Mentorat pour les talents issus de groupes sous-représentés
Le mentorat formel et informel existe dans l’industrie du cinéma et de la télévision depuis des années, mais le besoin de mentorat personnalisé devient de plus en plus pressant à mesure que l’industrie reconnaît la nécessité de former des scénaristes et des artisans issus de communautés sous-représentées (par exemple, les Afrodescendant·es, d'autres personnes racisées, les personnes LGBTQ2+ et les personnes handicapées).
Récemment, des bailleurs de fonds canadiens ont créé des programmes visant à stimuler la production d’une plus grande diversité de contenus. Pensons au programme de développement de Téléfilm Canada, qui comporte à présent un volet destiné aux personnes racialisées/minorités visibles et au programme de soutien aux activités de développement de l’industrie destiné aux personnes noires ou de couleur du FMC. Bell Media, Corus et Rogers exigent maintenant l’utilisation de HireBIPOC.ca (Embauchez diversité) comme condition pour donner leur feu vert.
Existe-t-il un réservoir de talents suffisamment vaste et ayant les compétences et l’expérience nécessaires pour pouvoir profiter avec succès du nouvel intérêt pour les histoires et les talents des communautés sous-représentées ou le secteur pousse t-il les gens à sauter par-dessus la formation et l’expérience au risque d’encaisser des échecs? Comment le mentorat peut-il aider à résoudre ces problèmes?
Qu’est-ce que le mentorat?
Le mentorat se différencie de la formation professionnelle ou de l’éducation, bien qu’il puisse contribuer aux deux. Joan Jenkinson, la directrice générale du Bureau de l'écran des Noirs, définit le mentor comme «une personne qui s’intéresse personnellement à votre carrière, qui vous prodigue des conseils et qui vous aide à établir des contacts». Warren Sonoda, président national de la Guilde canadienne des réalisateurs (la GCR), considère le mentorat comme l’un des cinq piliers nécessaires pour «aider de jeunes voix à devenir de vieilles voix», à savoir «la collecte de données, la sensibilisation des collectivités pour établir la confiance, la réduction des obstacles à l’accès, le mentorat et la formation et le nivellement par le haut».
Le mentorat peut prendre la forme d’un programme formel structuré ou d’un arrangement informel entre deux personnes. À titre d’exemple d’un programme formel, la Canadian Media Producers Association (CMPA) gère des programmes de mentorat depuis 25 ans, avec pour objectif de « fournir des possibilités de formation dans l’industrie du contenu d’écran pour assurer le développement continu des compétences professionnelles et l’injection de nouveaux talents dans la main-d’œuvre», selon une réponse reçue par courriel de Sarolta Csete, directrice, Développement et affaires générales, qui gère les programmes de mentorat de la CMPA.
Depuis 2003, l'association offre un certain nombre de programmes de mentorat qui ciblent les personnes autochtones, noires et de couleur (PANDC) ainsi que des programmes destinés aux personnes handicapées (par exemple, le programme Mentorat de la diversité de la CMPA et le programme de stages en création médiatique de l’ONF pour les producteurs handicapés). Le CMPA a l’intention de continuer à les gérer seul ou en partenariat avec des organisations qui travaillent au nom de personnes issues de communautés sous-représentées. Les programmes de la CMPA placent des mentorés dans des stages rémunérés qui sont adaptés au plan de travail convenu entre l’entreprise servant de mentor et la personne mentorée. L’entreprise reçoit une subvention salariale qui réduit le risque de travailler avec de nouveaux talents. Les programmes de la CMPA sont couronnés de succès, comme en témoigne le fait que 85 % des bénéficiaires travaillent toujours dans le secteur et que nombre d’entre eux sont désormais membres de la CMPA, lauréats de prix et membres du conseil d’administration de la CMPA.
Kulbinder Saran Caldwell dirige REALLIFE Pictures, une agence littéraire représentant des scénaristes issus de la diversité et de la neurodiversité ainsi que des scénaristes LGBTQ. Elle préfère l’encadrement au mentorat, car l’encadrement est à la demande et peut être adapté aux besoins de chaque personne. Elle dirigeait une entreprise spécialisée dans l’encadrement de femmes cinéastes de couleur avant de passer à l’agence de talents. Cette année, l’agence a développé un programme interne de développement de carrière ayant aidé les scénaristes à travailler sur leur propriété intellectuelle et les a mis en contact avec des scénaristes plus expérimentés. Les participants sont devenus «plus confiants dans leur écriture, ont su se présenter et présenter leur point de vue et se sont retrouvés avec un scénario pilote qu’ils ont pu mettre en marché», explique Caldwell. Ce programme a été couronné de succès et a permis la création de 23 emplois à ce jour, mais à des niveaux qui ne permettent pas encore de récupérer les montants investis par l’agence dans leurs talents. Cependant, comme le dit Caldwell, «en tant que femme de couleur, je considère que c’est pour l’amélioration de ma communauté et pas seulement pour moi. Je veux préparer la prochaine génération à connaître du succès», et ce, même si elle espère que l’entreprise finira par devenir financièrement indépendante.
Le mentorat comme outil pour favoriser l’inclusion
Jackie Batsudinka, l’adjointe administrative de Nathalie Younglai de BIPOC TV and Film, a l’expérience du mentorat à la fois formel et informel. Elle a participé au programme de leadership Black Women Film! qu’elle a apprécié parce qu'elle faisait partie «d’un groupe de femmes noires de différents niveaux d’expérience qui ont appris ensemble et les unes des autres». Ce sens de la communauté était important. Elle a également aimé son expérience de jumelage au directeur de production Moe Rai pendant la deuxième saison de «Tall Boyz». Dans ce cas-là, Moe Rai a trouvé de l’argent dans le budget pour un mentorat rémunéré et a reçu l’aval des producteurs. Batsudinka a estimé que, en tant que personne de couleur elle-même, Rai connaissait la position dans laquelle elle se trouvait et était capable de créer un environnement inclusif.
Un mentor doit-il être de la même identité que le mentoré ou au moins également issu d'un groupe sous-représenté? Pour Jenkinson, «il n’y a pas assez de talents noirs chevronnés pour que cela soit praticable». Le programme de leadership Black Women Film! avait recours à des mentors noirs ainsi qu’à des mentors ayant «des antécédents en tant qu’alliés ». Pour Sonoda, s’il appartient aux personnes individuellement de faire preuve d’initiative et de tirer parti des occasions qui se présentent, il appartient à l’industrie dans son ensemble de «réduire les obstacles à l’accès. Si vous avez de l’expérience, vous devez prendre sur vous d’aider les autres, de vous mettre en relation avec les autres». D’après son expérience, ce ne sont pas les membres de la GCR de diverses identités qui manquent pour le faire.
Cependant, Batsudinka met en garde contre le fait que «en réaction à la pression croissante pour plus de diversité sur les plateaux, plus de producteurs et de cinéastes blancs font place au mentorat ces derniers mois, mais ils doivent savoir dans quoi ils s’engagent». Par exemple, une personne ayant une expérience ou une vision du monde différente n’aurait peut-être pas fréquenté une école de cinéma. Elle peut aussi avoir des responsabilités familiales qui l’empêchent de participer à des programmes non rémunérés. Batsudinka et les autres personnes interrogées ont vivement encouragé l’industrie à apprendre à connaître les communautés afin que les besoins et les obstacles soient compris avant de se lancer dans un mentorat ou de créer un programme.
Limites et solutions potentielles
Il existe de nombreux programmes de mentorat, mais il semble également y avoir des lacunes. L’une d’entre elles, en particulier, concerne l’aspect commercial de la production, où on dénote une réelle absence de représentation des PANDC. Selon Jenkinson, «Il n’y a pas eu de canalisation permettant aux talents noirs d’accéder à des postes de cadres supérieurs dans l’industrie. Les diffuseurs veulent maintenant recruter des cadres supérieurs noirs, mais il y en a peu à recruter. Nous devons accélérer ce processus.» Par ailleurs, Batsudinka pense que «si nous ne réussissons pas à trouver des personnes dans le secteur, nous devons alors sortir du secteur».
Sans connaissance du fonctionnement d’une entreprise (par exemple, constitution en société, chaîne de titres, recherche d’un producteur ou d’un producteur exécutif), il est difficile de tirer parti des programmes de financement émergents. Pour Shonna Foster, qui supervise la Youth and Emerging Talent Initiative de BIPOC TV and Film, les créateurs émergents rencontrent des obstacles en voulant accéder à ces programmes et ces obstacles peuvent être aussi simples que l’accès à Internet, l’argent pour payer la constitution en société ou la compréhension du jargon de l’industrie du cinéma et de la télévision. «Les gens ont besoin d’aide pour acquérir des compétences non techniques, comme la façon de naviguer dans le système.»
Enfin, selon Jenkinson, le mentorat doit «aller plus loin que les conseils et offrir une expérience du monde réel. Nous devons les aider à mettre le pied dans la porte.» Ensuite, lorsqu’ils ont établi les bonnes connexions, «il est extrêmement important que les créateurs noirs soient les détenteurs de leur propriété intellectuelle, que lorsqu’ils travaillent avec des producteurs chevronnés, celle-ci ne leur soit pas retirée». Elle préfère voir des producteurs expérimentés prendre une position minoritaire dans un projet plutôt que d’en être propriétaire à part entière, car ils servent de mentor à un studio noir moins expérimenté.
Pendant que les organisations en apprennent davantage sur les besoins des communautés auxquelles elles s’adressent et adaptent leurs programmes, des personnes expérimentées peuvent prendre des mesures pour tendre la main, ouvrir des portes et fournir une expérience rémunérée, des conseils et l’établissement de relations. Comme le dit Caldwell, «nous avons besoin d’être vus, d’avoir un sentiment d’appartenance et de recevoir une juste rémunération pour notre travail». «En tant qu’industrie, nous sommes plus forts et meilleurs quand tout le monde participe», conclut Sonoda.