Le TIFF a 50 ans : trois cinéastes racontent leur première expérience
Pour souligner la 50e édition du Festival international du film de Toronto (TIFF), trois réalisateurs canadiens nous partagent leurs premiers souvenirs de cet événement cinématographique parmi les plus influents au monde.
Les scénaristes et réalisateurs Fawzia Mirza et Henri Pardo ont présenté leur tout premier film au TIFF en 2023. La réalisatrice d'expérience Ann Marie Fleming est une habituée du festival, où elle a lancé sa carrière en 1989 avec le court métrage qui lui a permis d’obtenir son diplôme en art.
Lorsqu’on leur demande de se remémorer leurs débuts au TIFF, le trio évoque d’abord le chic et les paillettes. Mais c’est surtout une aventure riche en émotions qui leur revient en mémoire. Partager un film achevé avec ses acteurs, son équipe de tournage et sa famille, combattre le trac d’une première, et encore plus important, réaliser qu’ils ont maintenant l’honneur de faire partie de la famille cinématographique canadienne : voilà des moments qu'ils n'oublieront jamais.
FAWZIA MIRZA

Le premier long métrage réalisé par Fawzia Mirza, The Queen of My Dreams, a été dévoilé en première mondiale au TIFF en 2023. La comédie dramatique aux accents Bollywood s’inspire de la vie de Fawzia en tant que jeune musulmane gaie et de celle de sa mère dans le Pakistan des années 1960. Le film figure au palmarès des 10 meilleurs films canadiens de 2023 du TIFF.
Pour être honnête, je crois que j’étais hors de mon corps pendant la majeure partie de la première mondiale, mais je me souviens très bien que j’avais hâte que les membres de mon équipe et mes acteurs, présents dans la salle, découvrent ce qu’on avait créé ensemble. Je nageais en plein rêve quand tout le monde a entonné l’inspirante chanson « Mere Sapnon Ki Rani » pendant le générique, comme si on était en Asie du Sud.
Mais il y a eu un moment, ce soir-là, qui a surpassé tous les autres. C’était dans la loge : les acteurs, l’équipe, des amis, la famille, des agents, des gens du TIFF… tout le monde était réuni. Et puis j’ai reçu un appel. Un FaceTime… de ma mère. Je l’avais invitée à la projection et elle m’avait dit qu’elle y penserait. Ma mère n’a jamais rien vu de mon travail. Je n’ai pas insisté pour qu’elle vienne, je lui ai juste mentionné l’événement, et nous n’en avons pas reparlé. Mais elle savait que la première avait lieu ce soir-là, alors elle m’a appelé… au moment parfait. Je lui ai présenté l’équipe, tout le monde l’a saluée, et pendant un instant, nous avons pleuré. J’ai eu la chance de ressentir son émotion face au triomphe de son enfant.
Faire un film, c’est un miracle. Le terminer, le préparer pour un festival, inviter les gens, organiser une fête… tout ça en solo, c’est une expérience vertigineuse. Ma femme et moi plaisantons en disant que c’était un peu comme organiser la grande réception de mariage qu’on n’a jamais eue.
HENRI PARDO

Dans le film Kanaval d’Henri Pardo, une mère haïtienne et son jeune fils déménagent avec un couple plus âgé dans la campagne québécoise. Le film, une coproduction du Canada et du Luxembourg, est le premier long métrage de fiction d’Henri Pardo. Il a été présenté en première mondiale dans le cadre du programme Centerpiece du TIFF en 2023. Il a remporté le prix Amplify Voices Award lors du festival.
On a terminé le film à peine deux jours avant la première. J’étais au Luxembourg avec nos coproducteurs à finaliser les tout derniers détails sonores et musicaux, alors je n’ai vu le film qu’une fois avant l'ouverture du TIFF.
Ce qui est génial, c’est que la plupart des membres de l’équipe se sont déplacés à Toronto. Ils sont venus de Montréal et se sont entassés dans des Airbnb, des hôtels pas chers, tout ce qu’ils ont pu trouver. Ç’a été toute une surprise de voir une trentaine de personnes de la distribution et de l’équipe de tournage sur place pour la première au TIFF. C’était anxiogène fois mille, mais ça s’est vraiment bien passé.
C’était mon premier film de fiction. J’ai réalisé des documentaires qui ont été présentés à d’autres festivals, mais au TIFF, j’avais l’impression d’être chez moi.
Le prix Amplify Voices Award a donné une certaine légitimité au film. J’ai l’impression que le Canada et le TIFF vont dans la bonne direction en ce qui a trait à la diversité et aux gens dont on n’a pas encore entendu la voix. Ce prix est vraiment important. Je suis tellement heureux d’avoir reçu cette reconnaissance.
Lorsque je suis ailleurs qu’à Toronto, les gens à qui je parle soulignent non seulement l’effort que font le Canada et le TIFF dans ce sens, mais leur travail aussi… le travail que nous devons tous accomplir.
ANN MARIE FLEMING

La Vancouvéroise Ann Marie Fleming fréquente le TIFF depuis qu’elle a commencé à réaliser des films, dont le tout premier était le court métrage You Take Care Now présenté en 1989. Elle a remporté deux prix du meilleur court métrage au TIFF : New Shoes: An Interview in Exactly 5 Minutes en 1990, et Blue Skies en 2002, qui se voulait une réponse à l’édition précédente du TIFF, que les attaques du 11 septembre ont mis sur pause dès le sixième jour. Ses longs métrages The Magical Life of Long Tack Sam (2003), Window Horses (2016) et Can I Get a Witness? (2024) ont tous été présentés au TIFF.
Mon premier film au TIFF, c’était en 1989 avec You Take Care Now, mais je ne me souviens pas vraiment de sa présentation, pour être honnête. Avoir un court métrage à l’affiche d’un festival, c’est beaucoup moins de pression qu’un long métrage!
Le monde des festivals était nouveau pour moi. Je me tenais beaucoup avec les bénévoles, mais je me rappelle avoir rencontré le cinéaste néo-zélandais Garth Maxwell et de l’avoir convaincu d’aller voir mon film. Ça a été le début d’une longue conversation entre nous.
Ce que je préférais du TIFF de cette époque, c’était la possibilité de rencontrer des artisans, de découvrir et de parler de films de partout sur la planète. Tout le monde était toujours d’un grand soutien.
Quand j’ai gagné le prix du meilleur court métrage canadien pour Blue Skies, j’étais déjà à bord d’un train en direction de Vancouver et à quelques minutes de perdre le réseau sur mon cellulaire, lorsqu’on m’a appelée pour me dire : « Reviens! »
Mais c’était trop tard.
Blue Skies, c’était ma réponse personnelle aux attentats du 11 septembre, qui avaient frappé New York l’année précédente. En 2001, mon film Lip Service: A Mystery, qui avait reçu quelques bonnes critiques des médias avant le TIFF, n’a jamais été présenté en première. Ce jour-là, le monde entier a changé. Je voulais parler de notre deuil collectif et de la manière que les arts peuvent nous faire passer au travers des temps sombres.
Je n’aurais pas pu être plus surprise de gagner. J’ai pu m’acheter de l’équipement de tournage avec la bourse associée au prix, ce qui était formidable. C’est probable que je sois la seule personne à avoir remporté ce prix deux fois, parce que la plupart des cinéastes cessent rapidement de réaliser des courts métrages.
Quand j’ai commencé à fréquenter le TIFF, c’était un festival beaucoup plus modeste qui présentait la crème du cinéma international. Le festival a eu beau évoluer vers le TIFF d’aujourd’hui, avec sa grande réputation mondiale, il fait encore la part belle aux films canadiens.
C'est important pour le rayonnement et le financement de ton film quand il est sélectionné au TIFF. Tu attires l’attention des médias nationaux et internationaux, et celle de l’industrie aussi.