La recommandation en ligne, un enjeu pour les organismes publics?
La délinéarisation progressive du contenu diffusé sur plusieurs écrans a cédé sa place à une course à la recommandation en ligne, qu’on appelle aussi la curation de contenu. Cette tendance est directement liée à la volonté des chaînes de télévision et des diffuseurs de contenu de retenir leurs auditoires respectifs. À ce titre, les services et outils de recommandations permettent aujourd’hui aux diffuseurs de contenu de mieux connaître et fidéliser leur public.
La croissance exponentielle de l’offre de contenu vidéo en ligne dans le monde – par abonnement ou achat à la pièce – a mené à une fragmentation des offres et à une démultiplication des plateformes. L’accès légal aux films est devenu plus complexe en raison des droits achetés par les plateformes. Cette profusion de contenu donne lieu à ce que le psychologue Barry Schwartz a qualifié de « paradoxe de choix ». Il n’a jamais été aussi difficile de choisir une émission de télévision ou un film en ligne. La popularité de la « lecture automatique du prochain épisode » sur Netflix, qui libère l’internaute d’un nouveau choix à faire, n’a donc rien d’étonnant.
Pour qu’un service de recommandation fonctionne, il lui faut atteindre une masse critique de contenu, c’est-à-dire des renseignements détaillés sur les films et le public. eBay est l’ancêtre et l’inspiration de plusieurs engins de recommandation actuels. Il a été copié et réutilisé par beaucoup de startups jusqu’à maintenant. L’outil de recommandation d’eBay a été le premier à renseigner une base de données sur les comportements d’achat de ses utilisateurs. Les outils de recommandation indépendants actuels (TasteKid, Jinni et Clerkdogs) proposent des technologies et algorithmes de recommandations variés. Mais c’est une compilation avancée de données d’utilisateurs acquises au fil du temps qui a en partie forgé le succès de Netflix.
Les deux principaux modèles des services de recommandation
- Le filtrage collaboratif utilise les notes et recommandations des utilisateurs pour proposer des recommandations en fonction de ce que les utilisateurs affichant un comportement similaire aiment ou achètent. Cette solution exige la collecte de beaucoup de données et les plateformes installées depuis longtemps sont favorisées. Cette curation manuelle fait appel à l’humain, s’opposant ainsi à la curation algorithmique qui n’utilise que des mots-clés. C’est ce qui explique notamment le succès du site de recommandations musicales Songza, qui fait appel à des curateurs de contenu.
- L’approche basée sur le contenu (curation algorithmique) demande une connaissance approfondie des catalogues, chaque élément de contenu devant être décortiqué pour dresser un profil à partir de ses caractéristiques. Les goûts d’un utilisateur se fondent sur son comportement, ses notes ou les préférences qu’il a renseignés.
Plusieurs systèmes de recommandation se servent des réseaux sociaux pour établir des correspondances entre personnes et contenus. À l’image d’un site de rencontre, les plateformes mettent en relation personnes et émissions de télé, films et documentaires. Des applications de dating utilisent déjà les données d’Amazon et de Netlfix ainsi que les mentions « J’aime » de Facebook. La personnalité numérique des utilisateurs continue à s’étendre et devient la clé d’une recommandation sur mesure.
En raison de la concurrence que se livrent les plateformes, les liens existant entre les catalogues de chacune d’elles se font rares. Les utilisateurs revisitent à intervalles réguliers les mêmes plateformes, ce qui intensifie naturellement la tendance vers une forme d’Internet en silo où les contenus ne se rencontrent pas et où seul un nombre restreint d’éléments de contenu sont très partagés et populaires.
La recommandation et les organismes publics
Les diffuseurs publics et les organismes de réglementation craignent l’avènement d’une télévision façonnée en fonction d’une personnalité construite par des algorithmes. En France en septembre 2014, le président du CSA, Olivier Schramek, a exprimé cette menace. Les goûts passés, les habitudes d’achat et les caractéristiques professionnelles sont triés pour aboutir à un système « en silo » qui favorise « l’enfermement » et un « prolongement de l’espace privé » plutôt qu’« une fenêtre qui vous confronte à des réalités nouvelles ».
En vue de promouvoir et de protéger les contenus nationaux, les institutions s’organisent et on est témoin de l’émergence d’une réglementation des algorithmes. En France, le Conseil d’État est allé dans le sens du CSA en abordant la réglementation des algorithmes dans son rapport sur le numérique de septembre 2014. Le rapport propose la « bonification des œuvres françaises ou européennes », soit la « mise en place d’une fenêtre dédiée dans le résultat des recommandations ». Concernant l’exposition des œuvres, il envisage « d’imposer aux acteurs concernés d’agir sur leurs algorithmes, en favorisant la prise en compte des critères de promotion de la diversité culturelle ». Cependant, il est encore trop tôt pour savoir comment les plateformes et éditeurs de contenu réagiront à ces demandes.
Aux États-Unis, avec un premier objectif de protection des contenus contre le piratage, la MPAA a lancé en novembre dernier la plateforme Where to Watch, un engin de recherche qui indique aux internautes où ils peuvent trouver leur contenu en ligne. Ce service coopératif est l’un des plus complets et offre de l’information où les films sont diffusés en continu (à louer ou à vendre en format DVD ou Blu-ray). Where to Watch passe en revue les catalogues des plateformes Netflix, Hulu, iTunes, Amazon, Xbox Video et plus d’une douzaine d’autres services pour déterminer lesquelles permettent le visionnement d’un contenu en particulier. Cependant, cet outil de recommandation n’est valable qu’aux États-Unis et laisse le Canada de côté. L’arrivée tardive de la plateforme laisse planer un doute quant à son adoption, les internautes ayant pris leurs habitudes ailleurs ces dernières années.
La poussée de la recommandation sur le Web soulève une question sous-jacente que tous les diffuseurs en ligne devront se poser : Faut-il donner préférence aux contenus nationaux? Quel type de dialogue doit être instauré avec les utilisateurs? La tendance actuelle vers l’ «hyper choix » cache un manque d’information sur les biens culturels et il en résulte une difficulté grandissante à déceler les œuvres susceptibles de plaire. De fait, l’accès seul aux œuvres et l’apport technologique ne suffisent pas à pallier aux enjeux de la découvrabilité : une promotion appropriée à la consommation en ligne est donc nécessaire.