans restriction ici. Et ça, c’est une grosse préoccupation », s’inquiète Martin Champoux.  

Pour défendre le cinéma canadien face à la machine américaine, François Colbert suggère de mettre à contribution les producteurs de films et les chaînes de cinémas. « On soutient les films, mais pas la distribution », dit-il. Pour contourner ce problème, le professeur de marketing des arts et de la culture propose que des salles de cinéma soient dédiées au cinéma d’ici, avec un soutien de l’État.   

Par ailleurs, il existe déjà une Journée nationale du film canadien qui, le 16 avril dernier, a battu des records avec près de 2 000 projections de films canadiens, témoignant d'un engouement pour les histoires locales et d'une réaction culturelle à l'influence des États-Unis.  

Les événements actuels « forcent le Canada à réfléchir, ce qui n’est pas mauvais, conclut François Colbert. De toute façon, 90% des Canadiens ne veulent pas être Américains. La poussée nous a été donnée, il faut maintenant construire cette fierté canadienne. »  


Mathilde Roy
Mathilde Roy est rédactrice en chef de Futur et médias, la plateforme éditoriale du Fonds des médias du Canada, et gestionnaire de marque pour NOUS | MADE. Avant de joindre le FMC, elle a été journaliste pour différentes publications (L’actualité, Protégez-Vous, Le magazine Cineplex, etc.), ce qui l’a menée à couvrir des sujets variés comme le cinéma, les finances personnelles, les affaires publiques et la santé. Ses reportages lui ont valu plusieurs nominations et prix de journalisme, notamment un Prix du magazine canadien.
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