L’industrie des jeux vidéo (et bien d’autres) sont en train de mettre le paquet sur les jeux en nuage

L’année 2020 a été marquée par d’importants investissements dans les «jeux en tant que service», alors que de nouveaux acteurs entrent dans l’arène, les yeux rivés sur 2021.

Le divertissement diffusé en continu et à la demande est passé en peu de temps d’un créneau assez niche du marché à une force dominante pour la télévision, le cinéma et la musique. Et maintenant, l’industrie des jeux vidéo se prépare à la prochaine ronde de la “guerre du streaming”. L’an dernier, le Fonds des médias du Canada a rendu public son rapport Plus proche, plus vaste, plus rapide, dans lequel on apprend que le phénomène du “cloud gaming” est en pleine montée de popularité et attire de plus en plus d’investissements. Zion Market Research prédit une croissance annuelle de 27% pour le secteur au cours des six prochaines années, les ventes devant totaliser 6,9 milliards de dollars en 2026. L'industrie qualifie le cloud gaming de “prochain grand projet” et beaucoup affirment que le Canada sera un acteur clé de sa croissance. Bien que la pandémie de COVID-19 a pu ralentir certains développements au sein de l’industrie en 2020, elle n’a pas changé la perspective selon laquelle 2021 sera l’année où le jeu en ligne atteindra un niveau inédit de pénétration du marché.

Amazon parie désormais beaucoup sur le cloud gaming et a lancé sa plateforme Luna, accessible uniquement aux États-Unis pour l’instant. Par ailleurs, Google Stadia est offert au Canada depuis un peu plus d’un an. Stadia, qui représente l’entrée de Google dans le cloud gaming, permet de jouer à des jeux vidéo dans le navigateur Google Chrome sur certains téléphones intelligents et certaines tablettes, mais ce n’est que la première d’une vague de nouvelles entrées dans l’arène du cloud gaming. 44% des joueurs affirment qu’ils s’abonneraient à un service de cloud gaming. Beaucoup de possibilités se profilent donc à l’horizon, pour des géants comme Microsoft et bien d’autres, qui voudraient profiter de cette opportunité financière.

Google fait un grand pas en avant pendant que Microsoft lance son projet xCloud au Canada

Google a été le premier des géants du Web à placer les jeux en nuage au centre de son modèle économique de jeu vidéo. Stadia – plateforme développée à Montréal – permet aux joueurs de jouer en mode streaming sur un téléphone ou une tablette Google Chrome ou Android. Cependant, bien qu’il s’agisse du premier grand acteur à lancer une plateforme de jeux en nuage, le service Stadia a encore du chemin à parcourir. Le nombre de jeux qu’offre le service est limité (il a été lancé avec 22 titres et ce nombre augmente lentement depuis) et c’est un facteur qui nuit à son adoption par les joueurs. Google espère changer cela et augmenter considérablement le nombre de jeux développés pour la plateforme et pris en charge par celle-ci d’ici peu.

En mars dernier, Google a annoncé son partenariat avec Unity pour lancer le nouveau programme Stadia Makers. Ce programme comprend plusieurs mesures visant à réduire le coût de développement d’un jeu Stadia, mais il est clairement attendu que ceux qui postulent au programme sortent un jeu dans les mois qui suivent.

Entre-temps, la société investit aussi considérablement dans son infrastructure. Google a lancé Game Servers. Ce projet s’adresse expressément aux développeurs qui créent des jeux Stadia et à qui sont fournis des services de soutien pour les aider à faire fonctionner leurs jeux dans le nuage de Google.

Microsoft talonne Google

À l’instar d’autres plateformes de streaming – comme Netflix, Amazon Prime et Spotify –, Google Stadia facture un abonnement mensuel (11,99 $/mois au Canada). Selon le Global Web Index, environ un internaute sur cinq aux États-Unis et au Royaume-Uni serait prêt à payer un maximum 10 $ ou £10 par mois pour un service de cloud gaming. Étant donné que de nombreux Canadiens s’abonnent déjà à divers services, et vu la menace de «lassitude des abonnements» qui plane, la concurrence sera probablement féroce entre les entreprises de jeux en ligne.

Dans cette optique, Microsoft représente actuellement la plus grande menace pour Stadia. Grâce à sa console de jeu vidéo (Xbox) qui connaît un grand succès et à son infrastructure de services en nuage existante, Microsoft est en passe de devenir le rival de Stadia dès son lancement.

«La lassitude des abonnements, ça existe», a avoué le vice-président administratif responsable du projet xCloud, Kareem Choudhry, à la publication canadienne MobileSyrup. «Je dirais que ces trois ingrédients sont nécessaires au meilleur abonnement de jeu qui soit: ces trois C étant “contenu, communauté et cloud [nuage]”. Et je crois que Microsoft a un élan, une histoire, un héritage, des investissements et des capacités incroyables en regard de chacun de ces trois C... Je suis incroyablement enthousiaste à l’idée que Microsoft puisse les combiner efficacement pour le plus grand plaisir de joueurs et d’adeptes du monde entier.»

Le projet xCloud est actuellement proposé gratuitement au public en avant-première. L’an dernier, Microsoft a mis son projet à l’essai au Canada après en avoir fait de même aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Corée du Sud. Et la société montre qu’elle a la ferme intention de gagner le marché canadien. Elle a fait traduire en français canadien des dizaines de jeux proposés dans le cadre de l’avant-première du projet xCloud. Bien que le projet xCloud soit encore en cours de développement, il semble que la bataille pour les budgets d’abonnement pourrait se transformer – du moins à court terme – en une épreuve de force opposant Google et Microsoft.

De nouveaux joueurs entrent dans l’arène: Amazon et Tencent/Huawei veulent leur part du gâteau

Amazon a aussi un œil sur le marché des jeux vidéo. Depuis qu’elle a développé Crucible – le premier titre original d’Amazon Games – en mai de l’année dernière, la société a procédé au prélancement de sa propre plateforme de jeu en nuage, appelée Luna, en octobre 2020. «L’idée générale est d’essayer de transposer le meilleur d’Amazon dans le monde du jeu», a affirmé Mike Frazzini, vice-président d’Amazon pour les services de jeux et les studios, au New York Times. «Nous travaillons dessus depuis un certain moment, mais il faut beaucoup de temps pour faire des jeux, et nous apportons de nombreuses pratiques d’Amazon au développement de jeux.»

Étant donné que la société est propriétaire de Twitch, la plateforme qui a révolutionné le monde du streaming de jeux vidéo, Amazon a la possibilité d’exploiter la communauté des joueurs pour alimenter ses ambitions relatives au cloud gaming.

Pendant ce temps, en Chine, un autre mouvement massif se développe dans le monde du cloud gaming. Tencent, le géant du jeu, célèbre pour le jeu de bataille royale Fortnite, travaille désormais avec Huawei. Ensemble, les deux sociétés ont mis en place un laboratoire pour développer une plateforme de cloud gaming. Tencent travaille sur les jeux en nuage depuis un certain temps, comme le rapporte Technode. La société a commencé un test bêta fermé de son service au début de l’année dernière. Elle va maintenant intégrer le processeur Kunpen de Huawei dans ce service.

Ce partenariat s’accompagne d’un très net avantage concurrentiel, stimulé par le potentiel du cloud gaming et son plus grand inconvénient à l’heure actuelle: la bande passante. Les jeux en nuage nécessitent des connexions internet rapides: Tencent dirige la plus grande société de jeux au monde, essentiellement fondée sur le concept de services multijoueurs et de streaming, tandis que Huawei est la plus grande société de télécommunications sur la planète ainsi qu’un moteur de l’adoption de la technologie 5G dans le monde entier (cependant, pas au Canada).

Ultimement, ce sont des facteurs externes qui influenceront l’adoption du cloud gaming

Le potentiel de croissance des jeux en nuage est énorme. Selon la firme d’études de marché Newzoo, cette industrie pourrait valoir 3,2 milliards de dollars d’ici 2023, tandis que GlobeNewswire prévoit une valeur de 8 milliards de dollars d’ici 2025. Mais l’enjeu principal, quand on parle de jeux en nuage, c’est la performance. Le rapport State of Online Gaming 2020 de Limelight Networks a révélé que, dans tous les pays sauf le Japon, la France, le Royaume-Uni et les États-Unis, les personnes interrogées ont déclaré que la rapidité était l’aspect de la performance le plus important pour elles lorsqu’elles jouaient un jeu vidéo. Sans réseaux 5G, les jeux dans le nuage ne peuvent tout simplement pas offrir une performance satisfaisante, car il est alors impossible d’accommoder la qualité de titres AAA à laquelle les joueurs s’attendent aujourd’hui.

«Comme la plupart des autres expansions en matière de jeux, la question se résume à des pixels et des réseaux… Les joueurs exigent des fréquences d’images élevées. La charge de traitement pour dessiner ces images nécessite un matériel informatique puissant, qu’il soit hébergé localement ou dans un centre de données. Les vitesses de connexion s’accélèrent, et le temps de latence diminue à mesure que la limite du réseau se rapproche de l’utilisateur», a déclaré Jon Peddie, président de JPR, à Digital TV Europe.

Les premiers réseaux 5G ont récemment commencé à être déployés au Canada. Il reste à voir à quelle vitesse les Canadiens adopteront le cloud gaming comme principal mode de consommation de jeux vidéo une fois que la vitesse de connexion ne sera plus un problème. Si l’on en juge par le succès de la diffusion en continu de contenus télévisuels et musicaux, ainsi que par l’adoption notable de jeux mobiles plus légers comme forme de divertissement, les joueurs ne seront probablement que trop heureux d’adopter le nuage… dès que le jeu en vaudra la chandelle.


Patrick Faller
Patrick est un écrivain et producteur créatif ayant une passion pour les industries canadiennes des médias, de la technologie et de la culture. Il compte de nombreuses années d’expérience comme journaliste télé, rédacteur de contenu professionnel et consultant artistique. Il est un adepte de conception numérique, de cinématographie, de jeux vidéo et d’entrevues menées auprès des créateurs multimédias qui contribuent à rendre le monde un lieu plus magique. Il habite Charlottetown, sur l’Île-du-Prince-Édouard, avec son copain et une ménagerie d’animaux, mais vous pouvez facilement le rejoindre via les médias sociaux.
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