Le Manitoba se dote d’un nouvel outil de production virtuelle
Difficile d’oublier les conséquences dévastatrices de la pandémie de la Covid-19 sur l’industrie de la production audiovisuelle au Canada, et partout dans le monde. Malgré l’annonce récente de Patrimoine canadien, en janvier 2023, d’un influx de 100 millions de dollars à Téléfilm Canada sur deux ans, l’industrie doit continuer d’innover pour être plus résiliente et performante sur le plan économique. Et c’est là que la production virtuelle peut jouer un rôle stratégique. L’attrait pour ce nouvel outil de production est un résultat direct de la pandémie. Le Manitoba vient de s’ajouter à la liste des centres urbains qui comptent des studios de production virtuelle. En effet, New Media Manitoba (NMM) a ouvert son studio et centre de formation en ce début d’année et a déjà offert plusieurs jours de formation à des membres clés de l’industrie.
D’abord, définissons la production virtuelle. Il s’agit de la création d’un univers virtuel immersif grâce à de puissants ordinateurs et le moteur Unreal Engine, créé par Epic Games. À son actif, Epic Games avait déjà le jeu vidéo de renom FortNite, dont les revenus ont servi à développer le moteur. Unreal Engine met à disposition des cinéastes les outils de création des industries interactives.
Avec le moteur Unreal Engine, il est désormais possible de créer un univers virtuel qui interagit avec une caméra en studio, en temps réel. Grâce à un système de senseurs élaborés situés au plafond du studio, la caméra qui tourne une scène dans la vraie vie est connectée à une caméra virtuelle dans le moteur Unreal qui permet de faire vivre la scène en temps réel. L’univers virtuel est projeté sur un mur de volume, ou volume wall. «Notre volume est de 24X12 pieds, et il compte 144 images, qui comptent chacune quatre panneaux», explique Jonathan Lê, gestionnaire du projet StudioLab xR, à NMM.
Ce mur de volume permet aux équipes de voir les scènes en temps réel, alors qu’elles sont créées, contrairement à un écran vert, par exemple. «L’écran vert ne disparaîtra pas, mais le mur de volume compte de nombreux avantages», poursuit Jonathan Lê. «Les comédien·nes peuvent regarder au bon endroit durant leur scène. L’équipe technique peut faire un éclairage du studio et de la scène. Il s’agit essentiellement d’investir du temps en préproduction plutôt qu’en post-production».
Le StudioLab xR est le tout premier studio de formation accrédité par Unreal au Canada, et seulement le quatrième studio en son genre d’un océan à l’autre. La genèse du projet remonte à 2022, mais les conflits internationaux et les perturbations dans la chaîne d’approvisionnement dues à la pandémie ont ralenti le processus et le lancement du projet. Grâce à du financement fédéral et provincial de l’ordre de 3,5 millions de dollars, NMM a enfin pu ouvrir le StudioLab xR au début de l’année 2024.
Dès lors, NMM a lancé des séances de formation en partenariat avec des acteurs-clés de l’industrie: On Screen Manitoba, IATSE 856, ICG 699, ACTRA et DGC-Manitoba. «Nous avons invité des formateur·trices Unreal de Fish Flight Entertainment, un studio chevronné de Vancouver, pour appuyer notre équipe de formation locale dans leur travail avec les membres de l’industrie manitobaine», soutient Louie Ghiz, directeur général de NMM. «Nous avons créé cinq groupes de cinq personnes, chacun mené par un·e réalisateur·trice d’expérience. Chaque équipe a eu à créer une scène en utilisant l’outil Unreal en une journée de tournage, avec les formateurs et formatrices qui réagissaient à leurs besoins et leur montraient les possibilités.» poursuit-il.
L’une des participantes de cette première formation était la réalisatrice franco-manitobaine Danielle Sturk. Elle a voulu participer à la formation à cause du potentiel créatif que le moteur Unreal représente. «Ça m’intéresse beaucoup d’imaginer pouvoir faire un projet en animation entièrement au Manitoba», affirme-t-elle. Lors de la formation, la cinéaste a créé une scène en prises de vue réelles, mais elle avait déjà l’intention de réserver le studio par ailleurs, pour explorer les possibilités pour l’un de ses projets en développement. «Je veux voir ce qu’on est capable de faire ici sans embaucher un studio dans une autre province; combien de temps ça prend pour faire les modifications dans le logiciel Unreal en temps réel; combien de temps mes acteurs et actrices doivent attendre entre chaque prise. Avec ces informations-là, je vais pouvoir avoir une idée de comparatif avec un projet d’animation traditionnelle par exemple, pour bâtir un budget et présenter ça aux diffuseurs. Je souhaite que ça me coûte peut-être moins cher, et me donne un outil créatif supplémentaire ».
Quant à savoir si sa scène en prises de vue réelles était à la hauteur de ses attentes, c’est autre chose. «On n’est pas encore rendu pour le réalisme, selon moi. Je pense que ça fonctionne bien pour de la science-fiction, mais ce n’était pas encore du trompe-l’œil pour moi en ce qui a trait au réalisme», conclut la réalisatrice d’expérience qui a tout de même bon espoir que la technologie se développe rapidement pour arriver à un niveau satisfaisant.
Le StudioLab xR est en pleine croissance et s’attend à recevoir du financement supplémentaire de donateurs et de l’industrie. Ses gestionnaires espèrent pouvoir faire gonfler son budget initial à quatre ou cinq millions de dollars. Mais l’équipe du StudioLab se sent d’attaque pour recevoir sa première production télévisuelle dès le printemps 2024. «La formation qu’on a fait avec l’industrie et le personnel de Fish Flight Entertainment nous a bien préparés à entreprendre notre première production» affirme Jonathan Lê avec fierté.
Pour le reste de l’année en cours, il s’agira de créer un calendrier comprenant à la fois des formations, de la production audiovisuelle, et des utilisations corporatives par des firmes d’ingénieurs et d’architectes. Le StudioLab xR a déjà été embauché pour offrir des formations en Saskatchewan, en Ontario et en Colombie-Britannique, des contrats qui permettront de réinvestir dans l’infrastructure locale.
Et l’intelligence artificielle dans tout ça? Jonathan Lê demeure optimiste. «Je pense que l'IA va accélérer les processus de réalisation de films et permettre de rendre certaines choses plus faciles. Je ne pense pas qu'elle remplacera le besoin de véritables humains pour guider la création. En plus d’avoir foi en l’humanité, je pense également que les problèmes de droits d’auteur liés à la génération d’images avec l’IA vont devenir des problèmes de plus en plus importants pour ces modèles», conclut-il.