L’Acadie, cheffe de file en fiction francophone hors Québec
L'Acadie domine en production de fiction en langue française hors Québec: Belle-Baie (Les Productions du Phare-Est, 2008), À la Valdrague (Mozus Productions, 2018), Conséquences (Bellefeuille Productions, 2019), Les Newbies (Productions du Milieu, 2019). Comment expliquer ce succès en fiction dans la région? Pistes de réponses avec les témoignages de Suzette Lagacé, productrice à Mozus Productions et André Roy, scénariste et comédien dans la série Les Newbies.
Comment expliquer le rôle de leadership de l’Acadie dans la production de séries de fiction, tout particulièrement dans les deux ou trois dernières années?
Suzette Lagacé: On a toujours été des leaders. La première série de fiction hors Québec a été faite en Ontario et tout de suite après, il y a eu Belle-Baie. Et Belle-Baie a eu quatre saisons quand même. C’était une grosse série. Au niveau de l’identité, le fait que le Nouveau-Brunswick soit une province officiellement bilingue, ça a toujours joué, en tout cas pour nous, ç’a été très important. C’est un autre rapport à la culture, on se sent officiel, pas officieux comme en Ontario. Moi, je suis franco-ontarienne d’origine. En Ontario, c’est un privilège qu’on vous donne. Mais quand c’est un droit, ça a toute une autre portée. Sur le plan identitaire, de s’affirmer par la télévision et dans le cinéma, ça a eu son poids. Toutes ces séries de fiction qui sont sorties en même temps, c'était comme une situation magique qui s’est passée.
Quel rôle peut-on attribuer à l’infrastructure culturelle lorsqu’il est question du succès actuel de la fiction en Acadie? Pensons par exemple au Pays de la Sagouine.
André Roy: Le Pays de la Sagouine a développé l’expertise des comédiens C’est le plus gros employeur d’artistes au Nouveau-Brunswick. Si je me souviens bien des derniers chiffres, ce sont 120-130 artistes durant la saison estivale qui travaillent là. Les trois, Christian Essiambre, Luc Leblanc et moi (Newbies), on a travaillé-là longtemps. Mes premiers textes, je les ai écrits pour un groupe d’humour avec Christian. Après, j’ai écrit pour le Pays, j’ai fait des mises en scène, j’ai appris à faire du montage, de la réalisation, pour faire les campagnes promotionnelles. Il y a aussi le Département d’art dramatique à l’Université de Moncton, où je suis chargé de cours. Je donne le cours de techniques de jeu et on a maintenant le cours de jeu devant la caméra. Il n’y avait pas ça avant, on a adapté le département en conséquence. Et beaucoup de jeunes qui sortent de là vont travailler au Pays après et gagnent de l’expérience.
On parle souvent de l’importance du star système au Québec qui a mené à l’écosystème télévisuel actuel. L’Acadie serait-elle en train de créer son propre star système?
André Roy: Je pense que oui, mais pas autant que le Québec encore évidemment. Je sais que chaque bon coup que l’Acadie fait, ça a un effet ricochet sur le reste. En musique par exemple, les Lisa Leblanc, Radio Radio, Les Hay Babies, des artistes qui ont percé, ça donne des repères pour l’Acadie. Ça donne des références. Elles étaient là avant aussi ces références-là. Je pense à Édith Butler, à Antonine Maillet qui ont fait d' énormes percées, mais là comme le temps a évolué et nous on a évolué, la manière dont on veut se présenter aux autres a aussi changé. On essaie de moderniser la perception de l’Acadie, de rendre l’expérience universelle et pas juste stéréotypée. La série les Newbies, c’est ça.
Dans le premier épisode d’À la Valdrague, il y a un sous-titre lorsqu’un Acadien parle. Pourquoi est-ce encore nécessaire selon vous?
Suzette Lagacé: C’est le seul sous-titre de toute la série et on en a longuement discuté puisque c’était la toute première scène de la toute première saison, et que c’était très coloré comme accent, et c’était voulu, on aime la couleur de la langue. Mais le diffuseur qui connaît très bien son public, n’avait pas envie que le téléspectateur allume la télé regarde ça et dans les premières 30 secondes se disent « C’est pas pour moi, je ne m’identifie pas du tout, je ne suis pas capable de comprendre » et aille ailleurs. C’était pour garder le public. On voulait que la série réussisse. Je pense que ça a été une bonne décision. Si la série a pu revenir quatre ans de suite, c’est qu’il y a un public. Et il faut aller chercher une base au Québec car les nombres sont là. Même si on fait une production hors Québec. On est dans un monde de cotes d’écoute. On part de loin avec le public mais depuis les 10-15 dernières années, il y a une ouverture. On travaille avec cette ouverture-là, mais ce n’est pas automatique.
La plupart des productions de fiction ont eu recours à des artisans du Québec dans ses équipes. Pourquoi l’expertise québécoise est-elle encore nécessaire en Acadie?
André Roy: Il ne faut pas avoir peur d’avoir des consultants, d’aller chercher de l’expertise d’ailleurs mais en ne perdant pas notre identité. C’est une chose dont je suis très fier, pour les Newbies, on a défendu la vision des créateurs. Si on ne connaissait pas la théorie, on l’apprenait mais on ne perdait pas l’âme de la série. Il y a des ponts à créer et qui sont en pleine création entre le Nouveau-Brunswick, car géographiquement, on est collé sur le Québec.
Suzette Lagacé: À la Valdrague, on n’est pas une coproduction, c’est une production 100% acadienne et ça j’y tenais. Grâce aux productions qui ont été faites auparavant comme Belle-Baie, ça a développé des équipes. J’espérais que tous les chefs des départements pourraient venir de l’Acadie, mais c’est une expertise qu’on n’a pas encore. Pour avoir ça, il faut du volume, que les artisans puissent travailler à l’année longue dans leur métier. Mais avec notre série, nous avons contribué à créer des chefs. Chaque année, on a formé des gens pour qu’ils puissent ensuite devenir chef de département. Mon plus grand défi c’est l’équipe. 90% vient de l’Acadie, mais on fait encore venir huit personnes du Québec. Les équipes du Québec veulent venir travailler chez nous, c’est un autre climat. On aime créer de bonnes conditions! Et ils ne regardent pas nos équipes de haut et c’est stimulant pour nos équipes. On ne peut pas être hermétique dans notre milieu. On va chercher ce qu’il y a de meilleur.
Les tournages de la 4e et dernière saison d’À la Valdrague sont prévus pour l’été 2021. André Roy, avec sa compagnie Productions L’Entrepôt, est en développement pour différents projets.