Planifier dans un marché en constante transformation

Tenir pour acquis que le modèle d’affaires sur lequel repose votre contenu ne changera pas, même à court terme, c’est risqué. En effet, la pandémie continue d’entraîner des changements dans l’écosystème du divertissement et de faire grimper le niveau d’incertitude. Afin d’obtenir une perspective éclairée sur les moyens pour les créatrices et créateurs de s’ajuster adéquatement à un marché en constante transformation, nous avons discuté avec Trina McQueen, Officier de l’Ordre du Canada, co-directrice du programme de gestion des arts, médias et divertissement de la Schulich School of Business, et anciennement présidente et directrice de l’exploitation de CTV Inc, présidente fondatrice de la chaîne Discovery et directrice des départements Current Affairs et Newsworld chez CBC News.

Trina McQueen, co-directrice du programme de gestion des arts, médias et divertissement de la Schulich School of Business

Anticiper les changements sociaux et environnementaux

Les valeurs et les préoccupations des gens changent de génération en génération, au gré des événements charnières. Ces transformations ont une incidence sur le type d’histoires qui intéressent l’auditoire ainsi que sur la façon dont les contenus sont élaborés et reçus. Le fait d’anticiper les changements de valeurs et de préoccupations, à l’échelle locale comme internationale, permettra aux créateurs et créatrices d’élaborer des récits qui rejoindront le public et de les présenter dans les formats que les gens seront le plus enclins à consommer.

Selon Trina McQueen, il y a actuellement trois éléments majeurs à considérer au moment de déterminer le contenu qui sera créé et de choisir comment le développer: «Ces éléments nous ont amenés à nous percevoir, nous et nos histoires, d’une manière inédite.» Il s’agit de la pandémie, de la diversité, l’équité et l’inclusion, et du réchauffement climatique.

La pandémie a accentué l’acuité de l’auditoire face à l’imprévisibilité de notre monde, qui fait que nous devons toujours être prêts à nous adapter. Du côté de la création comme de la distribution, les professionnels ont puisé dans le besoin grandissant de familiarité du public pour miser sur la nostalgie et offrir des séries dérivées. En tablant sur l’impossibilité pour les personnes de se rencontrer, les médias sociaux, qui leur ont donné la possibilité de connecter grâce à des «stories», ont été propulsés à l’avant-plan. Nous sommes toujours en pleine pandémie, et personne ne peut prédire quand la prochaine surviendra. Qu’importe, il faut tenter d’anticiper le type de contenu qui intéressera le public, à la maison comme à l’extérieur. Et comme c’est toujours le cas face au changement, diverses tranches de l’auditoire pourraient avoir des réactions diamétralement opposées.

Une attention grandissante est portée à la diversité, dans le contenu et dans les équipes qui le créent, et cela favorise l’émergence de nouvelles histoires et de nouvelles voix. Qui plus est, les politiques internes des studios et les investisseurs eux-mêmes évoluent, et les demandes du public en ce sens sont claires. Il semble, en outre, y avoir au sein de l’industrie du divertissement encore beaucoup de place pour une meilleure représentation, un soutien plus solide et une collaboration plus soutenue avec toutes les portions de l’auditoire.

De plus, selon Trina McQueen, le réchauffement climatique n’est pas qu’une matière à exploiter pour créer du contenu. C’est un sujet d’inquiétude partout sur la planète, et les professionnels de la création doivent en tenir compte. Cela signifie, entre autres, que les productions, qui pourraient devoir composer avec des catastrophes naturelles de plus en plus fréquentes, doivent s’assurer de faire des choix plus durables et de planifier des solutions de rechange.

Il est donc essentiel de continuer à anticiper les changements sociaux et environnementaux, et de bien cerner l’incidence qu’ils pourraient avoir sur l’auditoire.

Saisir les tendances économiques et planifier en conséquence

Journaliste respectée et primée, Trina McQueen sait que poser les bonnes les questions, ça peut rapporter. Les créateurs et créatrices devraient se poser deux questions à propos de l’économie, lesquelles les aideront à définir des modèles d’affaires rentables: est-ce que l’activité économique va s’accélérer ou ralentir? Et, conséquemment, quelle sera la réaction des diverses tranches de l’auditoire?

Prédire les fluctuations de l’économie n’est pas une mince affaire. Il est d’autant plus important pour les leaders d’analyser les tendances économiques et de se préparer à toutes les éventualités, positives ou négatives, et de prévoir leur influence sur la société comme sur le monde du divertissement. Par exemple, quand l’économie ralentit, le public a tendance à diminuer les dépenses liées au divertissement. Si l’on parvient à prédire où les gens vont couper (réduire leur nombre d’abonnements à des services de diffusion en continu ou éviter d’acheter des consoles de jeu), on prendra des décisions plus avisées: quels formats choisir pour la création de contenu, à qui vendre ledit contenu et à quel prix. Une économie tournant au ralenti peut entraîner la réduction des budgets ou elle peut créer un contexte favorisant l’émergence de plateformes de diffusion en continu. Elle peut aussi avoir une incidence sur le développement de la main d’œuvre si les formations propres à l’industrie deviennent hors de prix pour une partie du bassin de recrutement.  

Madame McQueen nous rappelle également que toutes les tranches de la population ne réagiront pas de la même façon aux changements économiques. Ceux-ci auront des répercussions sur le type de récits qui attireront les divers auditoires, car les valeurs et les intérêts du public se transformeront en fonction des fluctuations économiques, ainsi que sur les sites de diffusion de contenu (lieux de diffusion ou encore formats à consulter chez soi, dont les médias sociaux, qui reposent sur la publicité, et les plateformes audio et vidéo requérant un abonnement). Il est donc crucial de savoir non seulement pour qui on crée du contenu, mais aussi comment cet auditoire pourrait réagir au changement.

Être au fait des possibles répercussions sur l’écosystème de création

Être en mesure de comprendre les changements sociaux-économiques et leur influence sur les comportements de l’auditoire et sur le processus de création, c’est bien, mais ce n’est pas tout. Quand vient le temps de définir les contenus à développer, il faut également penser aux entreprises liées à l’écosystème de création. Il est donc essentiel, si l’on veut monétiser le contenu, de saisir toutes les répercussions possibles pour l’ensemble des joueurs: les plateformes, qui font des profits grâce au partage des recettes, aux abonnements et à la publicité, les services de distribution, les investisseurs privés, etc. Avoir une bonne compréhension de cet écosystème peut faciliter toutes les décisions, depuis le choix du format jusqu’aux détails à inclure dans les argumentaires pour obtenir du financement ou pour vendre du contenu.

Ne pas s’enfermer dans un modèle d’affaires

Les valeurs économiques, sociales et environnementales changent, tout comme les contenus les plus appropriés pour générer des profits. Toutefois, dans cette industrie, le changement n’est pas l’unique constante. Selon Trina McQueen, «raconter des histoires, c’est l’essence même des médias.» L’histoire devrait toujours venir en premier. Ensuite, on la développe en se concentrant sur ce qui touchera les gens et, enfin, on choisit le bon médium pour lui donner vie. On devrait toujours définir le modèle d’affaires adéquat après avoir défini l’histoire à raconter, pas le contraire. Tout ça en tentant d’anticiper les changements sociaux, environnementaux et économiques, et leurs répercussions sur le marché.


Laura Mingail
Laura Mingail soutient les entreprises qui cherchent à anticiper l’avenir de l’industrie du divertissement pour mieux naviguer dans cet environnement. Elle les aide à lancer du contenu et des outils prospères dans un paysage en constante transformation. Par l’entremise de son entreprise de consultation, Archetypes & Effects, elle accompagne ses clients dans la conception de stratégies percutantes. En outre, elle participe à l’évolution de l’industrie du divertissement en tant que collaboratrice dans les médias, membre du conseil consultatif de SXSW et conférencière lors d’événements et au sein d’institutions de premier plan, tels que Augmented World Expo, Series Mania, SXSW, CES, le festival Tribeca, l’Université de Toronto et Mensa Canada.
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